Meurtre collatéral en Irak ou quand la censure se cache derrière le copyright

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The US Army - CC byNouvelle traduction du blog de notre ami Glyn Moody qui, citant l’exemple d’une bavure de l’armée américaine en Irak[1], n’y va pas de mainmorte dans ses griefs contre le copyright  : «  Ce genre d’abus donne une raison supplémentaire pour laquelle nous devons abolir complètement le copyright  : non seulement il est sans intérêt pour la vraie créativité (les artistes n’ont pas besoin de motivation pour créer — ils doivent le faire à cause de pulsions internes), mais il est également une menace grandissante pour la liberté du monde numérique.  »

Difficile de lui donner tort…

Meurtre Collatéral, Dommages Collatéraux

Collateral Murder, Collateral Damage

Glyn Moody – 16 mai 2010 – Blog personnel
(Traduction Framalang  : Joan et Goofy)

Si vous n’avez pas vu «  Meurtre Collatéral  », la vidéo choquante — mais importante — qui montre le mitraillage sans scrupules de civils irakiens (suivi d’un lancement de missile sur un minibus avec des enfants à l’intérieur), ne la manquez pas sur Wikileaks, sa source d’origine. Malheureusement, vous ne la trouverez peut-être pas sur YouTube ni sur les autres sites de partage de vidéo, puisqu’elle a été enlevée (bien qu’apparemment celle de YouTube soit à nouveau disponible).

Vous pourriez penser qu’il s’agit d’un exemple de censure caractérisée, mais d’une certaine façon, c’est encore pire  :

«  Collateral Murder, vue plus de 6 millions de fois, enlevée de YouTube après une requête en violation de copyright http://bit.ly/aS3bMk  »

Vous avez bien lu, elle a été enlevée sur la base d’une accusation de violation de copyright, et non parce que quelqu’un la trouvait trop choquante pour être montrée. L’idée qu’une telle action puisse être entreprise sur la violation du monopole de quelqu’un, pendant que le massacre de sang-froid de civils irakiens est caché sous le tapis, est évidemment répugnante.

Mais c’est tout simplement un autre effet pervers de la loi obsolète qu’est maintenant le copyright — un dommage collatéral en quelque sorte.

Après tout, le copyright a grandi en Angleterre afin de contrôler le flux d’information, en permettant aux gens d’en devenir «  propriétaires  » — créant ainsi un robinet d’étranglement bien pratique.

La première loi sur le copyright était une loi de censure. Elle n’avait rien à voir avec la protection des droits des auteurs, ou avec l’encouragement à produire de nouvelles œuvres. Les droits des auteurs n’étaient pas en danger dans l’Angleterre du seizième siècle, et l’arrivée récente de la machine à imprimer (la première machine à copier au monde) donnait de l’énergie aux écrivains plutôt qu’autre chose. Tellement d’énergie en fait, que le gouvernement anglais commença à craindre que trop de travaux ne soient produits, et non trop peu. Cette nouvelle technologie rendait les lectures pernicieuses largement disponibles pour la première fois, et le gouvernement éprouva un besoin urgent de contrôler l’inondation de travaux imprimés, la censure étant à l’époque une fonction administrative aussi légitime que la construction de routes.

Nous ne devrions donc pas être surpris que le copyright soit encore aujourd’hui utilisé à des fins de censure – bien que souvent camouflé en simple problème commercial (bien qu’on se demande comment cela peut être possible lorsque l’on parle de vidéos tournées par des militaires dans une zone de guerre.).

Ce genre d’abus donne une raison supplémentaire pour laquelle nous devons abolir complètement le copyright  : non seulement il est sans intérêt pour la vraie créativité (les artistes n’ont pas besoin de «  motivation  » pour créer — ils «  doivent  » le faire à cause de pulsions internes), mais il est également une menace grandissante pour la liberté du monde numérique.

Toute personne qui en doute devrait lire le type de clauses incluses dans les lois anti-piratage comme le Digital Economy Act, qui permettent de bloquer des sites s’ils sont supposés héberger des travaux violant le copyright de quelqu’un. Dans les faits, cela permet au gouvernement de Grande Bretagne d’empêcher toute fuite de ses documents, puisque la loi ne comporte pas la défense de l’intérêt public. Si ce dispositif avait été présenté explicitement comme une loi pour bloquer de telles fuites, il y aurait eu une protestation générale contre la censure que cela entraîne  ; mais le travestir en «  protection  » des pauvres artistes créateurs, le fait passer sans encombres, les seules protestations viennent des agitateurs habituels (comme moi). Plus le copyright est fort, plus le champ de la censure possible est étendu  : c’est aussi simple que ça.

Suivez-moi @glynmoody sur Twitter ou identi.ca.

Notes

[1] Crédit photo  : The US Army (Creative Commons By)

11 Responses

  1. Clément

    L’abolition totale du copyright me semble être une mauvaise idée, à cause des dommages collatéraux que ça provoquerait.

