La veille sur la presse en ligne est laborieuse et exigeante, mais une extension pour Firefox peut la rendre plus légère, rapide et efficace… et plus éthique que Google News.
Nous rencontrons aujourd’hui Simon Descarpentries pour lui poser des questions sur le module Meta-Press.es qu’il a créé.
Bonjour Simon, pourrais-tu nous dire par quels chemins tu es arrivé à Meta-press.es…
Commençons par le début : je suis né en 1984 comme la FSF et comme elle, je préfère mes logiciels avec de l’éthique en plus d’un code source accessible (pour reprendre cette belle formule de Pouhiou). J’ai découvert GNU+Linux en l’an 2000, ai adhéré à l’April en 2002, terminé mes études en 2007 et travaillé pour Framasoft de 2009 à 2011. J’ai ensuite rejoint Sopinspace1 jusqu’à sa mise en sommeil 4 ans plus tard et mon entrée dans Acoeuro.com2.
Très tôt j’ai décidé de ne pas pousser le monde dans la mauvaise direction le jour en essayant de compenser les dégâts bénévolement la nuit. Je me suis donc efforcé de gagner ma vie en faisant directement ce qui me semble éthique et via Acoeuro.com j’ai une grande liberté de choix dans mes clients, qui ne sont que des associations, clubs sportifs ou collectivités locales3.
Mais ce n’est pas tout d’en vivre, j’ai aussi toujours eu envie de contribuer au Logiciel Libre en retour. J’ai commencé par des traductions (avec la formidable équipe Framalang), puis me suis attelé à la comptabilité de FDN.fr (pendant 5 ans), j’ai fait un peu de JavaScript pour lancer un widget de campagne de LQDN.fr ou aider à éplucher les 5000 réponses d’une consultation de la Commission Européenne… Mais ça me démangeait toujours.
Je me suis donc également occupé de la revue de presse de La Quadrature du Net pendant 5 ans, et c’est là que m’est venue l’envie de développer une alternative à Google News, afin de libérer l’association de sa dépendance envers un acteur qu’elle critique à juste titre le reste du temps. À la faveur d’un inter-contrats en 2017, j’ai repris mes prototypes précédents de méta-moteur de recherche pour la presse et j’ai exploré sérieusement cette piste.
…tu en arrives ainsi à Meta-Press.es ?
Voilà, j’ai réservé un nom de domaine dès que j’ai eu une preuve de concept fonctionnelle.
Alors c’est quoi exactement ?
Meta-Press.es est un moteur de recherche pour la presse sous forme d’une extension pour Firefox.
Directement depuis notre navigateur, il interroge un grand nombre de journaux4. L’extension récupère les derniers résultats de chaque journal et permet de…
Et comment ça marche au juste ?
Eh bien il faut bien sûr installer l’extension depuis sa page officielle.
Tu ouvres ensuite l’onglet de l’extension en cliquant sur l’icône tu saisis les termes de ta recherche, tu précises les sources dans lesquelles chercher : journaux, radios, agrégateurs de publications scientifiques… par défaut tu choisis celles qui sont dans ta langue, et tu lances la recherche.
Meta-Press.es va alors interroger les sources choisies et afficher les résultats.
Quelles différences avec un agrégateur RSS ou une poche-kangourou comme Wallabag ?
Contrairement à un agrégateur de flux RSS, Meta-Press.es donne accès aux contenus qui existaient avant qu’on s’abonne aux flux, puisque Meta-Press.es utilise la fonctionnalité de recherche des journaux. L’extension s’emploie à propager la requête de l’utilisateur auprès de chaque source pour agréger tous les résultats et les trier dans l’ordre chronologique. Google News ne fait pas beaucoup plus en apparence, or ça, n’importe quel ordinateur peut le faire.
Ensuite, Meta-Press.es intègre déjà un catalogue de sources connues (principalement des journaux, mais aussi des radios ou des agrégateurs de publications scientifiques), et est directement capable de chercher dans toutes ces sources, alors qu’un agrégateur de flux RSS doit être configuré flux par flux.
Actuellement, la base contient un peu plus de 100 sources (de 38 pays et en 21 langues), dont déjà 10 % ont été ajoutées par des contributeurs. Ces sources sont organisées par un système d’étiquettes pour les thèmes abordés, la langue ou d’autres critères techniques. Ce système permet d’accueillir toutes les contributions et l’utilisateur choisira ensuite dans quoi il veut chercher.
Apparemment c’est surtout pour faire de la veille sur la presse, est-ce que ça peut intéresser tout le monde ou est-ce un truc de « niche » pour un nombre limité de personnes qui peuvent y trouver des avantages ?
L’extension a été développée avec le cas d’usage de la revue de presse de la Quadrature du Net en tête. On est toujours plus efficace en grattant soi-même là où ça démange.
Mais les journalistes auxquels j’ai présenté Meta-Press.es se sont également montrés enthousiastes, car l’outil renvoie toujours les mêmes résultats quand on fait les mêmes recherches (même si on change d’ordinateur ou de connexion internet). Ce n’est pas le cas quand ils utilisent Google News, car l’entreprise traque leur comportement (historique des recherches, articles consultés) pour renvoyer ensuite des résultats de recherche « personnalisés » (donc différents d’une fois sur l’autre), et surtout, pour vendre aux annonceurs de la publicité ciblée.
Et puis un Mastonaute a récemment trouvé un autre moyen de se servir de Meta-Press.es :
Au-delà des recherches, ce que permet Meta-Press.es, c’est d’exporter les résultats d’une recherche dans un fichier. On peut ainsi :
• archiver les résultats ;
• les reprendre plus tard (même hors-connexion) ;
• les envoyer à un ami.
On peut également sélectionner les résultats que l’on souhaite exporter. Une sélection exportée au format RSS peut ensuite facilement être ajoutée au flux RSS de la revue de presse d’une association (comme c’est le cas pour LQDN).
Cela épargne les deux-tiers du travail dans ce domaine, qui consistait sinon à copier chaque information (titre, date, source, extrait…) de la page du journal à l’outil générant le flux de la revue de presse.
D’ailleurs, pendant mes années de revue de presse à LQDN, plusieurs associations amies nous ont demandé quels outils on utilisait de notre côté. On a répondu à chaque fois qu’on utilisait plusieurs outils faits main (la nuit par l’un des cofondateurs) emboîtés les uns dans les autres sans documentation technique et que l’essentiel du travail restait fait à la main. C’était frustrant pour tout le monde.
Aujourd’hui, l’outil est là, revenez les amis, nous pouvons désormais tous nous partager Meta-Press.es !
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Bon, pendant que les plus impatients sont déjà en train de tester l’extension et de s’en servir, nous avons d’autres lecteurs et lectrices un peu plus techniques qui veulent savoir comment ça se passe dans les coulisses, et pour commencer avec quelles briques tu as travaillé…
Techniquement, c’est fait en JavaScript moderne (ECMAScript6/7) avec tous les meilleurs exemples trouvés sur StackOverflow, developer.mozilla.org et surtout les API récentes comme : async/await, <script type= »module »>, fetch, crypto, domParser, XPathEvaluator…
Je suppose que certain⋅es vont vouloir ajouter des « sources »…
Le processus de contribution des sources a été simplifié au maximum.
D’ailleurs, la première contribution à Meta-Press.es en a détourné l’usage pour y intégrer une dizaine de sources de publications scientifiques. C’est un cas auquel je n’avais pas pensé en développant Meta-Press.es, mais la contribution s’est facilement intégrée au reste du projet, on a juste eu à y mettre l’étiquette de thème : « science ».
Une source est donc décrite par un objet JSON dans lequel on détaille comment accéder à chaque information dans la page de résultats (par des sélecteurs CSS donc pour pointer les éléments) et éventuellement en ajoutant un retraitement du texte obtenu par motif de remplacement en expression rationnelle. Pour s’exercer, l’ajout d’une source peut se faire directement depuis les paramètres de l’extension (où vous trouverez des conseils et les sources fournies en exemples). Si vous avez un résultat fonctionnel, vous pouvez vous contenter de me l’envoyer simplement par courriel, je m’occuperai de l’intégrer au projet.
J’avais testé en 2013 plusieurs solutions pour voir ce qui était le plus rapide dans le rapatriement et l’analyse des pages web listant les résultats de recherche de chaque source. Entre autres, les pages de résultat sont analysées par Firefox dans ce qu’on appelle un fragment de HTML. Ce dernier n’est pas complètement interprété par le navigateur web (pas de rendu graphique). Entre autres, les images et les feuilles de style de la page ne sont pas chargées. Il n’y en a pas besoin. En se contentant du HTML les choses se passent bien plus rapidement que s’il fallait charger les mégaoctets d’images et de traqueurs des journaux.
En puisant les résultats dans des flux RSS, le traitement devrait aller encore plus vite car la structure XML d’un flux RSS est minimaliste. Mais les serveurs web priorisent mal ces requêtes, alors les flux RSS mettent facilement plus de 10 secondes à arriver.
Une autre question épineuse, liée au JavaScript est celle de l’analyse des dates en format non américain. De nombreuses bibliothèques de fonction existent pour parer aux déficiences de la norme, mais elles sont généralement volumineuses et lentes. Je propose ma propre solution dans ce domaine, avec la fonction JavaScript `month_nb` qui se contente de transformer un nom de mois en son numéro, mais sait le faire pour 69 langues et n’a même pas besoin de connaître la langue du mois à convertir. J’en ai parlé plus longuement sur le site de Meta-Press.es notamment pour détailler l’aspect minimaliste et ré-utilisable de mon approche : il fallait là aussi « faire rentrer le monde dans un fichier JSON » mais ça c’est bon, c’est fait.
Mais pourquoi avoir choisi une extension pour Firefox plutôt qu’une appli pour Android ou une appli standalone à installer sur son ordinateur… ?
Je faisais tenir mes premiers prototypes dans un unique fichier HTML. Je trouvais ça élégant d’avoir tout dans un seul fichier : le code, l’interface graphique, les données… Et puis un fichier HTML c’est facile à distribuer (par clé USB, en pièce jointe d’un courriel, directement sur le web…). Toutefois, comme je l’ai expliqué dans le billet « Motivations » du blog du projet, une contrainte technique empêchait ce modèle de fonctionner pour Meta-Press.es : on ne peut pas accéder au contenu d’une iframe depuis le JavaScript d’une simple page web.
Et puis j’ai compris qu’avec une extension pour Firefox la contrainte pouvait être levée. J’ai donc tout naturellement continué mon travail dans cette direction, en m’appuyant sur les technologies que je manipule au quotidien : le Web.
Avec un peu de recul, je considère que c’était une excellente idée. Firefox est probablement l’analyseur de HTML le plus rapide au monde, en cours de ré-écriture, par morceaux, en Rust. Piloter cette fusée via un langage de script se révèle à la fois plaisant et efficace.
Si j’avais voulu faire une application à part, j’aurais probablement utilisé le langage Python (dont je préfère la syntaxe, surtout édité avec vim et des tabulations !), mais j’aurais forcément eu à manipuler un analyseur de page web moins rapide et probablement moins à jour.
Ensuite, en tant qu’extension de Firefox, Meta-Press.es est aussi utilisable avec le navigateur web Tor, qui est taillé pour la protection de votre vie privée et installable en quelques clics sur n’importe quel ordinateur et quasiment n’importe que système d’exploitation.
Le navigateur Tor a été inventé en grande partie pour lire la presse en ligne sans être suivi, ni laisser de traces. Les deux font donc la paire. Avec le navigateur Tor les journaux ne savent pas qui vous êtes, et avec Meta-Press.es vous n’avez plus besoin de Google pour les trouver. Retour au modèle du bon vieux journal lu dans le fauteuil du salon, sans autres conséquences, ni à court, ni à long terme.
En ce qui concerne Android, l’extension fonctionne parfaitement une fois installée sur Firefox pour Android (ou la version IceCatMobile en provenance de la logithèque libre pour Android : F-Droid.org).
Mozilla offre l’avantage de fournir l’infrastructure de distribution du programme et un référencement (l’extension est facile à retrouver via le moteur de recherche d’addons.mozilla.org avec les mots-clés « meta presse »). Mozilla gère les mise à jour, des retours utilisateurs rapides ou complets via les commentaires, la notation par étoiles et même une porte de collecte de dons pour soutenir le projet — qui fonctionne très bien ;-).
Si l’on ajoute la documentation et les recommandations suite à l’analyse du code (automatique mais aussi effectuée par des humains), c’est une plateforme très accueillante.
Dans l’actualité récente les éditeurs de presse en ligne français étaient en conflit avec Google et son moteur de recherche. Est-ce que de nouvelles contraintes légales ne vont pas impacter Meta-Press.es ?
Oui, j’ai suivi ce feuilleton, et non ça ne devrait avoir de conséquence pour Meta-Press.es.
Pour reprendre un peu le sujet, tout se joue autour de la directive européenne sur les éditeurs de presse en ligne, que les élites du gouvernement se sont empressées de transposer en droit français, pour l’exemple et avec de grandes annonces.
Cet épisode a donné lieu en septembre à de savoureux échanges entre Google et les éditeurs. Le fond du problème était que les éditeurs, déjà sous perfusion de l’État, ont cru qu’ils pourraient taxer Google aussi (en améliorant la rente de leur situation, plutôt qu’en s’adaptant à un monde qui change), au moins pour un montant proportionnel à l’extrait d’article que Google republie chez lui, à côté de ses publicités, et dont de plus en plus de lecteurs se contentent (comme je l’ai détaillé dans ce commentaire sur LinuxFR.org).
Ça m’a fait bizarre, mais c’est Google que j’ai trouvé de bonne foi pour le coup : aucune raison de payer la rançon. Le géant américain a d’ailleurs simplement répliqué en retirant les extraits visés, en publiant des stats sur la faible consultation des résultats de Google News sans extrait, et en indiquant que pour un retour aux affaires il suffisait de préciser son accord via un fichier hébergé par chaque journal (une directive du fameux robot.txt).
En deux semaines la moitié des éditeurs avaient autorisé Google à reprendre gratuitement les extraits, au bout d’un mois tous avaient rejoint le rang. Tout ce travail législatif international pour en arriver là : un communiqué de presse du moteur de recherche et des redditions sans condition de la presse.
Aujourd’hui c’est facile à dire, mais je pense que les éditeurs n’ont pas pris le bon chemin… Au lieu d’essayer de jouer au plus malin et de perdre magistralement5, ils devraient chercher à s’émanciper de cet intermédiaire qui valorise sa pub avec leurs contenus. Un moyen de se débarrasser de cet intermédiaire, ce serait de développer eux-mêmes un Meta-Press.es, rien ne l’empêche techniquement. Après, j’ai quelques années d’avance, mais rien ne les empêche non plus de me soutenir.
Je me suis logiquement fait quelques sueurs froides, inquiet de voir bouger l’horizon juridique d’un projet sur lequel je me suis attelé depuis plusieurs années. Mais je vais pouvoir laisser les extraits de résultats de recherche dans Meta-Press.es, car cet outil n’entre pas dans le périmètre d’application de la loi, qui ne vise que les plateformes commerciales, ce que n’est pas Meta-Press.es. De plus, Meta-Press.es ne publie rien, tout se passe entre le navigateur d’un internaute et les journaux, pas d’intermédiaire.
Pas d’intermédiaire, mais plein d’idées pour continuer le développement de l’outil ?
Ça oui ! À commencer par l’indispensable mise en place d’un cadriciel (framework) de test automatisé des sources, pour tenir toute la collection à jour en détectant celles dont la présentation des résultats a changé et doit être revue.
Ensuite, j’ai déjà évoqué l’ajout d’un format d’export CSV ou la présentation de l’extension sur écran de téléphone, mais l’outil pourrait par exemple également être internationalisé pour en diffuser plus largement l’usage.
Une grande idée serait d’implémenter un test de rapidité de réponse des sources, pour ne retenir que les sources qui répondent rapidement chez vous.
La possibilité de récupérer plus que les 10 derniers résultats de chaque source est également sur les rails, et en fait malheureusement, la TODO-list du projet ne fait que s’agrandir au fur et à mesure que je travaille à la réduire…
Comment vois-tu la suite pour Meta-presse.es ?
Meta-Press.es n’est pas une grande menace pour Google, mais c’est une alternative techniquement viable.
Il faut maintenant faire l’inventaire des journaux du monde6 et mettre cet index en commun dans le dépôt des sources de Meta-Press.es. Je n’y arriverai pas seul, mais je suis bien déterminé à faire cette part de dé-Google-isation de l’internet7 et à la faire bien, dans la plus pure tradition Unix (une chose à la fois, mais bien faite).
Cela fait déjà des années que je travaille sur Meta-Press.es et je porterai ce projet le plus loin possible. Avec moi une contribution n’est jamais gaspillée. Alors je compte sur vous pour m’aider à indexer la presse en ligne.
Je vous encourage à bidouiller votre source préférée et à me l’envoyer si elle fonctionne ou si vous avez besoin d’un coup de pouce pour terminer. Indiquez-moi par courriel les sources à flux RSS que vous avez trouvées car elles sont très rapides à intégrer, et normalement stables dans le temps8.
Cet inventaire, réalisé pour un projet libre et fait dans un format standard (JSON) sera réutilisable à volonté. C’est une autre garantie qu’aucune contribution ne sera perdue.
D’autres malices dans ta boîte à projets ?
Avec les connaissances acquises en développement d’extension pour Firefox, il y a d’autres problèmes auxquels j’aimerais proposer des solutions… Je pense par exemple au paiement en ligne sur le Web. C’est parce qu’il n’y a pas de moyen simple de payer en un clic que la plupart des éditeurs de contenus s’empressent de grever leurs œuvres de publicité, parce que ça, au moins, ça rapporte, et sans trop d’efforts.
Une solution pourrait être proposée sous la forme d’une extension de Firefox. Une extension qui lirait le contenu des liens affublés du protocole payto : (comme il existe déjà le mailto :), ouvrirait une fenêtre de sélection de banque, proposerait de vous loguer sur votre compte via le site officiel de votre banque, et vous avancerait en lecture rapide jusqu’à la validation d’un virement bancaire, pour le destinataire précisé dans le lien payto :, pour le montant, le libellé et la devise précisée.
Dans l’idéal, les banques proposeraient une interface pour faire ça facilement, mais elles ne le font pas, et on n’en a pas forcément besoin pour que ça marche, il suffit d’arpenter leur interface web comme on le fait pour les résultats de recherche des journaux avec Meta-Press.es.
Coupler cette idée avec les virements rapides que les banques sont en train de concéder pour faire face au Bitcoin, et voilà, le Web serait réparé…
S’il y a des financeurs que ça intéresse, moi je sais faire…
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]]>Dans un article assez lucide de son blog que nous reproduisons ici, Dada remue un peu le fer dans la plaie.