    Ça anéantirait entre autres totalement les garanties proposées par les licences libres comme la GPL.

    "les artistes n’ont pas besoin de « motivation » pour créer — ils « doivent » le faire à cause de pulsions internes" est une vision beaucoup trop réductrice du problème. (À mon sens en tout cas)
    On dispose de tout un tas d’outils performants pour diffuser du contenu, servons-nous en.

  2. David

    @Clément : Abolition c’est peut-être un peu fort effectivement. Après faut voir que c’est le "copyright" des américains et non notre "droit d’auteur" à nous. Son mésusage reste flagrant ici.

  3. Béat

    «…les artistes n’ont pas besoin de « motivation » pour créer — ils « doivent » le faire à cause de pulsions internes»…

    Quel beau cliché! Et après, ils crèvent la dalle, les artistes?

    Relisez Larry Lessig. Il n’y est jamais question d’abolir le droit d’auteur pour les vrais auteurs, mais plutôt de restreindre celui des industriels qui en font commerce.

  4. Mc Rack

    Je suis sur que même sans revenu liés au droit d’auteur ou au copyright, les artistes continueraient à créer, sans forcément "crever la dalle" plus qu’il ne le font déjà aujourd’hui.

    Pour tout ce qui concerne les concerts vivants, si un chanteur chante une chanson, je préfère voir le vrai en concert plutôt que son sosie, ou qu’une reprise. Mais sans le copyright un chanteur du tiers-monde peut interpréter dans son pays les chansons des autres et gagner sa vie.

    Pour tout le reste, je crois que le mécénat est la solution, il y a plein de manières pour des artistes de le générer. Par exemple après avoir lu le premier volet d’une série, beaucoup serait près à payer pour que la suite soit écrite.

    Et pour ce qui est des protections de la GPL, elle protège ce qui est public pour l’empêcher d’être approprié par le copyright privé, s’il n’y a plus de copyright, plus besoin de protection, tout est public.

  5. Grunt

    @Mc Rack:
    C’est un peu simpliste. La GPL empêche qu’un éditeur récupère du code source libre, le modifie, et distribue des binaires sans les sources. Sans copyright, toutes les clauses copyleft, qui imposent de respecter la liberté de l’utilisateur, ne valent rien.

    N’importe quel éditeur pourrait alors se servir dans le code de GNU/Linux, ajouter quelques améliorations de son cru, et vendre le tout avec des DRM empêchant la copie.

  6. Clément

    Supprimer totalement le copyright revient à mon sens à sacrifier la liberté de ceux qui génèrent le contenu pour celle des consommateurs. Je trouve ça plus égoïste qu’autre chose.

    Si des gens produisent du contenu et ne veulent pas le rendre libre, c’est leur choix, et je ne vois pas ce qui peut nous permettre de leur interdire. (Je ne dis pas qu’il faut le cautionner, je dis juste que c’est de leur ressort, et que c’est à eux d’en décider).

    Libre à nous de ne choisir d’écouter que de la musique libre, de n’utiliser que des logiciels libres, que ne s’attacher qu’aux œuvres libres. J’essaye d’appliquer ces principes dans la vie de tous les jours, certains le font mieux que moi. C’est une voie tout à fait viable, et qui repose sur la Liberté Individuelle (pour l’artiste et pour le quidam)

    Mais vouloir imposer nos choix (de consommateurs) par la loi sur le travail d’autrui, je trouve ça gonflé (tout aussi gonflé que les DRM et autres). On n’est pas obligé par la loi de n’acheter que des produits DRMisés. On n’aura pas d’amende si on refuse d’acheter un CD ou un BluRay incopiable. On l’achète pas et puis c’est tout.

    Un mouvement pérenne repose sur la volonté des différents acteurs. C’est pas en imposant des solutions extremistes que le problème se règlera magiquement.

  7. untel

    Selon Godard, un artiste n’a que des devoirs : http://blogs.lesinrocks.com/cannes2

    Oui, je sais… c’est limite hors-sujet, mais je ne rate jamais une occasion d’exprimer mon admiration pour ce type qu’il est de bon ton de railler… 🙂

  8. oliwek

    la fin du copyright rendrait caduques les licences libres fondées sur le copyleft, soit… encore faudrait-il s’interroger sur la nécessité de conserver des licences libres s’il n’y a plus de propriété intellectuelle sur les logiciels! après tout, chacun serait libre d’utiliser le code qui l’arrange. Qu’il soit accompagné du code source ou non.

  9. oliwek

    et le schéma pourrait être étendu aux oeuvres artistiques. Encore qu’il est bien évident que cela devrait être accompagné d’une forme de rente attribuée aux artistes. Ce ne sont pas les propositions qui manquent. C’est plutôt le refus total du monde politique (sauf exceptions à gauche d’habitude) de commencer même à en débattre ; il suffit de se rappeler les réactions des parlementaires UMP dès qu’on évoquait lla licence globale.