Faiblesse économique du Libre, faiblesse encore des communautés actives dans le développement et la maintenance des logiciels et systèmes, manque de visibilité hors du champ de perception de beaucoup de DSI. En face, les forces redoutables de l’argent investi à perte pour tuer la concurrence, les forces tout aussi redoutables des entreprises-léviathans qui phagocytent lentement mais sûrement les fleurons du Libre et de l’open source…
Lucide donc, mais aussi tout à fait convaincu depuis longtemps de l’intérêt des valeurs du Libre, Dada appelle de ses vœux l’émergence d’entreprises éthiques qui permettraient d’y travailler sans honte et d’y gagner sa vie décemment. Elles sont bien trop rares semble-t-il.
D’où ses interrogations, qu’il nous a paru pertinent de vous faire partager. Que cette question cruciale soit l’occasion d’un libre débat : faites-nous part de vos réactions, observations, témoignages dans les commentaires qui comme toujours sont ouverts et modérés. Et pourquoi pas dans les colonnes de ce blog si vous désirez plus longuement exposer vos réflexions.
Republication de l’article original publié sur son blog
Avec des projets plein la tête, ou plutôt des envies, et le temps libre que j’ai choisi de me donner en n’ayant pas de boulot depuis quelques mois, j’ai le loisir de m’interroger sur l’économie du numérique. Je lis beaucoup d’articles et utilise énormément Mastodon pour me forger des opinions.
Ce billet a pour origine cet entretien de Frédéric Fréry sur France Culture : Plus Uber perd, plus Uber gagne.
Je vous invite à vraiment prendre le temps de l’écouter, c’est franchement passionnant. On y apprend, en gros, que l’économie des géants du numérique est, pour certains, basée sur une attitude extrêmement agressive : il faut être le moins cher possible, perdre de l’argent à en crever et lever des fonds à tire-larigot pour abattre ses concurrents avec comme logique un pari sur la quantité d’argent disponible à perdre par participants. Celui qui ne peut plus se permettre de vider les poches de ses actionnaires a perdu. Tout simplement. Si ces entreprises imaginent, un jour, remonter leurs prix pour envisager d’être à l’équilibre ou rentable, l’argument du « ce n’est pas possible puisque ça rouvrira une possibilité de concurrence » sortira du chapeau de ces génies pour l’interdire. Du capitalisme qui marche sur la tête.
La deuxième grande technique des géants du numérique est basée sur la revente de statistiques collectées auprès de leurs utilisateurs. Ces données privées que vous fournissez à Google, Facebook Inc,, Twitter & co permettent à ces sociétés de disposer d’une masse d’informations telle que des entreprises sont prêtes à dégainer leurs portefeuilles pour en dégager des tendances.
Je m’amuse souvent à raconter que si les séries et les films se ressemblent beaucoup, ce n’est pas uniquement parce que le temps passe et qu’on se lasse des vieilles ficelles, c’est aussi parce que les énormes investissements engagés dans ces productions culturelles sont basés sur des dossiers mettant en avant le respect d’un certain nombre de « bonnes pratiques » captant l’attention du plus gros panel possible de consommateurs ciblés.
Avec toutes ces données, il est simple de savoir quel acteur ou quelle actrice est à la mode, pour quelle tranche d’âge, quelle dose d’action, de cul ou de romantisme dégoulinant il faut, trouver la période de l’année pour la bande annonce, sortie officielle, etc. Ça donne une recette presque magique. Comme les investisseurs sont friands de rentabilité, on se retrouve avec des productions culturelles calquées sur des besoins connus : c’est rassurant, c’est rentable, c’est à moindre risque. Pas de complot autour de l’impérialisme américain, juste une histoire de gros sous.
Cette capacité de retour sur investissement est aussi valable pour le monde politique, avec Barack OBAMA comme premier grand bénéficiaire ou encore cette histoire de Cambridge Analytica.
C’est ça, ce qu’on appelle le Big Data, ses divers intérêts au service du demandeur et la masse de pognon qu’il rapporte aux grands collecteurs de données.
Une troisième technique consiste à reprendre les données collectées auprès des utilisateurs pour afficher de la pub ciblée, donc plus efficace, donc plus cher. C’est une technique connue, alors je ne développe pas. Chose marrante, quand même, je ne retrouve pas l’étude (commentez si vous mettez la main dessus !) mais je sais que la capacité de ciblage est tellement précise qu’elle peut effrayer les consommateurs. Pour calmer l’angoisse des internautes, certaines pubs sans intérêt vous sont volontairement proposées pour corriger le tir.
Une autre technique est plus sournoise. Pas pour nous autres, vieux loubards, mais pour les jeunes : le placement produit. Même si certain Youtubeurs en font des blagues pas drôles (Norman…), ce truc est d’un vicieux.
Nos réseaux sociaux n’attirent pas autant de monde qu’espéré pour une raison assez basique : les influenceurs et influenceuses. Ces derniers sont des stars, au choix parce qu’ils sont connus de par leurs activités précédentes (cinéma, série, musique, sport, etc.) ou parce que ces personnes ont réussi à amasser un tel nombre de followers qu’un simple message sur Twitter, Youtube ou Instagram se cale sous les yeux d’un monstrueux troupeau. Ils gagnent le statut d’influenceur de par la masse de gens qui s’intéresse à leurs vies (lapsus, j’ai d’abord écrit vide à la place de vie). J’ai en tête l’histoire de cette jeune Léa, par exemple. Ces influenceurs sont friands de plateformes taillées pour leur offrir de la visibilité et clairement organisées pour attirer l’œil des Directeurs de Communication des marques. Mastodon, Pixelfed, diaspora* et les autres ne permettent pas de spammer leurs utilisateurs, n’attirent donc pas les marques, qui sont la cible des influenceurs, ces derniers n’y dégageant, in fine, aucun besoin d’y être présents.
Ces gens-là deviennent les nouveaux « hommes-sandwichs ». Ils ou elles sont contacté⋅e⋅s pour porter tel ou tel vêtement, boire telle boisson ou pour seulement poster un message avec le nom d’un jeu. Les marques les adorent et l’argent coule à flot.
Bref, l’économie du numérique n’est pas si difficile que ça à cerner, même si je ne parle pas de tout. Ce qui m’intéresse dans toutes ces histoires est la stabilité de ces conneries sur le long terme et la possibilité de proposer autre chose. On peut attendre que les Uber se cassent la figure calmement, on peut attendre que le droit décide enfin de protéger les données des utilisateurs, on peut aussi attendre le jour où les consommateurs comprendront qu’ils sont les seuls responsables de l’inintérêt de ce qu’ils regardent à la télé, au cinéma, en photos ou encore que les mastodontes du numérique soient démantelés. Bref, on peut attendre. La question est : qu’aurons-nous à proposer quand tout ceci finira par se produire ?
Après la FinTech, la LegalTech, etc, faites place à la LowTech ou SmallTech. Je ne connaissais pas ces expressions avant de tomber sur cet article dans le Framablog et celui de Ubsek & Rica d’Aral. On y apprend que c’est un mouvement qui s’oppose frontalement aux géants, ce qui est fantastique. C’est une vision du monde qui me va très bien, en tant que militant du Libre depuis plus de 10 ans maintenant. On peut visiblement le rapprocher de l’initiative CHATONS.
Cependant, j’ai du mal à saisir les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour sa réussite.
Les mentalités actuelles sont cloisonnées : le Libre, même s’il s’impose dans quelques domaines, reste mal compris. Rien que l’idée d’utiliser un programme au code source ouvert donne des sueurs froides à bon nombre de DSI. Comment peut-on se protéger des méchants si tout le monde peut analyser le code et en sortir la faille de sécurité qui va bien ? Comment se démarquer des concurrents si tout le monde se sert du même logiciel ? Regardez le dernier changelog : il est plein de failles béantes : ce n’est pas sérieux !
Parlons aussi de son mode de fonctionnement : qui se souvient d’OpenSSL utilisé par tout le monde et abandonné pendant des années au bénévolat de quelques courageux qui n’ont pas pu empêcher l’arrivée de failles volontaires ? Certains projets sont fantastiques, vraiment, mais les gens ont du mal à réaliser qu’ils sont, certes, très utilisés mais peu soutenus. Vous connaissez beaucoup d’entreprises pour lesquelles vous avez bossé qui refilent une petite partie de leurs bénéfices aux projets libres qui les font vivre ?
Les gens, les éventuels clients des LowTech, ont plus ou moins grandi dans une société du gratuit. L’autre jour, je m’amusais à comparer les services informatiques à la Presse. Les journaux ont du mal à se sortir du modèle gratuit. Certains y arrivent (Mediapart, Arrêts sur Image : abonnez-vous !), d’autres, largement majoritaires, non.
Il n’est pas difficile de retrouver les montants des subventions que l’État français offre à ces derniers. Libération en parle ici. Après avoir noué des partenariats tous azimuts avec les GAFAM, après avoir noyé leurs contenus dans de la pub, les journaux en ligne se tournent doucement vers le modèle payant pour se sortir du bourbier dans lequel ils se sont mis tout seuls. Le résultat est très moyen, si ce n’est mauvais. Les subventions sont toujours bien là, le mirage des partenariats avec les GAFAM aveugle toujours et les rares qui s’en sont sortis se comptent sur les doigts d’une main.
On peut faire un vrai parallèle entre la situation de la Presse en ligne et les services numériques. Trouver des gens pour payer l’accès à un Nextcloud, un Matomo ou que sais-je est une gageure. La seule différence qui me vient à l’esprit est que des services en ligne arrivent à s’en sortir en coinçant leurs utilisateurs dans des silos : vous avez un Windows ? Vous vous servirez des trucs de Microsoft. Vous avez un compte Gmail, vous vous servirez des trucs de Google. Les premiers Go sont gratuits, les autres seront payants. Là où les journaux généralistes ne peuvent coincer leurs lecteurs, les géants du numérique le peuvent sans trop de souci.
Dans tout ça, les LowTech libres peuvent essayer de s’organiser pour subvenir aux besoins éthiques de leurs clients. Réflexion faite, cette dernière phrase n’a pas tant que ça de sens : comment une entreprise peut-elle s’en sortir alors que l’idéologie derrière cette mouvance favorise l’adhésion à des associations ou à rejoindre des collectifs ? Perso, je l’ai déjà dit, j’adhère volontiers à cette vision du monde horizontale et solidaire. Malgré tout, mon envie de travailler, d’avoir un salaire, une couverture sociale, une activité rentable, et peut-être un jour une retraite, me poussent à grimacer. Si les bribes d’idéologie LowTech orientent les gens vers des associations, comment fait-on pour sortir de terre une entreprise éthique, rentable et solidaire ?
On ne s’en sort pas, ou très difficilement, ou je n’ai pas réussi à imaginer comment. L’idée, connue, serait de s’attaquer au marché des entreprises et des collectivités pour laisser celui des particuliers aux associations sérieuses. Mais là encore, on remet un pied dans le combat pour les logiciels libres contre les logiciels propriétaires dans une arène encerclée par des DSI pas toujours à jour. Sans parler de la compétitivité, ce mot adoré par notre Président, et de l’état des finances de ces entités. Faire le poids face à la concurrence actuelle, même avec les mots « éthique, solidaire et responsable » gravés sur le front, n’est pas évident du tout.
Si je vous parle de tout ça, c’est parce que j’estime que nous sommes dans une situation difficile : celle d’une proie. Je ne vais pas reparler de l’achat de Nginx, de ce qu’il se passe avec ElasticSearch ou du comportement de Google qui forke à tout va pour ses besoins dans Chrome. Cette conférence vue au FOSDEM, The Cloud Is Just Another Sun, résonne terriblement en moi. L’intervenant y explique que les outils libres que nous utilisons dans le cloud sont incontrôlables. Qui vous certifie que vous tapez bien dans un MariaDB ou un ES quand vous n’avez accès qu’a une boite noire qui ne fait que répondre à vos requêtes ? Rien.
Nous n’avons pas trouvé le moyen de nous protéger dans le monde dans lequel nous vivons. Des licences ralentissent le processus de digestion en cours par les géants du numérique et c’est tout. Notre belle vision du monde, globalement, se fait bouffer et les poches de résistance sont minuscules.
Pour finir, ne mettons pas complètement de côté l’existence réelle d’un marché : Nextcloud en est la preuve, tout comme Dolibarr et la campagne de financement réussie d’OpenDSI. Tout n’est peut-être pas vraiment perdu. C’est juste très compliqué.
La bonne nouvelle, s’il y en a bien une, c’est qu’en parlant de tout ça dans Mastodon, je vous assure que si une entreprise du libre se lançait demain, nous serions un bon nombre prêt à tout plaquer pour y travailler. À attendre d’hypothétiques clients, qu’on cherche toujours, certes, mais dans la joie et la bonne humeur.
Enfin voilà, des réflexions, des idées, beaucoup de questions. On arrive à plus de 1900 mots, de quoi faire plaisir à Cyrille BORNE.
Des bisous.
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Il y a un an, le site d’informations sur le numérique NextINpact publiait une annonce à contre-courant : davantage de respect pour les données des internautes qui le visitent, en dé-tricotant les mailles du profilage publicitaire sur son site.
À l’heure où les éditeurs de contenus cherchent à « optimiser » leurs revenus par une publicité de plus en plus intrusive, et où les publicitaires cherchent à maximiser le profilage et l’invisibilisation de la publicité, c’est une démarche pour le moins originale que de se dégoogliser de l’analytics en passant au logiciel libre Piwik… (si vous ne comprenez pas cette phrase, promis, juré, on l’explique plus loin !)
Quel modèle économique pour un site qui veut à la fois payer les salaires de ses journalistes, collaborateurs, administratifs tout en affirmant ses valeurs et respectant les données et les vies numériques de son lectorat ?
Un an plus tard, nous sautons sur l’occasion d’interroger l’équipe de Next INpact sur le bilan tiré de cette démarche, et les perspectives qui l’accompagnent.
Bonjour NextINpact ! Pouvez-vous rapidement nous présenter votre équipe et votre site ?
Bonjour Framasoft ! Next INpact est un site dédié à l’informatique et au numérique qui existe depuis plus de 15 ans. Il a été créé par Christophe Neau sous le nom d’INpact Hardware en 2000. Il s’agissait alors pour une bande de passionnés de nouvelles technologies et de matériel informatique de partager les informations qu’ils glanaient au quotidien. Et même des vidéos rigolotes à travers nos fameux LIDD diffusés chaque dimanche, et depuis référencés sur un site.
Devant le succès du projet une société a été créée en 2003, le site est alors devenu PC INpact, puis Next INpact en 2014. Une manière pour nous de prendre en compte l’évolution majeure du secteur qui infuse notre quotidien bien au-delà du simple ordinateur qui trône dans le salon familial, le bureau ou la chambre des enfants. Christophe est toujours le gérant majoritaire de la société. Il détient 76 % des parts. Next INpact est donc l’un des rares sites de presse indépendants qui traite du numérique en France. Nous proposons aussi une offre d’abonnement Premium depuis 2009.
Notre vision du numérique est assez large, et ce depuis des années. Si nous nous sommes rapidement ouverts aux questions logicielles et aux problématiques d’hégémonies, c’est notre analyse de l’environnement juridique qui a fait notre différence lors de cette décennie. DADVSI, LCEN, HADOPI sont autant d’acronymes qui ont rythmé les débats parlementaires tout en secouant le secteur. Tout comme l’ont fait des lois plus récentes sur le renseignement par exemple. Nous avons toujours eu à cœur de suivre ces débats de près, de les analyser sur le fond, et de donner à chacun les clés lui permettant de se faire sa propre idée.
Nous avons toujours eu une démarche journalistique. La société a été créée comme SARL de presse dès 2003, nous avons toujours appliqué la convention collective du secteur et notre rédaction compte une dizaine de journalistes, dont une bonne partie est là depuis le début du projet. C’est notamment le cas de Marc Rees, Vincent Hermann ou David Legrand qui sont là depuis plus de 10 ans. Mais l’équipe se compose au total d’une quinzaine de personnes (développeurs, graphistes, direction, etc.) Nous sommes reconnus comme site de presse en ligne depuis quelques années maintenant, et comme titre consacré pour partie à l’Information Politique et Générale depuis l’année dernière. Nous sommes aussi membres du SPIIL (Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne).
L’autre aspect important du projet est sa communauté. Nous sommes nés sur un slogan : « Si tu ne sais pas, demande. Si tu sais, partage ». Notre communauté a toujours été importante pour nous et nous avons toujours placé le respect de nos lecteurs assez haut dans l’échelle de nos valeurs. Ce qui explique nombre de nos choix à travers le temps.
C’est aussi grâce à notre communauté que nous continuons d’exister car, plus que notre audience, elle constitue aussi notre base d’abonnés et de soutien qui permettent d’assurer notre financement et notre rentabilité. Car oui, nous sommes rentables (à deux exercices près depuis 2003).
Commençons par la technique : il y a un an, vous avez choisi de passer de Google Analytics (outil d’analyse du comportement des internautes sur votre site, fourni par Google) à Piwik (logiciel libre permettant des analyses similaires, que nous utilisons aussi chez Framasoft)… Quel travail cela vous a-t-il demandé et quelles conséquences voyez-vous un an après ?
Historiquement nous utilisions Google Analytics pour une raison simple : l’outil est complet, gratuit et plutôt efficace. Mais il nous faut assurer une certaine cohérence. Nous ne pouvons pas avoir un regard critique sur le tracking de masse opéré par le secteur publicitaire et les GAFA sans regarder ce qu’il se passe à notre propre échelle. Analytics, comme d’autres scripts du genre, est ainsi une solution permettant à des sociétés de suivre les internautes de manière presque constante avec l’aide des sites. C’est d’ailleurs le manque de remise en question des éditeurs sur ces problématiques qui incite les lecteurs à utiliser des bloqueurs en tous genres, et les navigateurs à renforcer la mise en place de leurs solutions « anti-tracking » (comme le fait Mozilla depuis quelque temps maintenant).
Nous avons donc procédé en plusieurs étapes ces dernières années afin d’en arriver à la situation actuelle. Nous avons tout d’abord permis à nos abonnés de se passer de l’ensemble de ce qui pouvait être assimilé à des trackers sur nos pages. Outre la publicité, cela comprenait les scripts Analytics et de calcul des partages sur les réseaux sociaux. Une partie de ces options était ouverte à tous nos membres. Nous avons ensuite pris en compte le signal Do Not Track pour cette désactivation afin que même ceux qui ne disposent pas d’un compte puisse en profiter.
Mais soyons honnêtes. Pour un éditeur, disposer de statistiques fiables est important. Cela nous permet de comprendre comment les lecteurs utilisent le site, quels sont les contenus les plus lus, depuis quelles sources, etc. Ici, l’analyse ne se fait pas au niveau de chaque lecteur mais bien sur une tendance globale et sur des données anonymes. Pendant longtemps, nous avons été sans vraiment de solution alternative à Analytics. Lors de nos échanges avec la CNIL sur la question des cookies, nous avons eu l’occasion de découvrir le projet, et de le tester. Une fois qu’il nous a paru suffisamment mature, nous l’avons mis en place.
Nous l’avons d’ailleurs fait en suivant les recommandations de la CNIL qui impose notamment de ne pas récupérer les IP entières. Cela n’empêche pourtant pas des listes comme Easy Privacy de bloquer le script, ce qui ne nous permet pas de connaître le niveau de notre audience totale. Preuve que les engagements en matière de respect de la vie privée ne sont pas toujours reconnus.
Il n’y avait pas de défi technique particulier, mais il ne faut pas s’attendre à voir une majorité d’éditeurs l’utiliser demain. Ne serait-ce que pour les interactions qui existent entre Analytics et des solutions comme Adwords/Adsense ou des fonctionnalités très avancées qui ne sont pas encore en place dans un outil comme Piwik.
Au final, le problème nous semble plutôt se situer du côté du fait que Google peut utiliser les données d’Analytics pour les recouper. La CNIL devrait imposer que ce ne soit pas le cas à tout dispositif d’analyse des statistiques. Car si l’on focalise sur Analytics, nombreux sont les autres outils du genre qui font la même chose à moindre échelle.
Question technique (parce qu’il y en a un chez nous qui n’est content que quand ça parle de technique) : j’imagine que pour encaisser un trafic de la taille du vôtre, il a fallu configurer Piwik aux petits oignons. Nous c’est le plugin QueuedTracking qui nous a sauvé la mise. Et vous ? Vous auriez une petite recette magique à partager ?
Pierre-Alain (notre CTO) a un mantra : REDIS POWA !
Vous êtes allés plus loin en activant le HTTPS (connexion sécurisé sur votre site) et la prise en compte de DoNotTrack (option du navigateur pour demander aux sites de ne pas traquer nos données). Est-ce un choix évident pour un éditeur de contenus ? Un an après, quelles conclusions pouvez-vous en tirer ?
Là encore, il s’agissait d’une réflexion sur le long terme et d’une volonté de faire mieux pour le lecteur, tout en étant cohérents avec nos propres analyses. Pour HTTPS, notre premier souci était de sécuriser la phase de connexion à nos sites. En effet, encore maintenant lorsque vous entrez un mot de passe dans un formulaire de connexion, celui-ci est souvent transmis en clair dans une requête HTTP. Si vous êtes chez vous sur un réseau filaire, ce n’est pas tellement un souci. Mais dans un environnement Wi-Fi, potentiellement public (et donc non chiffré, en entreprise, etc.), cela peut être un danger, que les navigateurs commencent seulement à mettre en avant de manière assez discrète.
Lors de la préparation de la mise en place de la v6 du site début 2014, nous avons donc séparé notre gestionnaire de compte et d’abonnement qui est passé intégralement en HTTPS. Ce choix là ne devrait pas avoir à être évident ou non, tous les sites qui proposent une connexion devraient le faire avec HTTPS d’activé, et tous les navigateurs devraient afficher une alerte importante lorsque ce n’est pas le cas.
Ensuite nous avons migré nos abonnés Premium. Pourquoi eux seulement ? En raison de la publicité. Comme nombre d’éditeurs, notre régie ne supportait pas HTTPS, et l’activer pour tous les utilisateurs revenait à se couper de ces revenus, et donc à mettre la clef sous la porte. Cela nous permettait aussi de tester l’impact sur notre site (performances, mixed content, etc.) sur une partie de l’audience seulement. Nous avons donc fait au mieux, et même développé notre propre solution de distribution de la publicité que nous testons depuis quelques mois. Entre temps, notre prestataire a activé un support d’HTTPS que nous avons pu généraliser à la fin de l’année dernière.
Concernant Do Not Track, cela découle aussi de nos échanges avec la CNIL qui est active sur ce terrain même si ce n’est pas toujours très visible. Cela nous permet de respecter une volonté exprimée de l’utilisateur. On ne peut d’ailleurs que regretter que le standard ne soit pas plus complet et finalisé, afin qu’il puisse être réellement exploitable. Avec la mise en place du règlement européen sur les données, ce serait pourtant un formidable outil. De notre côté, nous avons la volonté de l’étendre ne serait-ce que pour bloquer certains modules intégrés parfois à nos contenus sans action de l’utilisateur (tweets, vidéos, etc.). Mais cela nous demande une modification technique un peu lourde, il faudra donc attendre encore un peu.
Enfin, vous n’avez pas aboli la publicité sur votre site, mais l’avez radicalement modifiée afin d’avoir des pratiques responsables. C’est quoi, selon vous, une publicité numérique responsable, et est-ce que les annonceurs publicitaires jouent le jeu ou le boudent ?
C’est une bonne question. Il y a sans doute autant de définitions de la publicité responsable qu’il y a d’acteurs qui proposent des solutions publicitaires. On a d’ailleurs déjà vu certains acteurs vanter leur nouvelle trouvaille vidéo comme un meilleur respect de l’internaute malgré une lecture automatique. Un comble, non ?
De notre côté nous avons constamment renforcé notre attention sur ce sujet, quitte à parfois nous mettre des bâtons dans les roues économiquement.
La responsabilité au niveau publicitaire se situe selon nous à deux niveaux : au niveau des formats mais aussi de l’image du site et de sa rédaction.
Ainsi, avec le temps nous avons banni de nombreuses solutions : Flash, interstitiels, vidéos, campagnes avec du son, etc. Plus récemment, notre engagement a été simple : des images fixes, pas de trackers. Si sur ce dernier point nous sommes en train de mettre la dernière touche, vous pouvez aller sur Next INpact et regarder le compteur, même sans DNT vous serez entre 0 et 5 trackers avec presque aucun cookie inutile. Tentez de faire la même chose avec le site d’un grand média national. Vous aurez de quoi vous faire peur tant ils ne maîtrisent plus ce qu’ils diffusent sur leurs sites.
Le second point est celui de l’éthique. Il y a quelques années, des marques sont venues nous voir pour nous demander de diffuser des publicités dans des formats qui ressemblent à des articles, vantant leur produit. Nous avons toujours refusé. L’histoire nous a montré depuis que cela n’a pas été le choix de tous, et que la frontière entre l’information et la publicité est de plus en plus poreuse, sans toujours une très grande clarté. Mais quand bien même cela serait indiqué, l’internaute peut être trompé par ce genre de dispositif. Nous nous y refusons donc malgré leur côté diablement lucratif.
Lorsque nous avons compris que ce choix aurait un impact sur nos finances en 2013, nous avons fait un pari : celui de renforcer la qualité de notre offre éditoriale et de limiter l’accès à certains de nos contenus à nos seuls abonnés Premium pendant une durée d’un mois. Aujourd’hui, nous comptons plus de 6500 abonnés (contre moins de 1000 au début de l’aventure).
Il ne faut pas oublier que la course à la publicité est aussi la course à l’audience.
On parle depuis quelque temps des « fakes news » et autre « clickbait ». Ils ne sont que le résultat de ça. La plupart des articles diffusés aujourd’hui sur des sites ne sont pas le résultat d’un choix éditorial animé par la volonté de faire connaître une information. Seulement la réponse à une question simple : « avec quels titres vais-je pouvoir faire venir des millions d’internautes sur mon site aujourd’hui, ne serait-ce que quelques secondes ? »
C’est aussi pour cela que l’on assiste à une baisse de qualité globale dans le contenu des sites qui misent uniquement sur l’accès gratuit, alors que des sites comme Arrêt sur images, Les Jours ou même Mediapart rencontrent un franc succès.
La démarche de l’abonnement est différente. Vous devez convaincre votre lecteur de votre intérêt, de l’utilité de votre démarche. Pour cela, il faut produire du contenu de fond (fut-il en accès libre, ce qui est le cas de nos analyses sur les élections ou la question du chiffrement par exemple).
Quelle a été la réaction de votre lectorat à une telle annonce ? Cela a-t-il évolué en un an ?
Notre lectorat accueille forcément bien ce genre de nouvelles. Pour nous, le défi c’est de réussir à satisfaire notre communauté et à suivre notre voie, tout en gardant un modèle économique viable. Ce n’est pas toujours simple. Car aller rencontrer des annonceurs en leur proposant de simples images alors que d’autres proposent des habillages vidéo vendus aux enchères avec un ciblage parfois très avancé, ce n’est forcément pas à notre avantage.
Mais certains annonceurs sont aussi sensibles à ces questions. L’IAB est d’ailleurs l’un des acteurs qui avance le plus dans le même sens que nous. Malheureusement, ils sont largement en avance sur les mentalités de leurs membres et du secteur.
Il faut dire que la publicité n’est pas la seule source de revenu et de soutien pour votre site… Vous pouvez nous décrire votre modèle économique ?
Comme évoqué précédemment, nous proposons un abonnement Premium depuis 2009. Celui-ci représente désormais un quart de notre chiffre d’affaires. Le reste est partagé entre la publicité et nos autres services (bons plans et comparateurs que nous proposons en y infusant nos valeurs).
Nous ne demandons, ni ne touchons aucune aide directe de l’état ou de fonds privés (comme ceux de Google, de la fondation Gates, etc.)
La-question-qui-pique : si certains de vos articles sont financés par la communauté, via des abonnements, est-ce qu’il ne vous parait pas logique de les reverser à la communauté, par le biais de licences libres ?
La question est tout à fait légitime, au contraire. Pour autant, il ne faut pas oublier que les articles financés par les abonnés ne le sont pas par la communauté au sens large, la question d’une licence libre ou non n’est donc pas lié à notre modèle. Nous avons d’ailleurs fait le choix d’opter pour un paywall qui n’est pas permanent puisqu’au bout d’un mois maximum, tous nos articles sont en accès libre. Nous faisons aussi le choix de laisser dès le départ certains articles en accès libre lorsqu’ils nous paraissent d’intérêt public.
Concernant le choix d’une licence libre, c’est une question qui s’est posée un temps en interne, mais qui n’a jamais été vraiment tranchée. Notamment parce que notre matière est principalement de l’actualité chaude, qui ne fait que rarement l’objet de reprises globales. Nous avons néanmoins une pratique assez ouverte sur ce point. Outre le droit de courte citation propre à la presse, nous ne refusons jamais une reprise non commerciale, ou dans des manuels scolaires, etc.
Mais avec la montée en puissance des dossiers au long court, comme celui qui est actuellement en diffusion sur la question du chiffrement, la question s’est à nouveau posée à nous. Nous tenterons d’y apporter une réponse, notamment à travers certains de nos projets.
Ces choix que vous avez appliqués se veulent respectueux de la vie numérique des internautes… Mais vous allez plus loin en souhaitant que d’autres sites web / éditeurs de contenus vous rejoignent et en proposant de les accompagner dans cette démarche. Cela s’est fait ? Si je fais partie de (au hasard) Madmoizelle ou de ArrêtsSurImages, comment je peux faire pour suivre votre exemple ?
Nous avons une approche assez ouverte de nos différentes démarches. C’est notamment le sens de notre implication au SPIIL ou à des conférences dans le secteur de la presse. À notre niveau, nous travaillons essentiellement sur des propositions techniques, comme notre solution de distribution de la publicité, ou notre projet d’abonnement unifié La Presse Libre. C’est aussi la mise en place de ces solutions que nos abonnés soutiennent puisque nous finançons tout en propre. Ainsi, les éditeurs qui veulent nous rejoindre dans notre démarche peuvent simplement venir nous rencontrer au SPIIL ou nous contacter.
Entre les bloqueurs de pubs (de type Ublock Origin), les anti-bloqueurs de pub qui fleurissent sur les sites web, et les anti-anti-bloqueurs de pubs… On a l’impression d’une course à l’armement dans un dialogue de sourds… Quelles évolutions voyez-vous dans ce domaine pour sortir de ce cercle vicieux ?
Nous avons du mal à être optimiste sur ce terrain. Déjà parce que les éditeurs sont encore relativement sourds sur ces questions et ont du mal à comprendre qu’ils sont les principaux artisans de leur malheur. Certes des acteurs comme l’IAB évoluent dans leur position, mais pas leurs membres et les acteurs du marché publicitaire. Preuve en est, les éditeurs en sont encore à miser sur le blocage de l’accès à leur site, proposant le plus souvent comme alternative des pages avec des centaines de trackers et de cookies tiers.
De l’autre, ceux qui gèrent les listes de blocage ne font pas toujours preuve d’un grand discernement. Ainsi, un site comme Next INpact, malgré ses engagements en termes de vie privée et de gestion raisonnable de la publicité sera bloqué comme n’importe quel autre via EasyList FR ou Easy Privacy. Si chacun dit être à l’écoute de l’internaute, nous avons du mal à voir la possibilité d’une conciliation, qui ne se décidera de toutes façons pas à notre niveau.
Nous traitons de ces questions d’un point de vue éditorial, nous cherchons à évangéliser les différents acteurs, nous multiplions les initiatives qui permettent de faire émerger des modèles hors de la simple publicité. Nous tentons de jouer notre rôle à notre niveau, en espérant que chacun finira par faire de même.
Un an après, est-ce que vous avez envie de rétro-pédaler, de simplement continuer comme ça parce que ma foi c’est déjà bien, ou d’aller encore plus loin dans votre démarche (et si oui comment) ?
Rétro-pédaler, sûrement pas. Mais nous réfléchissons constamment à trouver des manières d’améliorer les choses. ;)
En parallèle de cette évolution, vous avez voulu booster les sites web qui proposent de l’information sous abonnement avec le projet collectif La Presse Libre… C’est quoi, exactement ?
La Presse Libre est un projet sur lequel nous travaillons depuis plus de quatre ans maintenant. Il part d’un constat simple : le modèle de l’abonnement se généralise, mais il est souvent compliqué de sauter le pas, de trouver des sites qui proposent un tel modèle avec de l’information de qualité et aucun kiosque numérique n’existe pour les sites en ligne. Comme personne ne semblait décidé à le faire, et que nous ne voulions pas que cette absence d’initiative profite une fois de plus aux GAFA, nous avons décidé de créer notre propre plateforme.
Ainsi, vous pouvez vous abonner assez facilement à plusieurs sites de presse avec un seul paiement mensuel et une réduction. Avec un même budget vous pouvez donc soutenir plus de titres de presse. C’est sans engagement, vous pouvez ajouter ou retirer un site à tout moment et la grande majorité des revenus finance les éditeurs plutôt que la plateforme elle-même. Actuellement nous comptons six sites membres, mais nous espérons bien voir ce chiffre grossir cette année. Nous portons ce projet avec Arrêt sur images et Alternatives économiques avec qui nous avons créé un GIE afin de disposer d’une gestion collégiale.
Concrètement, si jamais on veut soutenir votre démarche, qu’est-ce qu’on peut faire ?
Abonnez-vous, surtout que l’on propose de superbes goodies ! Autrement, vous avez la possibilité de nous soutenir à travers le don via la plateforme J’aime l’info, qui est en partie défiscalisable en raison de notre statut de presse d’Information Politique et Générale.
La coutume sur le Framablog, c’est de vous laisser le mot de la fin…
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Comme une immense majorité de personnes qui se sont rassemblées, en France et dans le monde, à plusieurs reprises, depuis le 7 janvier, nous avons été sous le choc et dans l’incrédulité. Quels que soient nos parcours, quelles que soient nos positions, nos croyances, nos parti-pris, nous n’acceptons pas que l’on assassine 17 personnes au nom d’une conception du monde qu’il serait dangereux ou interdit de ne pas partager, de questionner, de moquer. Nous n’acceptons pas que l’on ait fait taire des voix et des plumes et que l’on ait pris pour cible ceux qui incarnaient Charlie Hebdo.
Nous ne l’acceptons pas mais il y a des morts aujourd’hui. Et les cadavres n’étaient même pas froids que déjà commençaient à se faire entendre les voix charognardes qui, au nom de la défense de la liberté et des valeurs républicaines, sont prêtes à restreindre nos libertés individuelles et collectives, comme par effet d’aubaine, comme s’ils n’attendaient que ça. [1]
Ils n’ont pas même attendu la fin du deuil officiel. Plus rapides que les événements en cours pour s’emparer de la tragédie et l’instrumentaliser, les politiques glapissants de l’obsession sécuritaire ont commencé à se répandre : « il nous faut renforcer notre arsenal sécuritaire », « il faudra bien entendu un Patriot Act à la française » (le tweet historique de Valérie Pécresse ), ou encore François Baroin qui laisse entendre au journal de France 2 ce dimanche qu’il va falloir mesurer quel degré d’acceptation aura la population de la restriction des libertés individuelles au profit de la sécurité (journal TV de 13h, vers la minute 48) etc. On peut être sûr que dès ce lundi, la surenchère sécuritaire va battre son plein.
En tant que membres d’une association qui vise à promouvoir le logiciel et la culture libres en s’efforçant de développer une éducation populaire, nous redoutons bien sûr de voir bridé et censuré ce qui est à nos yeux aujourd’hui le principal instrument de notre liberté à l’échelle de la planète : Internet.
Il nous semble donc urgent de dire avec force dès maintenant à quel point prendre pour cible cet outil précieux est à la fois inefficace et dangereux. Nous redoutons aussi l’usage immodéré qui pourrait être fait de nos données personnelles, notamment numériques, sans autorisation, sans que nous en soyons informés, sans qu’il soit possible d’exercer de contrôle. Déjà des voix s’élèvent parmi les défenseurs de nos libertés numériques (ne sont-elles pas devenues de facto des libertés fondamentales ?) mais seront-elles suffisantes pour contrebalancer le boucan médiatique qui va nous tympaniser ?
Un article récent du Point, pourtant peu suspect d’opinions gauchistes, expose bien ce qu’a été le Patriot Act et comment les dérives qui lui sont inhérentes, exposées par les révélations de Snowden, conduisent aujourd’hui l’opinion états-unienne à en remettre en question la nécessité :
le gouvernement avait une interprétation très vaste du Patriot Act qui lui permettait de collecter des informations sur des millions d’Américains sans lien avec le terrorisme. Selon un rapport du ministère de la Justice, les perquisitions secrètes servent surtout à coincer les trafiquants de drogue. En 2013, sur 11 129 demandes de perquisitions, seules 51 visaient des suspects de terrorisme.
Faut-il vraiment que les services qui veillent sur notre sécurité nationale aient un accès sans restriction ni contrôle judiciaire à toutes nos données personnelles ? Sans avoir à justifier que ces informations ont un quelconque rapport avec une enquête terroriste ? Faut-il croire aveuglément ou plutôt vouloir faire croire que le Patriot Act a été efficace, alors que nous avons encore en mémoire les attentats de Boston pour ne citer que ce terrible exemple ?
Que disent les responsables sérieux des forces de sécurité ? — Rien de tel : ils constatent qu’ils n’ont pas les moyens humains de surveiller et cibler le nombre à la fois limité mais inquiétant de personnes dangereuses susceptibles d’actes terroristes. Vous avez bien lu : ils ne réclament pas une surveillance généralisée ni la censure du Net (dont l’espace de communication leur est probablement au contraire un précieux moyen d’identifier les menaces) mais davantage de personnels formés et opérationnels pour mener cette lutte souterraine extrêmement compliquée et pour laquelle leur action est légitime et indispensable.
Alors qui veut vraiment que nous renoncions à nos libertés sous le prétexte d’obtenir davantage de sécurité ? Qui sont les vrais ennemis de notre liberté d’expression ?
Nous entamons aujourd’hui une série d’articles sur le sujet. Voici pour commencer une tribune libre de Christophe Masutti, à laquelle souscrit l’ensemble de l’association.
Les commentaires sont ouverts et seront modérés.
Une tribune libre de Christophe Masutti
Mercredi dernier, c’était mon anniversaire, j’ai eu 40 ans. Eh bien, des jours comme ça, je m’en serais bien passé.
Hier, c’était la barbarie : c’est Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Honoré, et d’autres acteurs de Charlie Hebdo [2] qui ont été lâchement assassinés dans les locaux du journal par deux gros cons, des beaufs, des salauds. Ils s’en sont pris à des dessinateurs qui ont largement contribué à la formation de ma propre pensée critique à travers la lecture régulière du journal. Des copains, nos copains.
Ce matin, j’ai la tête en vrac. J’ai à l’esprit ces mots de Ricœur qui définissait la démocratie par le degré de maturation d’une société capable de faire face à ses propres contradictions et les intégrer dans son fonctionnement. Au centre, la liberté d’expression, outil principal de l’exercice de la démocratie. À travers nos copains assassinés, c’est cette liberté qui est en jeu aujourd’hui. Ils exerçaient cette liberté par le crayon et le papier. L’arme absolue.
La liberté est insupportable pour les pseudos-religieux sectaires — et pour tout dire, une grosse bande de crétins — qui tentent de la faire taire à grands coups de Kalachnikov et de bombes sournoises. La liberté est insupportable pour les fachos et autres réacs de tout poil qui ne manqueront pas de s’engouffrer dans le piège grossier du repli et de la haine. La liberté est insupportable pour celui qui a peur.
Charlie Hebdo n’a pas vocation à incarner de grands symboles, au contraire, les dénoncer et faire tomber les tabous est leur principale activité. C’est justement parce que la mort de dessinateurs est aujourd’hui devenue un symbole universellement répété comme un mantra qu’il va falloir s’en méfier, car dans cette brèche s’engouffrent les tentatives protectionnistes et liberticides.
Car tel est le paradoxe de la peur appliqué aux outils de la liberté d’expression : ce qui menace vraiment la démocratie ne frappe pas forcément au grand jour…
Nous vivons depuis des années sous le régime des plans Vigipirate, des discours sécuritaires et du politiquement correct. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, la surveillance généralisée de nos moyens de communication s’est taillé une belle part de nos libertés, sans oublier les entreprises qui font leur beurre en vendant aux États (et pas toujours les plus démocratiques) des « solutions » clé en main. Des lois liberticides au nom de l’antiterrorisme sont votées sans réel examen approfondi par le Conseil Constitutionnel. En guise de contre-pouvoir, on nous refourgue généralement des administrations fantoches aux pouvoirs ridicules, des « Conseils » et des « Hauts Comités » des mes deux.
Mais le vrai contre-pouvoir, ce sont les copains de Charlie Hebdo et tous leurs semblables, journalistes ou caricaturistes, qui l’exercent, ou plutôt qui le formalisent pour nous, à travers leurs dessins et leurs textes. Le contre-pouvoir, c’est nous tous tant que nous n’oublions pas de penser et d’exprimer nos contradictions. Et pour maintenir la démocratie, nous devons disposer intégralement de nos moyens de communication dont il revient à l’État de garantir la neutralité et la libre disposition.
Demain, nous risquons de nous retrouver tous en garde à vue et pas seulement à cause des terroristes. C’est là tout le paradoxe. La terreur est aussi bien instrumentalisée par les assassins que par certains membres de la classe politique, et pas seulement à droite. Tous sont prêts à brider et tenir en laisse notre liberté pour maintenir leurs intérêts électoraux ou d’autres intérêts financiers. La contrainte à laquelle ils veulent nous soumettre, c’est l’obligation du choix : il faudrait choisir entre la liberté et la dictature, entre la liberté et la peur, entre la liberté et l’esclavage, avec à chaque fois un peu de nos libertés qui s’envolent.
Non ! Assez ! Stop ! je suis pour la liberté sans concession. Une liberté obligatoire, une liberté que l’on assène sans contrepartie. Je suis un radical du papier, un ayatollah de la liberté d’expression, un taliban des communications ouvertes, un nazi des protocoles informatiques libres, un facho de la révélation snowdenienne ! Du moins je voudrais l’être, nous devrions tous l’être. Et sans avoir peur.
Je suis né il y a 40 ans, et cela fait presque autant de temps que se sont développés autour de moi des supports de communication qui sont autant de moyens d’exercices de la liberté d’expression. Comme beaucoup, j’oublie souvent que rien n’est acquis éternellement, que nos libertés sont le fruit de luttes permanentes contre ceux qui voudraient nous en priver.
La boucherie de la semaine dernière nous l’a cruellement rappelé.
Crédit image
Photo d’un graf mural à Saint-Nazaire, par bmanolea (CC BY 2.0)
Edit du 20 août : L’article Logiciels à l’ère libre est désormais en ligne sur le site de Libération (voir aussi La règle de quatre du logiciel libre).
Allez, aujourd’hui on achète la version papier du journal Libération, on le partage avec ses proches non initiés, puis on le garde précieusement dans ses archives !
De mémoire, c’est en effet la première fois qu’un grand média consacre ainsi 3 pleines pages (et sa Une) au logiciel libre.
D’autant que le propos est fort clair et bien construit : explication, historique, évolution et situation actuelle… Avec des témoignages de Tristan Nitot, Jean-Baptiste Kempf (de VLC) et votre serviteur pour Framasoft.
Je l’ai fait lire à ma mère qui m’a dit que c’était peut-être la première fois qu’elle comprenait vraiment ce que je faisais, c’est vous dire…
L’article se termine avec cette citation de Tristan Nitot : « La clé de voûte de notre mouvement, c’est la liberté de l’utilisateur, et cette liberté n’a jamais été autant menacée. On a changé de paradigme : aujourd’hui, il faut que la communauté du logiciel libre s’attaque de front au sujet de la décentralisation du Web.On a libéré les logiciels, et il faut continuer à le faire. Mais il faut aussi libérer les serveurs et les données qui sont dedans. »
C’est tout le sens de notre « libération Google » actuelle à plusieurs étapes.
Merci à Alexandra Bruel et Erwan Cario pour cette mise en lumière grand public d’un sujet qui reste encore trop souvent dans l’ombre malgré tous nos efforts.
PS : Stallman sera content de lire “GNU-Linux” partout !
PS2 : Le logiciel libre partage modestement la Une avec un « Économie : Et si Hollande se trompait ? ». Les deux sujets ne sont peut-être pas si éloignés que ça, et le second ferait peut-être bien de lorgner du côté du premier pour apporter quelques réponses innovantes à la question ;)
]]>Le site OpenWatch nous propose de faire du journalisme autrement en s’inspirant des principes et techniques du logiciel libre.
Ils appellent cela le « journalisme open source » et y voient, non sans emphase, l’avenir de la profession.
Pure rhétorique ou réelles pistes à explorer pour un secteur en grave difficulté actuellement ?
The New Principles of Open Source Journalism
(Traduction : Peekmo, goofy, lamessen, Slamino, Omegax„ Asta, Paul, Kayjin, aKa + anonymes)
OpenWatch souhaite être le cœur du journalisme open source de la prochaine décennie. Quelles valeurs émergeront pour définir les actualités de demain ?
Partout dans le monde, les agences de presse traditionnelles vacillent. Leurs revenus publicitaires se tarissent car les gens suivent de plus en plus l’actualité à partir de sources d’information en ligne ou ne s’y intéressent tout simplement pas parce qu’ils préfèrent consacrer leur temps à d’autres types de contenus numériques. L’information qui reste est plus édulcorée que jamais, le journalisme d’investigation a laissé la place à des opérations de relations publiques travesties en information, les correspondants à l’étranger sont remplacés par des vidéos virales et des ragots people.
Pourtant, le journalisme joue un rôle terriblement important dans la société, en permettant aux gens d’être informés sur le monde qui les entoure et en obligeant les élites au pouvoir à rendre compte de leurs actes. Nous ne pouvons laisser ce rôle simplement passer à la trappe. Au lieu de vivre cette situation comme une catastrophe, nous pouvons y voir une opportunité de réévaluer la nature et l’objet du journalisme. Partant de là, je crois pouvoir dire que nous assistons à l’émergence du phénomène peut-être le plus réussi et étrangement merveilleux de l’ère numérique : le mouvement du logiciel et de la culture « libres et open source ». Dans ce mouvement, les individus sont libres de consommer l’information et d’y contribuer au sein d’un espace commun et, ensemble, ils sont parvenus à créer un tout qui est plus que la somme de ses parties.
OpenWatch est une entreprise du secteur des technologies qui produit et soutient le journalisme open source. OpenWatch vise à être au New York Times ce que RedHat est à IBM. Notre produit de base est une suite gratuite d’applications mobiles qui permet à n’importe qui de diffuser du contenu, de visionner des vidéos sur téléphone mobile et de recevoir des alertes avec des possibilités de contribuer à nos reportages et enquêtes.
Du point de vue éditorial, nous sommes intéressés par la couverture des sujets sous-médiatisés tels ceux tirés d’histoires et d’enregistrements de gens ordinaires, mais aussi par les événements où les médias traditionnels échouent à remettre en cause les pouvoirs établis. Nous souhaitons présenter nos articles dans un contexte où l’homme de la rue peut prendre part à la mise au jour et à l’exposition de faits vérifiés.
Au fil des ans, il y a eu bon nombre de tentatives de qualifier le genre de travail que nous évoquons ici : journalisme citoyen, journalisme civique, journalisme participatif, journalisme scientifique, journalisme (ouvert au) public, journalisme collaboratif, journalisme communautaire, wiki-journalisme et une foultitude d’autres appellations qui, j’en suis sûr, doivent exister.
Chez nous, nous appelons cela simplement du « journalisme open source ». En tant que contributeurs au mouvement du logiciel libre et open source, nous sommes bien conscients que le terme « open » peut être à la fois chargé et vide de sens. Nous souhaitons donc esquisser quelques principes de base qui, selon nous, définiront le journalisme open source de la décennie à venir.
Il ne s’agit ni d’un manifeste, ni d’une liste de revendications, ni même d’une promesse. C’est simplement une liste de valeurs journalistiques que nous entendons respecter et promouvoir. Nous ne voulons pas être crédités pour ces principes : d’autres, nombreux, nous ont précédés, existent à nos côtés ou viendront après nous. Notre seule ambition est d’exposer ces principes et d’inviter d’autres à les partager.
Avec le temps, nous espérons que l’importance de ces valeurs deviendra si évidente qu’elles feront apparaître le journalisme traditionnel comme dépassé et influenceront les grands organes de la presse traditionnelle.
Le principe premier du journalisme open source est qu’il doit être « scientifique ». Cela signifie donner un accès aux sources primaires complètes, sous la forme de matériel documentaire associé, par un lien ou une incorporation, aux affirmations du récit journalistique, y compris tous les entretiens oraux ou par courriel avec des individus ou les documents bruts pour les sources anonymes.
Sans sources primaires complètes, le public est en réalité réduit à l’impuissance, privé de la possibilité de vérifier la véracité des faits qui lui sont livrés et se trouve réduit à devoir faire confiance à une seule version des faits. Avec la confiance vient le pouvoir, et avec le pouvoir viennent les abus. Le public a été gravement abusé sur de nombreuses questions, par exemple dans l’exposition des faits justifiant la guerre contre l’Irak, dans la couverture du programme d’assassinats par des drones, dans les allégations d’utilisation d’armes chimiques en Syrie et, aujourd’hui, avec le programme de surveillance de la NSA.
Le journalisme scientifique, pour sa part, ne requiert pas autant de confiance dès lors que le lecteur possède autant d’informations que le journaliste qui l’informe.
En fin de compte, cela signifie l’abandon du « scoop » et des sources non attribuées, qui, de par leur nature, voilent le mécanisme qui transforme les faits en analyse. À leur place, nous proposons un sommaire transparent, une contextualisation, un remixage et une analyse complètes des sources primaires.
Dans le journalisme open source, l’action est plus importante que le contenu. L’objectif du journalisme open source n’est pas de divertir, ni même de simplement informer, mais plutôt de tenter de construire un projet de changement. Ce projet doit commencer par les faits déjà connus, mais devrait aussi fournir une feuille de route décrivant les inconnues référencées et ce qui sera nécessaire pour répondre à ces questions. Les lecteurs soucieux des erreurs devraient avoir l’opportunité d’être directement impliqués dans le processus de collecte, de traitement, de synthèse et de publication des actualités. Mais ce n’est pas tout. Le but de notre journalisme est aussi de défier, provoquer et demander des réponses aux pouvoirs établis. Et aussi longtemps que ce sera fait de façon productive et documentée, ce sera quelque chose dans lequel le public devrait être impliqué.
Les projets de logiciels open source utilisent ordinairement un outil de « bugs » et de « tickets » pour suivre et accélérer leur développement ; chez OpenWatch, nous les appelons « missions ». Vous pouvez parcourir la liste de toutes nos missions actuellement actives ici pour pouvoir contribuer à nos investigations en cours.
Au final, nous espérons créer une force globale et répartie de fouineurs et une place centrale d’idées concrètes au sujet des problèmes importants.
Historiquement, un des plus gros défis pour les médias et reportages citoyens est la question de l’authenticité. Il est souvent difficile de déterminer si les médias et l’information proposés en ligne sont authentiques ou s’ils sont le produit de quelqu’un désireux de promouvoir une cause, d’une partie adverse essayant de saboter une histoire ou simplement d’un « troll » ennuyeux. Les plateformes comme Youtube, Facebook et Twitter ne fournissent aucun outil automatique d’expertise de l’authenticité ; réceptacles par essence d’un flux continu d’informations éphémères, qui se combine à la capacité d’amplifier rapidement certains messages, elles sont souvent exploitées à des fins de diffusion de canulars et de désinformation (comme l’illustre le cas récent de ces images de manifestations en Turquie filmées en réalité plus tôt dans l’année à l’occasion d’un marathon).
Pour lutter contre ce problème, OpenWatch utilise un bouquet de technologies destinées à faciliter la vérification de l’authenticité d’un média dans notre système. Une de ces technologies est un système que nous appelons CitizenMediaNotary. Inspiré par le projet Perspectives, CitizenMediaNotary est un réseau de serveurs de confiance distribué, qui maintient une base de données d’empreintes digitales des médias citoyens. Cela permet de savoir si un contenu est vraiment nouveau ou s’il a déjà été visionné auparavant et, dans ce cas, où, quand et par qui.
Si nous ne couvrons que les atrocités passées, nous ne serons jamais en mesure de les prévenir. Le journalisme d’avant a presque exclusivement porté sur des événements qui ont déjà eu lieu, et c’est une occasion majeure manquée pour l’émancipation.
La participation des foules sera un facteur majeur dans le futur du journalisme de prévision, dans la mesure où de grands ensembles de données sont bien meilleurs pour les prévisions que les petits. Par exemple, à l’époque où OpenWatch était un service exclusivement utilisé pour surveiller l’action de la police, nous étions capables d’analyser des modèles d’action trouvés dans nos données pour réaliser des prévisions plus précises sur les régions où des abus policiers avaient plus de chance d’avoir lieu et ce n’est que le début. Dans le futur, nous pourrons collecter des jeux de données multisourcés et publics de manière à prédire quelle communauté à risque est susceptible d’être frappée par une catastrophe naturelle, qui sera le gagnant d’une élection, le résultat probable d’une décision de justice, quelles écoles seront fermées par une nouvelle administration et bien d’autres choses encore.
On assiste ces derniers temps a une augmentation notable de la production de rapports prévisionnels grâce à des agences privées du renseignement comme Stratfor, mais cette activité de prévision est onéreuse et sa commercialisation uniquement orientée vers les pouvoirs établis, qui bénéficient déjà du système actuel. OpenWatch s’efforce de fournir le même genre d’informations spécialisées, mais avec un accès ouvert à tous et avec une position résolument critique et orientée par l’intérêt public.
Bien sûr, nous ne pourrons en rien garantir le degré d’exactitude de nos prévisions, mais du fait que tous nos rapports sont totalement open source, les lecteurs sont les bienvenus pour produire et donner également leur propres prédictions.
La démarche open source et participative appliquée à l’ensemble de nos publications vaut aussi pour notre démarche éditoriale. Le public en général et notre lectorat en particulier jouissent ainsi d’un accès direct à l’ensemble du processus décisionnel au sein d’OpenWatch, qu’ils souhaitent en être témoins ou y prendre part. Cela permet au lectorat en général grand public d’assister directement la totalité du processus décisionnel d’OpenWatch, aussi bien que d’y être impliqué.
Comme il se doit en open source, cette démarche éditoriale repose sur des listes de diffusion publiques. Nous appelons ce système « Radar » car il n’offre pas seulement un aperçu des événements en cours de traitement chez OpenWatch, il est aussi un calendrier dynamique des événements que nous avons l’intention de couvrir.
Si vous souhaitez voir ce qui se trame sous le capot d’OpenWatch ou avoir votre mot à dire sur la manière dont OpenWatch gère ses ressources éditoriales, rejoignez notre liste de discussion publique en envoyant un courriel à openwatch-radar@googlegroups.com, vous serez immédiatement inscrit-e (les hackeurs sont aussi invités à rejoindre la liste openwatch-dev@googlegroups.com pour participer aux discussions autour des développements techniques).
Nous ne prétendons pas qu’un tel niveau de participation est nécessaire pour tous les canaux d’information open source, le degré de participation proposé dans certains groupes pouvant être moindre que le nôtre pour une raison ou une autre, mais il est important dans tous les cas, que les décisions éditoriales émanent d’un noyau privé, d’un noyau public ou d’un consensus public, que le cadre décisionnel soit transparent.
Git est un outil qui permet aux développeurs et aux utilisateurs de logiciels libres de garder la trace de l’ensemble de leurs changements, de voir qui contribue à quelle partie d’un projet et de revenir à l’état antérieur d’un projet en cas de catastrophe. C’est un logiciel absolument crucial. Les utilisateurs réguliers de Wikipédia sont habitués à des outils de contrôle des versions aux fonctionnalités similaires (via la page Historique d’un article)
Néanmoins, aussi précieux qu’il soit, le contrôle des versions est rarement pratiqué dans d’autres secteurs que celui du développement logiciel. De manière intéressante, dans le domaine du journalisme, le contrôle des versions peut apporter quelque chose que l’inventeur de git n’avait jamais imaginé : la résistance à la censure cachée.
Contrairement aux apparences, certaines formes de censure sont plus aisées à mettre en œuvre dans le royaume numérique que dans le monde physique. Dans le monde physique, le censeur laisse une trace : un trait noir, un nom effacé, des autocollants, des agrafes, de la colle. Sur l’internet, nulles preuves semblables d’une censure post-publication : seulement un article qui disparaît ou un léger changement de contenu, sans que personne n’en sache rien.
Un nouveau projet, Newsdiffs, tente de traquer les changements en tant que service proposé à une poignée d’organes d’information traditionnels. Cet effort mérite nos applaudissements, mais la solution est actuellement limitée et laisse beaucoup de changements passer au travers des mailles du filet. Dans le futur, nous aimerions voir davantage d’organisations prendre elles-mêmes cette responsabilité à travers une combinaison de contrôle interne et tiers de tout le contenu des actualités.
Les journaux et la télévision sont des formats éphémères. Un journal se jette, une diffusion télévisée n’est pas enregistrée. Internet, par contre, n’oublie jamais. Un article n’existe pas seulement pour un jour, il existera pour le restant de l’histoire enregistrée et sera toujours à la portée d’une simple recherche, accessible en une seconde.
Par conséquent, on doit envisager que les articles seront toujours accessibles dans un lointain futur et doivent être créés en ayant à l’esprit les lecteurs du futur, qui devront à leur tour pouvoir y apporter leur contribution.
En dernier lieu, nous pouvons incorporer les principes du logiciel libre et de la culture libre dans le journalisme open source. Fondamentalement, cela signifie que nous devons respecter les droits digitaux de nos utilisateurs et utiliser autant de logiciels libres et open source que possible, en nous assurant que le contenu est produit sous une licence permissive ou copyleft, en traquant le moins possible les utilisateurs et en leur permettant de savoir comment et pourquoi nous les traquons.
Les principes de la culture libre sont nécessaires pour n’importe quel projet ouvert et participatif car c’est grâce à eux que les communautés en ligne ont la capacité de réaliser ces choses formidables qui les rendent très différentes des organes de presse traditionnels.
Il devient concevable non seulement de lier, partager et traduire librement l’information (la traduction étant une autre question gérée de manière insatisfaisante dans les médias d’information traditionnels), mais aussi de remixer les contenus et de présenter les médias et analyses sous des formes nouvelles, que leur auteur originel n’aurait éventuellement pas imaginé.
En définitive, le journalisme open source ne doit pas recourir au droit d’accès payant comme source de revenus car c’est en totale contradiction avec la volonté de produire du contenu dans le but d’informer et de donner au public le pouvoir de l’autonomie et de la responsabilité. Faute de proposer à ce dernier un libre accès aux informations d’importance, cela ne serait en fin de compte guère plus qu’une extorsion de fonds. Il existe plein d’autres modèles économiques de soutien du logiciel libre qui peuvent tout aussi bien soutenir le journalisme open source (nous reviendrons dessus plus en détail dans un autre billet).
Nous vous avons décrit quelques-unes des valeurs centrales dont OpenWatch entend imprégner sa forme de journalisme open source. Si vous souhaitez contribuer à documenter la vérité et résister aux pouvoirs adeptes du secret, rejoignez-nous ! Nous ne savons pas exactement où cela nous mènera, mais nous sommes certains qu’unis dans la quête de la vérité, nous pouvons construire quelque chose de vraiment étonnant et bien pour tous. Rejoignez-nous !
Crédit photo : Decar66 (Creative Commons By)
]]>Linux Voice est un nouveau projet de magazine anglophone autour de GNU/Linux et du logiciel libre. Il ne verra le jour que si son financement par crowfunding sur Indiegogo est couronné de succès (il est d’ores et déjà en passe de l’être).
Lors du lancement de la campagne, il avait été annoncé que le contenu du magazine serait rendu « free » au bout d’un certain temps.
Le problème c’est que ce terme est très flou a priori. Ils ont levé tous les doutes en adoptant la libre licence CC By-SA et s’en expliquent dans l’article traduit ci-dessous.
Un exemple à suivre pour notre presse spécialisée francophone ? (si, oui, nous sommes preneurs pour faire connaître et diffuser les articles en tout cas :))
Free licence after nine months
Ben Everard – 18 novembre 2013 – LinuxVoice.com
(Traduction : Isammoc, Lordphoenix, Marie-Lou, Penguin, Mooshka, Sky, Zergy + anonymes)
Nous avons annoncé il y a une semaine que nous essayions de lancer un nouveau magazine Linux qui rendrait tous ses contenus « free » (NdT : free peut vouloir dire à la fois « libre » ou « gratuit ») après une période maximum de neuf mois. La réponse jusqu’à présent a été phénoménale et les fonds sont arrivés bien plus vite que nous l’avions prévu.
Nous en avons discuté sur Hacker News, Reddit, Shashdot, The Register, The Guardian et des forums partout sur le web. Une question remontait régulièrement : Qu’entendez vous par « free » ? Tout le monde dans la communauté open source sait que ce simple mot peut être compris de différentes façons.
De toutes parts sur Internet, on nous a poussé à être fidèle à la liberté (NdT : au sens de « free as in freedom » comme le dirait Stallman). Clem, bien connu dans le projet Linux Mint, a même laissé entendre qu’il créera une app pour afficher le contenu libre, si tel était le cas.
Nous avons attendu avant de faire une déclaration précise car nous voulions débattre du sujet avec les différents contributeurs et les auteurs indépendants qui nous aideront à faire le magazine. La semaine dernière, nous avons compris qu’il était nécessaire de clarifier ce que nous allions faire. Il serait injuste, vis-à-vis de nos donateurs souscripteurs, de maintenir l’équivoque plus longtemps.
Il y a toujours la tentation d’ajouter des clauses aux licences. Celles qui, selon vous, n’affecteront pas vraiment la liberté mais vous protégeront un peu. Dans notre cas, ce fut la clause non commerciale. Que se passerait-il, imaginons, si un éditeur décidait de réimprimer nos articles et de gagner de l’argent avec notre travail ? Les autres magazines GNU/Linux pourraient publier nos articles sans avoir à débourser un centime.
Cependant, nous parlons des quatre libertés depuis assez longtemps pour savoir qu’elles signifient réellement quelque chose, et il est temps d’accorder nos actions avec nos paroles. Oui, les quatre libertés ont été écrites pour s’appliquer au code, mais leur esprit est facilement transférable, et une clause de non-commercialisation va clairement à l’encontre de ces libertés.
Aujourd’hui, nous pouvons annoncer que nous allons passer tout notre contenu sous licence Creative Commons Paternité – Partage à l’identique version 3.0 « unported » (CC By-SA) au plus tard 9 mois après sa publication. Pour ceux qui ne seraient pas familiers de cette licence, elle est dans l’esprit comparable à la GPL v2. C’est-à-dire que vous pouvez distribuer le contenu de la manière que vous souhaitez, et le modifier comme vous le souhaitez tant que vous mettez ces modifications sous la même licence (« unported » signifie simplement que c’est une licence internationale). Pour plus d’informations sur la licence, voyez le texte Creative Commons en anglais ou la version complète de la licence.
Vous avez peut-être remarqué que nous avons dit « après neuf mois maximum ». Nous prévoyons de rendre disponibles des articles plus tôt, spécialement ceux qui ont, d’après nous, une valeur pour la communauté. Donc, si vous voyez quelque chose qui devrait être disponible plus vite, faites-le nous savoir. Si vous êtes un enseignant désirant distribuer nos contenus à vos étudiants, ou un mainteneur de logiciels open source voulant inclure nos tutoriels dans vos pages d’aide, parlez-nous en, et nous essayerons de faire quelque chose.
]]>21/06/2013 18:20 (Dernière modification : 21/06/2013 19:51)
Dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation, L’ADULLACT, l’AFUL et Framasoft apportent leur soutien, sans réserve, à l’amendement 711 déposé par le groupe GDR et défendu par Jacqueline Fraysse. Cet amendement va dans la bonne voie pour mettre un terme au scandale des racketiciels, c’est-à-dire à la vente forcée de logiciels non demandés lors de l’achat de matériel informatique.
Les associations du logiciel libre appellent donc tous les députés, de toute tendance politique, à soutenir vivement cet amendement !
À l’automne 2011, le gouvernement de François Fillon avait proposé un projet de loi de protection du consommateur. Plusieurs députés avaient proposé des amendements censés apporter une meilleure protection du consommateur face aux pratiques commerciales déloyales de vente forcée des logiciels inclus dans le matériel informatique. Comme l’AFUL l’avait souligné à l’époque, le remède était pire que le mal puisque après une lecture juridique attentive, ces textes aboutissaient à un résultat totalement opposé au but recherché.
Lors des débats, les députés avaient bien identifié les faiblesses juridiques des uns et la dangerosité des autres et avaient finalement laissé la législation en l’état afin de réfléchir à de meilleures rédactions pour la seconde lecture. Seconde lecture qui n’a jamais eu lieu suite au retrait du texte par le gouvernement.
Aujourd’hui, un nouveau projet de loi de consommation est présenté à la nouvelle législature. Forts de l’enseignement tiré des débats de 2011 et des arguments issus des divers bancs, le groupe Gauche démocrate et républicaine sous l’impulsion de Jacqueline Fraysse, députée de la 4e circonscription des Hauts-de-Seine, propose un amendement ayant pour objectif de mettre fin aux pratiques commerciales déloyales de l’informatique grand public, dans le respect de la législation européenne.
L’amendement propose d’ajouter des obligations d’informations à la charge des professionnels dans un nouvel article L. 113-7 (l’article L. 113-6 étant créé dans l’article 54 du projet de loi) du Code de la consommation.
Après l’article L. 113-6 du code de la consommation, est inséré un article L. 113-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 113-7. – Le matériel informatique proposé à la vente avec des logiciels intégrés constitue une vente par lots. »
« Tout professionnel vendeur de matériel informatique fournissant des logiciels intégrés doit, avant tout paiement du prix par le consommateur, l’informer par voie d’affichage des caractéristiques essentielles et du prix public toutes taxes comprises du lot ainsi que du prix de chacun des logiciels composant individuellement le lot. L’indication de ces prix doit figurer sur la facture remise au consommateur. »
« La violation de ces dispositions entre dans le champ d’application de l’article L. 122-3. ».
Tout d’abord, l’alinéa 1 aborde la question de la vente par lots en précisant désormais expressément que le matériel informatique vendu avec des logiciels préchargés constitue une vente par lots.
En effet, si la jurisprudence applique depuis longtemps ce principe (notamment depuis un arrêt de 2005 de la Cour de cassation), il est régulièrement contesté devant les tribunaux, forçant les consommateurs qui estent en justice à expliquer encore et toujours pourquoi matériel et logiciels constituent deux produits parfaitement distincts (l’un est un bien meuble, l’autre une prestation de services). En précisant désormais clairement qu’il s’agit d’une vente par lots, la réglementation spécifique à l’information due par les professionnels sur les lots, issue de l’article 7 de l’arrêté du 3 décembre 1987, s’appliquera.
L’alinéa 2 détaille les obligations d’information nécessaires : informer le consommateur par voie d’affichage des caractéristiques essentielles des produits proposés dans le lot.
Les caractéristiques essentielles sont l’ensemble des éléments permettant au consommateur d’effectuer un choix éclairé : par exemple, préciser que le matériel et les logiciels peuvent être vendus séparément, que les logiciels ne sont que des options non obligatoires ou encore que les logiciels fournis sont payants. S’agissant du prix des produits, il devra fait l’objet d’une information précise, non seulement pour le prix des produits composant le lot, mais également le prix de chacun des éléments du lot. La facture qui sera remise au consommateur comprendra donc le prix détaillé de tous les produits. Les procès initiés par les consommateurs ont mis en évidence que le prix des logiciels fournis préchargés, jusque là vendu de force, pouvaient représenter plus de 30 % du prix de la machine seule.
Le 3e alinéa aborde la question des sanctions. La directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 rappelle, au paragraphe 29 de son annexe 1, que la vente forcée est une pratique commerciale déloyale « en toutes circonstances » c’est-à-dire qu’il suffit théoriquement à un juge de constater que le professionnel a exigé un paiement sans commande expresse et préalable du consommateur pour que la pratique soit déclarée déloyale. Cette disposition a été intégrée dans le Code de la consommation par les lois des 3 janvier et 4 août 2008. Les textes ont d’ailleurs été remaniés avec la loi Warsman de 2011 qui a proposé une lecture plus claire de l’article L. 122-3 du Code de la consommation. Cet article prévoit des sanctions civiles de nullité du contrat avec une obligation de remboursement, ainsi que des sanctions pénales. Le texte est donc parfaitement adapté à la situation et permet aux consommateurs d’agir autant par la voie civile que par la voie pénale et d’espérer avoir ainsi du poids face aux entreprises concernées, le plus souvent multinationales.
C’est ce texte qui doit être favorisé et que les députés sont encouragés à adopter massivement. Il faut tout de même rappeler qu’à l’occasion du précédent projet de loi consommation de 2011, des députés s’étaient plaints des pressions qu’ils subissaient pour ne pas voter ces textes favorables aux consommateurs et le député de la 5e circonscription d’Isère, François BROTTES, avait clairement dénoncé cette situation inadmissible. Sous la présente législature, c’est aujourd’hui que se mesurera le courage politique et l’engagement des députés pour l’intérêt général.
L’intérêt du consommateur et l’ouverture du marché à tous les acteurs, notamment français, étant la priorité des élus de la nation, nous sommes confiants dans le fait que l’ensemble des députés verront le point d’équilibre atteint par cet amendement et qu’ils le soutiendront unanimement.
Cyprien Gay, membre du groupe de travail « non aux racketiciels » de l’AFUL indique « Voilà 15 ans que nous interpellons les politiques de toutes tendances sur cette question. Depuis le début des années 2000 ce sujet est évoqué à l’Assemblée. Cependant, la pression des éditeurs qui bénéficient de cette vente forcée a réussi jusqu’ici à conserver un statu quo qui leur est favorable, avec la complicité inexplicable des divers gouvernements. »
Christophe Masutti, président de Framasoft, déclare « Il est est plus que nécessaire de clarifier les pratiques de vente liée qui maintiennent une tension évidente entre d’un côté le droit du consommateur à l’information et de l’autre côté le recours providentiel aux directives européennes qui empêche les États membres d’interdire les “offres conjointes” assimilées à une pratique commerciale comme une autre, bien que la “vente forcée” soit, elle, condamnable. Ceci constitue un frein artificiellement entretenu au déploiement du formidable potentiel compétitif du logiciel libre. »
Dimitri Robert, administrateur de l’AFUL souligne « Les logiciels vendus de force avec les matériels informatiques sont édités hors d’Europe par des entreprises réputées pour leur évasion fiscale et l’évitement à l’impôt sur leurs activités en France. Il n’y a donc aucun intérêt pour la France ou pour l’Europe d’entretenir leur rente sur le dos du consommateur Français. »
Également interrogé, l’avocat de l’AFUL, Maître Frédéric CUIF, estime que « Il s’agit d’un texte de consensus qui devrait à la fois permettre une meilleure information des consommateurs mais aussi leur offrir la possibilité de dénoncer moins difficilement ces pratiques commerciales déloyales devant les tribunaux. Bien sûr, il faudra toujours passer par un juge pour faire cesser la pratique commerciale déloyale de vente forcée, mais c’est un premier pas évident en faveur des consommateurs en attendant une véritable prise de conscience nationale sur la question. »
Laurent Séguin, président de l’AFUL conclut : « Il est temps de faire cesser cette situation de concurrence faussée où l’on impose, depuis trop longtemps, un choix uniforme aux consommateurs. Des acteurs européens et français portent d’ores et déjà des solutions concurrentes crédibles et innovantes, notamment sous licence libre, aux logiciels vendus de force avec du matériel informatique. Malheureusement, ces racketiciels les empêchent d’accéder au marché sur un pied d’égalité. Aujourd’hui, avec ces textes justes et équilibrés, les parlementaires ont l’opportunité de faire triompher enfin l’intérêt général en faisant en sorte qu’en France, les effets de ce hold-up planétaire soient amoindris. »
Née fin 2002, l’Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales s’est donnée pour tâche de constituer, développer et promouvoir un patrimoine commun de logiciels libres métiers, afin que l’argent public ne paie qu’une fois. L’Adullact dispose d’une équipe permanente, pour encourager et aider les membres à mutualiser leurs développements sur la forge adullact.net, qui compte aussi les projets de la forge admisource. Structure unique en son genre, l’Adullact était accréditée pour le Sommet Mondial de Tunis.
Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres, l’AFUL a pour principal objectif de promouvoir les logiciels libres ainsi que l’utilisation des standards ouverts. Ses membres, utilisateurs, professionnels du logiciel libre, entreprises ainsi que d’autres associations, sont issus d’une dizaine de pays ou de régions francophones (France, Belgique, Suisse, Afrique francophone, Québec).
Interlocuteur de nombreux médias, l’AFUL est présente sur nombre de salons, conférences et rencontres. Elle agit notamment activement contre la vente liée (site Non aux Racketiciels, comparatif bons-vendeurs-ordinateurs.info et bons-constructeurs-ordinateurs.info), pour l’interopérabilité (membre de l’AFNOR, participation aux référentiels d’interopérabilité et d’accessibilité de la DGME, site formats-ouverts.org, etc.), intervient sur les problématiques du droit d’auteur ainsi que pour la promotion de l’utilisation de logiciels et ressources pédagogiques libres pour l’éducation entendue au sens large.
Issu du monde éducatif, Framasoft est un réseau d’éducation populaire consacré principalement au logiciel libre et s’organise en trois axes sur un mode collaboratif : promotion, diffusion et développement de logiciels libres, enrichissement de la culture libre et offre de services libres en ligne. Pour plus d’informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l’adresse suivante : http://www.framasoft.org/ et nous contacter par notre formulaire de contact http://contact.framasoft.org/.
« Le magazine américain New Yorker a annoncé la création d’une boîte informatique sécurisée nommée Strongbox, destinée à recevoir des informations en protégeant l’anonymat des sources » pouvait-on lire récemment sur le site des Écrans, qui ajoute : « La technologie utilisée a été développée par le jeune militant d’Internet et hacker Aaron Swartz, qui était poursuivi par la justice pour avoir pénétré une base de données universitaires et s’est suicidé en janvier ».
Nous avons voulu en savoir plus en traduisant l’article ci-dessous. Difficile de se départir d’une certaine émotion quand on sait ce qu’il lui est arrivé par la suite…
Kevin Poulsen – 15 mai 2013 – The New Yorker
(Traduction : anneau2fer, Penguin, Sky, lgodard, Rudloff, Asta, Jere, KoS + anonymes)
Aaron Swartz n’était pas encore une légende lorsque, il y a presque deux ans, je lui ai demandé de développer une boîte aux lettres anonyme et open source. Ses réussites étaient réelles et variées, mais les événements qui allaient le faire connaître du grand public faisaient encore partie de son futur : sa mise en cause dans une affaire criminelle au niveau fédéral ; son essor en tant que leader du mouvement contre la liberticide Sopa ; son suicide dans un appartement de Brooklyn. Je le connaissais comme programmeur et comme activiste, un membre de la tribu relativement restreinte de gens qui savent transformer des idées en code — un autre mot pour « action » — et qui ont la sensibilité nécessaire pour comprendre instantanément ce que je cherchais : un moyen sûr pour les journalistes de communiquer avec leurs sources.
Il existe une fracture technologique grandissante : les écoutes de téléphones et d’emails, le piratage d’ordinateurs, sont des armes pour quiconque cherche à identifier les sources d’un journaliste. À quelques exceptions, la presse a peu fait pour se protéger : nos efforts en matière de sécurité de l’information tendent à se concentrer sur la partie des infrastructures qui accepte les cartes de crédit.
Aaron était au fait de ce genre de problème. Je l’avais d’abord rencontré en 2006, lorsqu’avec deux autres codeurs, il avait vendu le site d’info communautaire Reddit à Condé Nast, la maison mère de Wired, où je travaille, et du New Yorker. Tous trois se sont retrouvés dans une salle de conférence improvisée près du siège de Wired à San Francisco. Aaron se distinguait de ses collègues — il était angoissé, silencieux, et a expliqué dans un billet de blog à quel point il n’aimait pas travailler là.
Un lundi, il a quitté le bureau pour passer la journée au tribunal tout proche, où une audience avait lieu dans l’affaire Kahle contre Gonzales, une bataille constitutionnelle autour du copyright menée par le professeur de droit Lawrence Lessig. Lorsqu’il est revenu, il m’a demandé, un peu timidement, s’il pouvait écrire quelque chose sur le sujet dans Wired. Le billet de blog de 700 mots qui en résultât était bien écrit et énonçait clairement le sujet. Je me suis posé des questions sur ce jeune patron de start-up qui mettait son énergie dans le débat sur le copyright. Ça, et sa co-création d’un projet d’anonymisation appelé Tor2Web, était ce que j’avais en tête lorsque je l’ai approché pour mon projet de boîte aux lettres sécurisée. Il a accepté de le faire, tout en sachant que le code serait open source — la licence autorisant n’importe qui à l’utiliser librement — lorsque le système serait lancé.
Il se mit à coder immédiatement, pendant que je cherchais les serveurs et la bande passante nécessaires chez Condé Nast. Les normes de sécurité imposaient que le système soit sous le contrôle physique de la société, mais avec sa propre infrastructure isolée. Des autorisations ont du être demandées. Les cadres avaient des questions. Les juristes avaient encore plus de questions.
En octobre 2011, Aaron est venu dans les bureaux de Wired et nous avons travaillé sur quelques détails. Durant les années qui ont suivi, le mutisme tranquille d’Aaron s’est mué en confiance provisoire, sa morosité remplacée par un sourire désarmant et une douce générosité. Avant qu’il ne parte, je suis allé avec lui dans les nouveaux locaux, bien plus grands, de Reddit, qui se trouvaient à côté. Il entra, regarda autour de lui, et ressortit sans que personne ne l’ait reconnu.
Entre-temps, Aaron avait été inculpé pour le téléchargement de 4 millions d’articles de JSTOR, une base de données académique, depuis le réseau public du MIT. Cette affaire a dû lui peser. Mais il n’en parlait pas.
Il vivait a New York à cette époque, mes contacts avec lui étaient donc essentiellement électroniques. Le système, que nous appelions DeadDrop, était, pour nous deux, un projet secondaire, et Aaron en avait beaucoup de prioritaires. J’ai appris son protocole : quand il avait le temps de programmer, je pouvais le joindre par téléphone ou sur Skype. Nous avions de long échanges à propos de sécurité et de fonctionnalités ; Aaron rejetait ceux dont il pensait qu’ils compliqueraient trop le système — clés de chiffrement individuelles pour chaque reporter, par exemple.
À New York, un expert en sécurité informatique nommé James Dolan convainquit un trio de collègues de son industrie de rencontrer Aaron pour examiner l’architecture, et plus tard, le code. Nous voulions être raisonnablement assurés que le système ne serait pas compromis, et que les sources pourraient déposer des document de manière anonyme, afin que même l’organe de presse qui les recevrait ne serait pas capable de dire au gouvernement d’où ils venaient. James a écrit un guide de sécurité pas à pas très détaillé pour les organisations qui implémentent le code. « Il va un peu trop loin », disait Aaron dans un email, « mais ce n’est peut-être pas une mauvaise chose ».
En décembre 2012, le code d’Aaron était stable, et une date approximative de lancement avait été définie. Puis, le 11 janvier, il se suicida. Dans les jours qui suivirent, il était difficile de penser à autre chose que la perte et la douleur de sa mort. Un lancement, comme beaucoup d’autres choses, était secondaire. Son suicide a également fait apparaître de nouvelles questions : à qui appartient le code désormais ? (Réponse : ses dernières volontés indiquaient qu’il voulait que toutes ses propriétés intellectuelles reviennent à Sean Palmer, qui donna sa bénédiction au projet). Est-ce que ses amis proches et sa famille approuveraient de poursuivre le lancement ? (Son ami et exécuteur testamentaire, Alec Resnick, a signalé que c’était le cas). Le New Yorker, qui a un long passé de travail d’enquête sérieux, apparut comme le premier foyer pour le système. La version du New Yorker s’appelle Strongbox et a été mise en ligne ce matin.
Neuf jours après la mort d’Aaron, son avatar Skype si familier, est apparu sur mon écran. Quelqu’un, quelque part, probablement un membre de sa famille, avait démarré son ordinateur. J’ai dû combattre l’envie irrationnelle de cliquer sur l’icône et reprendre notre conversation. Puis il a disparu à nouveau de mon écran.
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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)
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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)
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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)
]]>Patrice Bertrand est directeur général de la SSII Smile spécialisée dans l’intégration de solutions open source ainsi que président du prochain Open Word Forum (dont Framasoft sera).
Il a tout récemment fait paraître un article dans le quotidien économique et financier La Tribune qu’il nous a semblé intéressant de reproduire ici (enrichi de quelques liens) avec son aimable autorisation.
C’est accessible et synthétique. On n’hésite pas à employer les grand mots.
Et, clin d’œil à nos plus fidèles lecteurs, on peut également y trouver là comme une sorte de réconciliation entre les frères ennemis « open source » et « logiciel libre » (enfin vous nous direz dans les commentaires).
Patrice Bertrand – 17 septembre 2012 – La Tribune
Les 11, 12 et 13 octobre prochains se tiendra à Paris, l’Open World Forum, un événement de renommée internationale dédié à l’open source et aux approches ouvertes. L’open source est une idée qui a pris naissance dans le monde du logiciel, mais a inspiré et bousculé bien d’autres domaines. Tout comprendre en quelques clics sur une révolution qui bien au-delà de l’informatique, touche l’ensemble de la société…
Revenons aux origines. Le logiciel libre est imaginé dans les années 80 par Richard Stallman. Il affirme que les programmes informatiques doivent pouvoir être librement utilisés, et surtout étudiés et modifiés. Utopique pour certains, il amorce pourtant une véritable révolution, qui 20 ans plus tard a bousculé toute l’économie du logiciel, et bien au delà. Fin des années 90, certains préfèrent l’appellation alternative de logiciel open source pour désigner à peu près la même chose, mais en mettant en avant non pas tant la liberté, que les qualités spécifiques de ces programmes réalisés de manière collective, peu centralisée, dont le code source (le programme tel qu’il est écrit par un informaticien) est disponible et peut être modifié, utilisé pour créer de nouveaux programmes, des oeuvres dérivées.
A certains égards, l’open source est un mouvement humaniste. Il considère que le logiciel est, à la manière de la connaissance scientifique, une forme de patrimoine de l’humanité, un bien commun que nous enrichissons collectivement, pour le bien être de tous.
L’open source, disons ici plutôt le logiciel libre, porte aussi un message particulièrement d’actualité : le logiciel nous contrôle, il est vital pour nous de contrôler le logiciel. Des pans de plus en plus grands de notre vie sont sous la maîtrise de logiciels. Un logiciel détermine si votre voiture va freiner, un autre si votre pacemaker va faire battre votre coeur, et un autre peut-être déterminera pour qui vous avez voulu voter aux présidentielles. Le logiciel fait désormais plus que nous rendre service, il nous contrôle. Ce n’est pas un mal en soi, à condition seulement que le contrôlions aussi, que nous sachions ce qu’il fait exactement, et ayons le droit de le modifier si besoin. Cette exigence première du logiciel libre est plus que jamais essentielle.
Ces 20 dernières années, le logiciel libre et open source, réuni sous l’appellation FLOSS, a apporté d’incroyables bouleversements.
D’abord dans la manière de créer des programmes. Dans les années 90, peu après la naissance du web, c’est une révélation : les programmes les plus critiques de la toile, les programmes les plus utilisés, les programmes les plus complexes, sont des programmes open source. Même Bill Gates en prend soudain conscience, et adresse en 1998 un mémo à ses troupes, où il s’alarme de cette transformation, de ces logiciels aussi bons et parfois meilleurs, de cette nouvelle forme de concurrence.
L’open source a apporté une rupture dans l’économie du logiciel en abaissant les coûts d’une manière incroyable. Tout ce qui constitue le socle d’une plateforme informatique, d’une plateforme web, est devenu tout simplement gratuit : système d’exploitation, bases de données, logiciels serveurs, outils de développement, outils d’administration. Bien sûr, le coût total de possession n’est jamais nul : il faut du matériel, du support et de l’expertise humaine pour déployer et faire marcher tout cela. Mais pour une start-up, la barrière à l’entrée a été abaissée de manière phénoménale, stimulant et accélérant la création d’entreprises innovantes. Et pour les entreprises utilisatrices, cette nouvelle donne s’est traduite en gains de compétitivité.
Comme toutes les révolutions technologiques depuis la machine à vapeur, l’open source a amené une forme de destruction créatrice, comme l’avait décrit l’économiste Joseph Schumpeter. En produisant des alternatives quasi-gratuites à des logiciels anciennement coûteux, l’open source a fait disparaître des acteurs devenus non compétitifs, et réduit les marges de quelques autres. Mais le contexte nouveau d’un socle logiciel devenu un bien commun a permis l’émergence de milliers d’acteurs, de startups innovantes, dont certaines sont déjà grandes. Et a permis, plus largement, l’émergence du web, de ses acteurs géants, et des milliers d’acteurs plus petits mais innovants et grandissants.
Le développement logiciel a été profondément modifié lui aussi. L’approche moderne du développement consiste à assembler des composants, grands et petits, pour l’essentiel open source. Une part déterminante du développement consiste donc à sélectionner les bons composants et les intégrer, en ne développant réellement que les parties spécifiques, qui concentrent la valeur ajoutée de l’application. C’est une transformation du développement logiciel qui a apporté d’importants gains de productivité.
L’open source a eu des succès mitigés sur le poste de travail, sur le PC ordinaire. Et pourtant, moins visible et moins connue du public, la victoire de l’open source a été écrasante du côté serveurs et Cloud. Si Windows domine sur les postes de travail, le système d’exploitation Linux a une domination plus grande encore sur les millions de serveurs des grandes plateformes du web, de Google, Facebook, Amazon, ou eBay, mais des plus petits acteurs de la même manière. Une étude récente estimait à 90 % la part de marché de Linux sur le Cloud de Amazon. Dans beaucoup de domaines, l’open source est en pointe, faisant naître les outils de demain. Citons par exemple l’émergence du Big Data, la manipulation des données à une échelle nouvelle, où les outils de bases de données anciens atteignent leurs limites, et où des technologies nouvelles sont nécessaires. Ces nouvelles bases, dites NoSql, sont pratiquement toutes des logiciels open source.
L’open source a apporté aussi une nouvelle approche de la R&D. Une belle illustration est donnée par le projet open source Genivi, qui a l’initiative de BMW et PSA a réuni des grands constructeurs automobiles et équipementiers dans une démarche typique de R&D mutualisée, construisant ensemble une plateforme logicielle destinée à leurs véhicules. Pour réussir ce projet stratégique, ces grands industriels ont adopté le modèle open source tant en termes de socle, de développement, de diffusion, que de gouvernance. Et l’on pourrait citer évidemment le noyau du système Linux lui-même, auquel contribuent des dizaines d’entreprise, en faisant sans doutes le plus bel exemple de R&D mutualisée, à l’échelle mondiale. Les démarches appelées parfois « open innovation » ont montré les bénéfices d’une innovation plus ouverte sur le monde, moins cachée, fonctionnant en réseau.
Certains ont présenté l’open source comme antagoniste à la propriété intellectuelle. C’est tout le contraire, puisque l’open source se définit par ses licences d’utilisation, qui s’appuient elles-mêmes sur le droit d’auteur. L’auteur, titulaire des droits, donne à l’utilisateur des droits étendus, et quelques devoirs. Ce principe par lequel l’auteur d’une oeuvre reste parfaitement identifié, conserve ses droits, mais autorise différentes utilisations et la redistribution de son oeuvre a été étendue à de nombreux domaines, bien au delà du logiciel.
L’open source se décline dans l’art également. Les licences Creative Commons ont permis de diffuser des oeuvres de toutes natures en donnant des droits étendus, en particulier une libre rediffusion, avec ou sans le droit de modifier l’oeuvre originale. Ainsi, la fondation Blender, qui développe l’un des meilleurs programmes d’animation 3D du monde, un programme open source, réalise des open movies, des films d’animation dont tous les fichiers source, qui permettent de générer le film, sont rendus disponibles et peuvent être modifiés. Comme un roman dont on pourrait réécrire la fin.
L’open source a gagné le matériel également, sous l’appellation de « open hardware ». Il s’agit ici de partager les plans de circuits et d’équipements entiers. Un bel exemple d’open hardware, le projet Arduino est un microcontrôleur programmable totalement open source, matériel et logiciel, qui peut être adapté pour toutes formes de traitement du signal, ou de contrôle de process. Il peut être programmé pour réagir aux signaux de capteurs externes, les traiter, et commander des actions. Depuis 2005 il s’enrichit d’année en année, et plus de 300 000 unités ont été fabriquées. La diffusion de l’open hardware est encore modeste, mais souvenons-nous que c’était le cas aussi de l’open source logiciel à ses débuts : un « truc de geek ». Mais ces trucs de geeks font tourner les plateformes du web aujourd’hui.
Le mot clé derrière ces projets, ces démarches, est celui de réappropriation de la technologie. La technologie n’est pas le domaine réservé d’une élite minuscule, du fond de la Silicon Valley. Nous pouvons la maîtriser, et particulièrement si nous réunissons nos forces. C’est le principe des FabLabs. Nous ne sommes pas que des consommateurs idiots qui s’endettent pour acheter le dernier smartphone, dont on n’aura pas le droit même de changer la batterie. Avec quelques amis, avec un peu d’aide, avec des plans et des logiciels open source, nous pouvons construire des choses extraordinaires, dans notre garage. Pas tout à fait le dernier smartphone, mais pas très loin. Les imprimantes 3D ouvrent de nouvelles frontières pour ces démarches. Après avoir pris le contrôle des logiciels, il sera possible de reprendre le contrôle sur le matériel. On rêve déjà de pouvoir télécharger, sous licence libre, les plans d’une pièce de rechange pour sa cafetière, d’imprimer chez soi sa pièce en 3D. Et un peu plus tard, d’imprimer la cafetière open source elle-même ! Utopique ?
Mais justement, c’est la plus grande révolution de l’open source, de montrer que l’utopie gagne, parfois.
Les systèmes open source ne sont pas que pour les bricoleurs du dimanche. Ils gagnent par exemple la recherche en médecine. Merveilleux exemple de matériel et de logiciel open source associé à une démarche de recherche : des chercheurs ont développé Raven, un robot chirurgien open source, mis à disposition des équipes de recherche du monde entier afin de faire progresser les logiciels et technologies de chirurgie assistée. D’autres chercheurs travaillent à une machine combinant scanneur et radiothérapie, dont les plans, le code source, et les instructions de fabrication seront open source. Il est intéressant de remarquer que certains de ces projets de médecine open source ont reçu le soutien de la FDA, qui est un peu l’équivalent de l’AFSSAPS, avec l’espoir en particulier que le logiciel open source améliore la qualité, jugée insuffisante, des équipements propriétaires.
L’open source a montré aussi que l’on pouvait fédérer et organiser les efforts d’un grand nombre de personnes sur un projet commun. Il était précurseur de ce qu’on a appelé plus tard le crowdsourcing, ces projets qui impliquent un grand nombre de contributeurs bénévoles, dont la réussite emblématique est celle de Wikipedia, mais qui a aussi donné OpenStreetMap. Avec un double crédo : d’une part la connaissance est un bien commun qui doit être accessible à tous sans barrière économique, d’autre part les citoyens peuvent gérer eux-mêmes ce patrimoine, dans le cadre d’une organisation décentralisée, et d’une gouvernanceouverte.
Parmi les déclinaisons de l’open source, on peut citer aussi le mouvement de l’open data, la mise à disposition des données publiques, mais aussi des données de certaines entreprises. Une démarche citoyenne et démocratique d’une part, mais aussi le socle de nombreuses initiatives et modèles économiques nouveaux appuyés sur ces données.
L’open source a fédéré des combats citoyens fondamentaux. Les militants de l’open source ont une force particulière : ils réfléchissent aux tendances sociétales, mais sont aussi au coeur des technologies nouvelles et parfois de leurs rouages économiques. Ils ont compris par exemple l’importance de standards réellement ouverts, dont la spécification soit librement accessible, dont la gouvernance soit ouverte, dont l’utilisation soit gratuite. Ils se battent pour la neutralité du Net, ce principe fondateur de non-discrimination des flux sur le réseau mondial, qui a permis l’émergence de toute une industrie du web et qui est menacée aujourd’hui. Ils tentent d’expliquer aux politiques pourquoi les brevets ne sont pas applicables au monde du logiciel, où la seule protection du copyright est amplement suffisante. Dans le monde du logiciel, les brevets sont contre-productifs, ils découragent l’innovation, ils sont l’arme d’un oligopole de géants et d’entités mafieuses appelées patent trolls. Pour les premiers il s’agit d’effrayer les petits concurrents plus innovants. Pour les seconds, d’extorquer une rente sur l’innovation des autres.
L’open source n’est pas à l’écart de l’économie, au contraire. Les développeurs qui construisent les programmes open source ne sont pas toujours des bénévoles : la plupart sont payés par des entreprises qui voient un intérêt bien analysé dans leurs participations à ces travaux : elles bénéficient de logiciels performants dont elles n’ont eu à financer qu’une fraction de la R&D, elles ont une parfaite maîtrise de ces technologies qui deviennent des standards, elles ont un rôle dans la gouvernance de ces projets.
En France, l’économie du logiciel libre représente plus de 300 PME et ETI, éditeurs de logiciels ou sociétés de services, dédiées au logiciel libre. Elles sont souvent réunies en associations régionales, elles-mêmes fédérées au sein du CNLL, le Conseil National du Logiciel Libre. Elles représentent ensemble plus de 3000 salariés, et connaissent une croissance annuelle de près de 30 %. Si on comptabilise également les emplois liés au logiciel libre dans les sociétés de services généralistes, l’industrie (notamment aéronautique) et les télécommunications, le chiffre d’affaires global lié à l’open source est estimé à 2.5 milliards d’euros, soit 6 % du marché des logiciels et des services informatiques, et plus de 30.000 emplois, en croissance annuelle de 30 %. Source : Pierre Audoin Consultants.
On le voit, les déclinaisons de l’open source sont nombreuses, les impacts de l’open source vont bien au-delà du logiciel, des nouvelles technologies, ils s’étendent à d’autres industries, à l’ensemble de la société, à nos conceptions de la citoyenneté, de la démocratie. Toutes ces facettes de l’open source, à l’articulation de la technologie et du sociétal, sont représentées à l’Open World Forum. Ceci est une révolution, comme le dit une célèbre marque technologique…
]]>Source : Les journaux français souhaitent une “lex Google” (Le Monde)
Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)
]]>Le philosophe Bernard Stiegler fait l’objet d’un tag dédié sur le Framablog.
En découvrant le titre de l’article qui lui était consacré dans le journal belge Le Soir du 30 novembre dernier, on comprend bien pourquoi :)
Remarque : Demain 3 mars à 14h au Théâtre de La Colline aura lieu une rencontre Ars Industrialis autour du récent ouvrage L’école, le numérique et la société qui vient co-signé entre autres par Bernard Stiegler.
Quentin Noirfalisse – 30 novembre 2011 – Le Soir
Bernard Stiegler, un philosophe en lutte. Dans sa ligne de mire : un capitalisme addictif qui aspire le sens de nos existences. Son remède : une économie de la contribution.
Ce n’est plus un secret pour personne : le capitalisme est en train d’être dévoré par ses propres effets toxiques. En 2005, parmi d’autres voix peu écoutées alors, une association française, Ars Industrialis, lancée par quatre philosophes et une juriste, avait sonné le tocsin. A l’époque, leur manifeste décrivait les dangers d’un capitalisme « autodestructeur » et la soumission totale aux « impératifs de l’économie de marché et des retours sur investissements les plus rapides possibles des entreprises » et notamment celles actives dans les médias, la culture ou les télécommunications.
Aujourd’hui, l’association comporte plus de 500 membres, économistes, philosophes, informaticiens et toxicologues (car le capitalisme est devenu « addictif » et « pulsionnel ») confondus et ne semble pas s’être trompée de sonnette d’alarme. « Nous faisons partie des gens qui ont soulevé, dès 2006, l’insolvabilité chronique du système financier américain. On nous riait au nez, à l’époque », explique le philosophe Bernard Stiegler, fondateur d’Ars Industrialis et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou.
L’homme habite un petit moulin industriel reconverti en maison à Epineuil-le-Fleuriel, au beau milieu de la France paysanne. Entre quelques cris de paons, il vient de nous détailler le malaise qui s’empare de tous les échelons de la société.
« Au 20e siècle, un nouveau modèle s’est substitué au capitalisme industriel et productiviste du 19e : le consumérisme, qu’on assimile au fordisme et qui a cimenté l’opposition entre producteur et consommateur. Le capitalisme productiviste supposait la prolétarisation des ouvriers. Ceux-ci perdaient tout leur savoir-faire qui était transféré aux machines. Avec le consumérisme, ce sont les consommateurs qui perdent leur savoir-vivre, ce qui constitue la deuxième phase de la prolétarisation. »
Chez Stiegler, le savoir-vivre, c’est ce qui permet à un homme de pouvoir développer ses propres pratiques sociales, d’avoir un style de vie particulier, une existence qui n’est pas identique à celle de son voisin. « Le problème du capitalisme, c’est qu’il détruit nos existences. Le marketing nous impose nos modes de vie et de pensée. Et cette perte de savoir-faire et de savoir-vivre devient généralisée. Beaucoup d’ingénieurs n’ont plus que des compétences et de moins en moins de connaissances. On peut donc leur faire faire n’importe quoi, c’est très pratique, mais ça peut aussi produire Fukushima. L’exemple ultime de cette prolétarisation totale, c’est Alan Greenspan, l’ancien patron de la Banque fédérale américaine, qui a dit, devant le Congrès américain qu’il ne pouvait pas anticiper la crise financière parce que le système lui avait totalement échappé. »
Que la justification de Greenspan soit sincère ou non, il n’en ressort pas moins que le système ultralibéral qu’il a sans cesse promu a engendré la domination de la spéculation à rendement immédiat sur l’investissement à long terme. Nous assistons, déplore Stiegler, au règne d’une « économie de l’incurie » dont les acteurs sont frappés d’un syndrome de « déresponsabilisation » couplé à une démotivation rampante.
Où se situe la solution ? Pour Stiegler, l’heure est venue de passer du capitalisme consumériste à un nouveau modèle industriel : l’économie de la contribution. En 1987, le philosophe organisait une exposition au Centre Pompidou, « Les mémoires du futur », où il montra que « le 21e siècle serait une bibliothèque où les individus seraient mis en réseaux, avec de nouvelles compétences données par des appareils alors inaccessibles. »
Depuis, Stiegler a chapeauté la réalisation de logiciels et réfléchit le numérique, convaincu qu’il est, en tant que nouvelle forme d’écriture, un vecteur essentiel de la pensée et de la connaissance. Il a observé de près le mouvement du logiciel libre[1]. C’est de là qu’aurait en partie germé l’idée d’une économie de la contribution. Car dans le « libre », l’argent n’est plus le moteur principal. Il cède la place à la motivation et à la passion, deux valeurs en chute libre dans le modèle consumériste. La question du sens donné aux projets par leurs participants y occupe une place centrale.
« Le logiciel libre est en train de gagner la guerre du logiciel, affirme la Commission européenne. Mais pourquoi ça marche ? Parce que c’est un modèle industriel – écrire du code, c’est éminemment industriel – déprolétarisant. Les processus de travail à l’intérieur du libre permettent de reconstituer ce que j’appelle de l’individuation, c’est-à-dire la capacité à se transformer par soi-même, à se remettre en question, à être responsable de ce que l’on fait et à échanger avec les autres. Cela fait longtemps, par exemple, que les hackers[2] s’approprient les objets techniques selon des normes qui ne sont pas celles prescrites par le marketing. »
De la même manière, une « infrastructure contributive » se développe, depuis deux décennies, sur un internet qui « repose entièrement sur la participation de ses utilisateurs ». Elle a permis, entre autres, d’accoucher de Wikipédia et de substituer à la dualité consommateur-producteur un ensemble de contributeurs actifs. Ceux-ci créent et échangent leurs savoirs sur le réseau, développant ainsi des « milieux associés » où ils peuvent façonner leurs propres jugements. Pour Stiegler, cette capacité à penser par soi-même propre au modèle contributif, est constitutive d’un meilleur fonctionnement démocratique.
Pas question, toutefois, de tomber dans un angélisme pontifiant. Dans ses textes, il décrit le numérique comme un « pharmakon », terme grec qui désigne à la fois un poison et un remède, « dont il faut prendre soin ». Objectif : « lutter contre un usage de ces réseaux au service d’un hyperconsumérisme plus toxique que jamais », peut-on lire dans le Manifeste d’Ars Industrialis. Stiegler complète, en face-à-face : « Le numérique peut également aboutir à une société policière. Soit on va vers un développement pareil, soit vers l’économie de la contribution. »
D’ores et déjà, des embryons de ce modèle naissent dans d’autres domaines. « Une agriculture contributive existe déjà. L’agriculteur et ses consommateurs deviennent des partenaires, en s’appuyant notamment sur le web. » En France, cela se fait au travers des AMAP, les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, où les différents acteurs se mettent d’accord sur la quantité et la diversité des denrées à produire. « Dans l’univers médical, poursuit Stiegler, les patients sont parfois intégrés à la recherche, comme ce qu’a fait le professeur Montagnier avec les malades du sida. Nous pensons également qu’il y a des domaines contributifs en énergie, où l’idée serait de produire autant que l’on reçoit, grâce aux réseaux de distribution intelligents, les smart grids. C’est bien sûr totalement contraire aux intérêts des grands groupes. »
Ainsi, l’idée d’une économie de la contribution implique que des pans entiers de nos sociétés sont à réinventer. Stiegler énumère certains besoins : « une politique éducative en relation avec le numérique, un nouveau droit du travail, un système politique déprofessionnalisé, un monde de la recherche où professionnels et amateurs sont associés. Nous plaidons beaucoup pour cette figure de l’amateur, qui aime ce qu’il fait et s’y investit complètement. » Reste, finalement, la question de l’argent. La valeur produite par les contributeurs n’est pas toujours monétisable, mais peut avoir un impact sur l’activité économique. Ainsi, les articles de Wikipédia permettent à Bernard Stiegler d’écrire beaucoup plus vite qu’avant. « La puissance publique doit être en charge d’assurer la solvabilité des contributeurs. Quelqu’un qui a un projet intéressant doit pouvoir recevoir de l’argent. Cela s’inscrit dans le sillage de thèses classiques comme le revenu minimum d’existence, à ceci près que nous pensons que ces budgets doivent être pensés comme des investissements. »
Reproduire de l’investissement, non seulement financier, mais surtout humain. Aux yeux de Stiegler, voilà l’enjeu d’une sortie de crise. Et voilà, aussi, pourquoi il appelle à la réunion des hackers, des universités, des chercheurs, des amateurs et des gens de bonne volonté (« il y en a partout ») face à un « néolibéralisme devenu l’organisation généralisée du désinvestissement ».
Entretien : Quentin Noirfalisse – Vidéo : Adrien Kaempf et Maximilien Charlier
Geek Politics – Dancing Dog Productions
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Le mouvement du logiciel libre a la chance de posséder deux grands tribuns de l’autre côté de l’Atlantique : Richard Stallman, que l’on ne présente plus, et Eben Moglen.
Ils n’ont pas le même style, dans le fond comme dans la forme, mais ils sont tous deux bigrement efficaces et efficients lorsqu’il s’agit de porter la bonne parole, en la rendant accessible au plus grand nombre dans un anglais simple, clair et percutant. Quand on sort de l’une de leurs conférences, on s’en trouve souvent comme revigoré pour ne pas dire galvanisé :)
Nous avions fait l’effort de sous-titrer une longue mais pasionnante et magistrale intervention d’Eben Moglen il y a quelques temps de cela : 1 heure de votre temps pour écouter Eben Moglen.
Donnée en février dernier dans le cadre d’un évènement autour du journalisme et des nouveaux médias, voici une conférence du même acabit et du même auteur qui n’a pas son pareil pour donner l’impression que la somme de tout ce que nous, modestes petites fourmis, faisons chacun dans notre coin du Web fait sens commun et nous dépasse.
Il y évoque notamment l’un des projets qui lui tient hacker et nous avec puisque nous lui avions consacré un enthousiaste et prometteur billet : La Freedom Box ou la petite boîte qui voulait que l’Internet restât libre.
En 2012, c’est décidé, je vote Eben Moglen ! !
PS : Le sous-titrage provient de l’excellent projet Mozilla Universal Subtitles. Merci à Eric Verdier pour la traduction. Et si vous la jugez perfectible, suivez le même lien ci-avant pour l’amélioration :)
—> La vidéo au format webm
—> Le fichier de sous-titres
Merci Tom, c’est un grand plaisir d’être ici.
Je suis très heureux d’avoir l’occasion de parler des questions qui me préoccupent le plus dans un contexte qui nous permet de parler un peu du journalisme et un peu de l’ignorance et un peu de l’abus de pouvoir.
Le problème que représente la presse c’est-à-dire la machine de communication depuis le début de l’industrialisation de la communication et de la lutte contre l’ignorance en Europe, au 15e siècle. Le problème posé par la presse est sa soumission incroyable au pouvoir. Presse et Pouvoir sont difficiles à séparer plus difficiles à séparer que le beurre d’arachide et la gelée, plus difficile à séparer que la nuit et le jour. Presse et Pouvoir sont liés l’un à l’autre depuis le début parce que dès le début il a été clair que l’alternative à une étreinte entre la presse et le pouvoir est une constante révolution alimentée par le désir des gens à connaître et à s’autoriser à agir dans leur propre intérêt, indépendamment de l’intérêt du pouvoir.
Notre adoption de la presse dans le monde européen après l’effondrement de l’unité de la chrétienté et la fin du système pour le contrôle de l’esprit qu’ a été l’Église catholique universelle, dans cette grande révolution intellectuelle, morale et politique que nous avons appelé la Réforme. La réponse à la Réforme fut l’apprentissage par toutes les sociétés européennes, protestantes et catholiques à la fois, que la presse ne pouvait pas être autorisée à être libre, et le résultat a été la censure presque partout pendant des centaines d’années.
Dans de rares endroits en Europe, en Hollande et au Royaume-Uni, en fait en Angleterre après 1650, puis à nouveau après 1695, dans les rares endroits où la presse était libre d’imprimer sans contrôle, le résultat a été le révolution intellectuelle, politique et morale que nous appelons les Lumières et la Révolution française, qui est une preuve de plus que permettre aux gens de savoir, d’apprendre, de s’éduquer les uns les autres et de partager entraînera la décentralisation du pouvoir et une menace pour tous les « Ancien Régime ».
Mais à l’âge des médias capitalistes dans lequel nous sommes en train de passer le mariage entre la presse et le pouvoir a été une fois de plus une question d’attraction magnétique. La presse, qui est la production industrielle et la diffusion de l’information organisée, la presse est devenue la bonniche de la classe possédante.
Liberté de la Presse. Le grand critique de presse américain A. J. Liebling a écrit : « La liberté de la presse appartient à celui qui en possède une » et à travers le 20e siècle tant à l’égard de la presse que de son proche cousin, la diffusion ça a été encore plus vrai.
Nous sommes en train de sortir de l’ère de la presse comme nous passons de l’idée qu’il y a une machine qui transforme l’information du local et temporaire à l’universel et permanent. A la place, nous avons commencé de vivre à l’intérieur d’un système nerveux numérique qui relie chaque être humain sur la planète à tout autre être humain sur la planète actuellement ou potentiellement sans intermédiaires
À la fin de la prochaine génération quelques soient les horreurs ou victoires qui arriveront dans l’intervalle d’ici la fin de la prochaine génération nous allons vivre dans ce monde de l’interconnexion généralisée sociale de l’homme qui est ce que nous voulons dire lorsque nous parlons de l’Internet.
Chaque fax, heu, les quelques-unes restantes, tous les scanners, chaque imprimante, chaque téléphone, chaque appareil, chaque caméra vidéo, ai-je dit par téléphone… téléphone… téléphone… téléphone ? Chaque objet avec une alimentation électrique sera une collecteur d’informations et un système de distribution contrôlée par certains êtres humains quelque part, à une extrémité ou à l’autre.
S’il est contrôlée au final là où sont les êtres humains, où ils luttent, où ils cherchent à vendre leurs légumes, où ils sont offensés par un policier refusant de leur permettre de vendre leurs légumes où ils agissent dans la rue pour aider un vendeur de légumes empêché de vendre ses légumes par un policier offensant partout nous aurons des informations réalisées par des personnes pour se libérer.
Considérez ceci : des Indiens maintenant les plus pauvres des pauvres ont des téléphones mobiles et sur ce téléphone mobile, sur le mobile de chacun, chaque livre, chaque morceau de musique chaque vidéo, chaque carte, chaque expérience scientifique, tout type d’information utile ou belle pourra être mis à disposition de chacun s’il n’y avait pas de règles contre le partage.
Tout ce que nous ont laissé dans ce grand système nerveux de l’humanité, tout ce que nous ont laissé que fait obligatoire l’ignorance sont les règles contre le partage.
Lorsque les lois contre le partage auront disparues, et ça va venir, l’ignorance, pour la première fois dans l’histoire de la race humaine, pourra être évitée partout. En ce moment, on voit à travers le monde les jeunes montrer qu’ils sont prêts à tenir debout devant les balles pour la liberté. Plus tard dans ce siècle, vous verrez les jeunes à travers le monde montrer qu’ils sont prêts à tenir devant des balles afin d’avoir la liberté d’apprendre.
Lorsque cela se produira, la race humaine traversera la révolution la plus importante depuis 1789, et un « ancien régime », qui mérite de périr périra dans le monde entier ici nous discutons aujourd’hui de quelques-unes, simples, premières pièces de cette immense révolution. Le démembrement des systèmes de production de l’information contrôlée et de sa distribution qui existent depuis le matin après Gutenberg.
Mais on est le lendemain du matin après Gutenberg.
C’est le moment où les disparités de pouvoir et les disparités d’accès commencent à céder la place et de l’autre côté, en ce moment, sont presque tous les gouvernements et presque toute la presse et presque tous les privilégiés qui ne veulent pas que le monde change.
Je dînais avec un gouvernement officiel à Washington, DC plus tôt cette semaine et je lui ai dit « Vous savez, environ la moitié des réseaux de télévision en Europe cherchent à m’avoir pour un interview pour discuter de l’hypocrisie du gouvernement américain sur la politique de la liberté sur Internet », J’ai dit « et si la moitié des réseaux de télévision au Europe veulent me parler de l’hypocrisie de la politique américaine sur la liberté de l’Internet, ça fait penser que le Département d’État a un problème ». Il a dit « Oui, ils savent qu’ils ont un problème, et ils veulent faire quelque chose. »
Et ils devraient, mais tous les gouvernements de la Terre ont du mal à parler de l’Internet libre, parce que tous les gouvernements de la Terre font partie d’une structure de pouvoir qui perdront quelque chose à des flux d’information libre, tout comme les grandes institutions économiques dominant notre époque, comme les institutions de surveillance qui vous offrent leur moteur de recherche tant que vous partagez tout ce que vous cherchez, et un e-mail gratuit, tant que vous les laisser les lire, et des appels téléphoniques gratuits, tant qu’ils peuvent les écouter, juste pour les besoins de la publicité, vous surveille.
S’il vous plaît, apportez un demi-million de personnes ici et vivez votre vie sociale à l’intérieur de mon système de surveillance. Je vais prendre soin de vous. Bien sûr, sauf si vous êtes dans la rue protestant contre la dictature, dans ce cas, ce que nous allons vous dire, c’est : notre grand service de réseau social est complètement neutre entre les dictateurs et les les gens dans la rue se combattant… pas notre préoccupation ici à whatchamacallit.
Il s’agit d’une phase de transition, vous comprenez ? Je vous ai dit où nous allons. Maintenant, la question est de savoir comment allons-nous y arriver ?
Voici comment nous allons y arriver : le monde va se remplir de bon marché, petits, dispositifs de faible puissance qui vont remplacer la plupart des ordinateurs auxquels vous êtes habitués.
Tous ces gros ordinateurs sur les bureaux et dans les placards, et dans des chambres pleines de serveurs quelque part, remplacés par des choses pas beaucoup plus grosses qu’un chargeur de téléphone portable, et beaucoup, beaucoup plus capables que le premier ordinateur que vous avez possédé, quel qu’il ai été ou peut-être même l’ordinateur que vous utilisez maintenant.
Ces dispositifs ne coûteront à peu près rien et il y en aura partout, et nous allons créer un logiciel qui s’exécutera dans chacun d’eux, qu’un enfant de 12 ans pourra installer et qu’un de 6 ans pourra utiliser qui permettra aux gens de communiquer librement partout, tout le temps, sans contrôle de l’État, sans contrôle d’un businessman, sans contrôle, ce seront des Freedom Box. Elles feront la liberté.
Nous n’avons pas à faire les boîtes, les boites vont remplir le monde. Nous avons juste besoin de créer le logiciel. Et la bonne nouvelle est que nous n’avons pas besoin de créer les logiciels, nous l’avons déjà créer. Tout le monde dans cette salle avec un téléphone Android l’utilise déjà. Tout le monde dans cette salle qui a été sur Facebook aujourd’hui, s’en est servi de l’autre côté.
Tout le monde qui a utilisé une banque ou un supermarché ou une compagnie d’assurance ou une gare, la semaine dernière a utilisé notre logiciel. Il est partout. Nous l’avons fait pour être partout. C’est libre et gratuit. Cela signifie que nous pouvons la copier, modifier, et le redistribuer librement. Cela signifie aussi que cela fonctionne pour les personnes, pas pour les entreprises.
Tout cela est déjà fait. C’est le résultat de 25 ans d’efforts de notre part.
Maintenant, en ce moment, dans la rue, à l’heure actuelle, nous commençons à montrer pourquoi il protège la liberté et pourquoi les gens en ont besoin. Et nous commençons à préparer à leur livrer.
A. J. Liebling, le critique de presse dont j’ai déjà parlé, a écrit une fois : « La presse américaine me fait penser à l’état d’une conserverie de poissons de 12 milliards de dollars en surchauffe, du dernier cri, comptant pour son approvisionnement sur six gars dans une barque en mauvais état. »
Le fait est, bien sûr, que le bloc monolithique de la presse industrielle du 20e siècle faisait tout bien sauf du reportage, ce qu’elle a mal fait, parce que le reportage a été le déjeuner gratuit dans le saloon, et à tout moment le gardien du saloon pouvait le couper, ce qu’il a fait. Je n’ai pas besoin de vous dire que ce processus s’est accélérée depuis A. J. Liebling qui mourut en 1975.
Donc, nous vivons désormais dans un monde où nous sommes sur le point de combler une lacune dans les reportages. Vous savez ce qui comble une lacune dans l’information – on en a déjà parlé – c’est tous ces téléphones, toutes ces caméras vidéo, tous ces tweets. En d’autres termes, nous avons déjà démocratisé le système de reportage.
Ce qui est effrayant pour le Système dans Wikileaks est que Wikileaks est pour la collecte d’informations ce que la Craig’s List est pour les petites annonces. Il modifie la gestion des fuites.
Je déteste corriger tout le monde sur n’importe quel point, mais je tiens à souligner que Wikileaks n’a pas publié les 250.000 câbles du Département d’État. Il possède 250.000 État câbles du ministère et a publié environ 2.000 d’entre eux. Ce qui est le nombre de câbles diplomatiques montrés aux correspondants diplomatiques à travers le monde travaillant pour les principaux journaux, chaque jour.
Mais personne ne dit que c’est de la trahison, parce que c’est le commerce officiel des fuites, à partir de laquelle les représentants du gouvernement, des seigneurs de presse et des propriétaires à travers le monde tirent du bénéfice tous les jours.
Le pouvoir économique, politique et le pouvoir de garder les gens dans l’ignorance.
Qu’est-ce qui se passe dans le Net, maintenant, dans les téléphones, dans les nœuds de sortie Tor, et ce qui se passera dans le monde multiplié par cent, dans peu de temps, dans toutes ces Freedom Box c’est, des informations libres pour le bénéfice de ceux qui en ont besoin.
Demandez-vous ce qui arrivera quand tous ceux qui en ont besoin pourront les avoir et tous ceux qui en ont, pourront les fournir. Qu’est-ce qui va se passer dans les quartiers ? Qu’est-ce qui se passera dans les postes de police. Ce qui va se passer, c’est ce qu’il se passe quand il y a un incendie ou un tremblement de terre, ce qui arrive quand un tyran chute.
Ces mêmes petites boîtes de peu dont je parle seront également en mesure de créer un réseau maillé wifi c’est-à-dire que si quelqu’un coupe le réseau de télécommunications dans un quartier le quartier va continuer à fonctionner.
Ce que M. Moubarak et ses conseillers ont mal compris. C’est pourquoi il est à Charm el Cheikh, avec l’espoir d’acheter un appartement dans l’une des tours en construction à La Mecque, sans doute. Parce que M. Moubarak et ses conseillers pensaient que si vous éteignez l’Internet, vous éteignez la génération Internet.
C’est une erreur. Car, en fait, ce n’est pas un système particulier de télécommunications, ou une structure de réseau social, une base de données particulière de « twatts » … ou twuts… ou twoots, ou quel que soit la façon dont ils les appellent. Ce n’est pas la technologie qui les font marcher c’est que les êtres humains ont compris quelque chose sur la société s’ils ont grandi dans le Net.
La plupart des êtres humains, la plupart du temps, dans la plupart des contextes sociaux, croient que le réseau social le plus précieux pour eux, c’est les gens qu’ils voient tous les jours, et les gens avec qui ils ont de forts rapports émotionnels. Voilà comment la plupart des gens,depuis toujours, pensent le monde social. C’est parce que nous avons évolué pendant des millions d’années pour penser de cette façon.
Comme parties de petits groupes de quelques dizaines de primates vivant au sol. Nos neurones ont évolués pour que nos heuristiques sociales évoluent pour que nous pensions que le réseau social assez solide pour nous soutenir, c’est le peuple que nous voyons autour de nous et que les gens dont nous nous soucions sont ceux qui se soucient de nous en retour.
Mais la génération des gens qui grandissent à l’intérieur du Net le sait maintenant, le sait viscéralement, le sait tout le temps comme une question d’habitude, c’est que le réseau social qui est suffisamment robuste pour changer le monde autour de vous comprend des milliers de personnes auprès desquelles vous ne vivez pas, et avec qui vous n’avez pas de lien émotionnel direct, mais que ce sont les gens qui croient ce que vous croyez, et veulent faire quelque chose, eux-aussi.
Qu’est-ce que nous avons appris à la fin du 20ème siècle d’abord en Pologne, puis dans d’autres endroits, c’est que ce qui fait la révolution, c’est la solidarité. La capacité qu’ont des personnes ne vivant pas à proximité les unes des autres dans l’espace social ou géographique, n’ayant pas de liens personnels immédiats les liant entre elles, de percevoir la capacité à s’auto-organiser pour la réalisation soudaine de profondes fins sociales
Ce que le réseau fait, ce que la vie avec le réseau fait, est d’enseigner aux humains que le coût de la solidarité a baissé. Qu’il est plus facile et plus rapide d’être solidaire qu’il ne l’a jamais été auparavant, et si vous prenez un tas de gens qui le savent, et vous coupez le réseau, ils vont être solidaires de la meilleure façon qu’ils connaissent. Ils jettent des tracts dans la rue, ils se servent de pigeons voyageurs, du téléphone arabe.
Ils font tout ça, parce que la vraie compétence acquise par l’humanité est possibilité l’auto-organisation, et ce que nous voyons maintenant, aujourd’hui, dans le Maghreb, à l’heure actuelle, aujourd’hui, dès maintenant, c’est que la solidarité par auto-organisation est plus forte que les balles des mitraillettes.
Partout dans le monde, la tyrannie aime dire : « L’alternative à mon pouvoir, c’est le chaos », et tout autour du monde, tout le monde peut voir que ce n’est pas vrai.
Donc, ce que nous allons faire, c’est que nous allons fabriquer des objets bon marché, et nous allons les équiper de logiciels libres, et nous allons les mettre entre toutes les mains, et nous allons dire : « Ici. Cela fabrique la solidarité. Utilisez-le. Soyez bien. Soyez libre » Ça va marcher.
Il n’y a pas de raison d’être du côté de la presse, comme il n’y a aucune raison d’être du côté du pouvoir. C’est simple, maintenant. Le pouvoir a été déplacé à la périphérie du réseau, et ca va continuer pour la génération à venir.
Ce sera une grande révolution, et ça va changer le sort de milliards d’êtres humains. Ça rendra l’ignorance obsolète, et quand çà aura rendu obsolète l’ignorance, ca va changer l’avenir de la condition humaine.
La presse ne va pas le faire. Le pouvoir ne va pas le faire. Les gens vont le faire. La technologie pour permettre aux gens de le faire existe déjà. Tout ce dont il y a besoin, c’est un peu de l’affiner. Nous sommes les gens qui vont l’affiner. Nous ne cherchons pas de l’argent. Nous ne cherchons pas le pouvoir. Nous voulons seulement partager.
Tout le monde veut parler de la liberté sur Internet, sauf nous. Nous ne voulons pas parler de la liberté sur Internet, nous voulons juste la faire.
Rejoignez-nous !
Je vous remercie beaucoup.
]]>Ce samedi 19 novembre à 18h10 (ou plus tard en podcast) l‘excellente émission Place de la Toile sur France Culture nous fait l’honneur de nous inviter à l’occasion de notre dixième anniversaire.
]]>En… 1994 Umberto Eco, rédigeait dans les colonnes de l’Espresso, une chronique[1] érudite et amusante sur l’opposition d’alors entre le Mac et le DOS, ancêtre de Windows.
Déjà le Mac est vanté pour sa convivialité. Mais, contrairement au DOS, vous ne pourrez pas alors vous « permettre la libre interprétation des écritures ».
Alors qu’on y pense fortement en lisant l’article aujourd’hui, Linux n’est pas cité. Et c’est bien compréhensible puisque le célèbre système d’exploitation libre venait à peine de naître.
Mais, six ans plus tard, en 1999, lorsque l’on regroupa les chronique dans un livre, Eco se fendit d’une note très intéressante qui explique pourquoi j’ai pris une certaine liberté dans le titre de ce billet.
« La flamme du protestantisme est désormais entre les mains de Linux. »
Nous usons d’un droit de courte citation pour vous reproduire la chronique ci-dessous agrémenté de quelques liens, en particulier vers Wikipédia, si vous souhaitez vous plonger plus profondément dans les nombreuses références religieuses[2].
Umberto Eco – 1994 – Espresso (La bustina di Minerva)
Une attention trop faible a été accordée à la nouvelle guerre religieuse souterraine qui transforme le monde moderne. C’est une de mes vielles idées, mais je découvre qu’à chaque fois que j’en parle aux gens, ils sont d’accord avec moi.
Le fait est que le monde est divisé entre les utilisateurs d’ordinateurs Mac et les utilisateurs d’ordinateurs compatibles MS-DOS. Je suis entièrement convaincu que le Mac est Catholique et le DOS Protestant.
En effet, le Mac est contre-réformiste et a été influencé par le ratio studiorum des Jésuites. C’est un système gai, convivial, amical, il dit au croyant comment il doit procéder étape par étape pour atteindre – sinon le Royaume des Cieux – le moment où le document est imprimé. C’est une forme de catéchisme : l’essence de la révélation est abordée au moyen de formules simples et d’icônes somptueuses. Chacun a droit au Salut.
DOS est Protestant, voire Calviniste. Il permet la libre interprétation des écritures, réclame des décisions personnelles difficiles, impose une herméneutique subtile à l’utilisateur et tient pour acquis que tout le monde ne peut pas atteindre le Salut. Afin de faire fonctionner le système, il faut interpréter soi-même le programme : loin de la communauté baroque des fêtards, l’utilisateur est enfermé à l’intérieur de la solitude de ses propres tourments.
On pourrait répondre que, avec le passage à Windows, l’univers DOS finit par ressembler davantage à la tolérance contre-réformiste du Macintosh. C’est vrai : Windows représente un schisme de type Anglican, avec cérémonies en grandes pompes dans la Cathédrale, mais il reste toujours une possibilité d’un retour au Dos pour changer les choses en accord avec les décisions étranges ; quand c’est le cas, vous pouvez décider d’autoriser les femmes et les homosexuels à être ministre du culte si vous le souhaitez.
Il va de soi que le catholicisme et le protestantisme des deux systèmes n’a à priori rien à voir avec les opinions culturelles et religieuses de leurs utilisateurs. J’ai ainsi découvert un jour que, chose incroyable, le sévère et tourmenté Fortini utilisait le Macintosh ! On peut cependant légitimement se demander si à la longue l’adoption de tel système plutôt que tel autre n’exerce pas une profonde influence. Peut-on vraiment utiliser le DOS et soutenir la Vendée ? Céline aurait-il écrit sur Word, WordPerfect ou Wordstar ? Descartes aurait-il programmé en Pascal ?
Et le code source, qui est la clé des deux systèmes (ou environnements, si vous préférez) ? Ah, il est lié a l’Ancien Testament et il est talmudique et cabalistique. Encore un coup du lobby juif…
Cette chronique a été rédigée il y a six ans. Dans l’intervalle les choses ont changé. Windows a rejoint Mac dans son catholicisme tridentin avec la sortie des versions 95 et 98 du système. La flamme du protestantisme est désormais entre les mains de Linux. Mais l’opposition demeure valide (1999)
« Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits. » Tel est le cinglant résumé de ce récent éditorial du Guardian qui prend appui sur l’actualité, dont le fameux rachat de Motorola par Google, pour nous livrer un constat aussi amer qu’objectif[1].
« Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. » Voilà où nous en sommes clairement maintenant.
Un nouvel exemple d’un monde qui ne tourne pas rond. Un nouvel exemple où le logiciel libre pourrait aider à améliorer grandement la situation si le paradigme et les mentalités voulaient bien évoluer.
Software patents : foolish business
Éditorial du Guardian – 21 aout 2011 (Traduction Framalang : Goofy et Pandark)
Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits.
La plupart des gens comprennent les raisons et les arguments en faveur des brevets industriels. Ces derniers fournissent à un laboratoire pharmaceutique — qui a investi une fortune dans le développement d’un nouveau médicament — une sorte d’opportunité pour, pendant une période limitée, rentabiliser sa mise initiale avant que le reste du monde ne puisse en faire des versions moins chères. Mais les brevets logiciels, bien que semblables au plan juridique, sont très différents sur le plan pratique. Quand Google a racheté la division téléphone mobile de Motorola pour 12, 5 milliards de dollars la semaine dernière, l’événement a fait des vagues dans le commerce comme dans l’industrie, parce qu’il ne s’agissait pas d’acheter les mobiles de Motorola mais son portefeuille de plus de 17000 brevets logiciels, denrée devenue la poudre d’or de l’âge numérique.
Les brevets constituent une industrie qui brasse plusieurs milliards, et les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant des procès qu’en créant un produit. Jusqu’au milieu des années 90 l’industrie informatique — Microsoft compris — étaient opposée à cet abus de licences. essentiellement parce que l’industrie était suffisamment innovatrice pour pouvoir se passer de la protection des brevets, qui de toutes façons incluaient des avancées technologiques relativement ordinaires, considérées comme la routine du travail d’ingénieur.
Puis, la tentation entra en scène. Les juristes des entreprises prirent conscience qu’ils pouvaient poursuivre les autres pour infraction aux brevets souvent achetés par lots. Ils furent rejoints par des entreprises « troll », constituées dans l’unique but d’acheter des brevets et de faire des procès aux autres entreprises et aux développeurs, sachant pertinemment que la plupart accepteraient une transaction à l’amiable plutôt que d’affronter les coûts prohibitifs de leur défense juridique. Les entreprise qui étaient précédemment opposées aux brevets logiciels se sont aujourd’hui lancées dans la course à l’armement. Microsoft a accumulé un gigantesque arsenal de brevets et peut taxer un fabricant comme HTC à raison de 5 dollars par téléphone portable vendu — même si le système d’exploitation Android (développé par Google) utilisé sur les téléphones HTC est « open source » et supposé disponible pour tous. Avec des centaines, si ce n’est des milliers de brevets maintenant en jeu dans un téléphone mobile, il est pratiquement impossible de ne pas enfreindre un brevet d’une manière ou d’une autre. Dans le même temps Google, confronté au puissant aspirateur à brevet de ses rivaux, a été contraint de s’acheter son propre portefeuille en réaction d’auto-défense.
Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. De telles acquisitions peuvent entraîner les entreprises de technologies de l’information bien loin de leur cœur de métier. Une recherche universitaire menée par le Berkman Center for Internet and Society a montré que les brevets logiciels n’ont procuré aucun bénéfice à l’industrie du logiciel, et encore moins à la société dans son ensemble. C’est dramatique, car un grand nombre d’entreprises qui étaient auparavant opposées aux brevets logiciels se sont ralliées à ce système, rendant plus difficile de trouver une solution efficace. Une fois de plus les consommateurs sont vent debout contre les entreprises. Où sont les forces régulatrices quand on en a besoin ?
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