Le partage de la culture sur Internet n’est pas une question d’argent

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Vous n’êtes que des enfants gâtés qui ne veulent pas payer, nous dit l’industrie du copyright…

Un argument que ne veut vraiment plus entendre Rick Falkvinge, en comparant la situation à l’affaire de la taxe sur le thé de Boston qui déclencha la révolte des Amériques contre la domination anglaise au XVIIIe siècle.

Imbéciles  ! Cela n’a jamais été une histoire d’argent  : Similitudes entre les cauchemars du monopole du copyright et l’affaire de la taxe sur le thé de Boston

It Was Never About The Money, Stupid : The Similarities Between Copyright Monopoly Madness & Boston Tea Taxes

Rick Falkvinge – 29 décembres 2013 – TorrentFreak
(Traduction  : sinma, Peekmo, Sylvain, eve, emchateau, goofy, brandelune, Jeey_PPMP, KoS, Asta, benjamin, Sky + anonymes)

«  Vous n’êtes que des enfants gâtés qui ne veulent pas payer  », nous dit l’industrie du copyright, voyant les citoyens partager culture et connaissance par Internet. «  Vous n’êtes que des enfants gâtés qui ne veulent pas payer  », disaient les Anglais aux révoltés du Boston Tea Party. Les mécanismes sous-jacents sont les mêmes.

À chaque nouvelle découverte, d’anciennes raretés deviennent abondantes et de nouvelles raretés apparaissent autour des nouvelles abondances. Quand les ménages ont été électrifiés, la réfrigération des aliments est devenue chose courante, l’industrie de la glace s’est retrouvée sans marché du jour au lendemain et les électriciens ont pris le devant de la scène. Quand les lampadaires électriques arrivèrent, la profession d’allumeur de réverbères devint obsolète et encore une fois, il fallait plus d’électriciens. Quand le courrier électronique arriva, les services postaux et les postiers sont devenus largement obsolètes mais les administrateurs systèmes étaient devenus nécessaires à la place.

Quand les ordinateurs et Internet nous permettent aujourd’hui de fabriquer nos propres copies de la culture et du savoir, c’est au tour de l’industrie du copyright — qui gardait un monopole sur ce genre de duplication, maintenant la rareté de la culture et du savoir — de devenir obsolète, et en face de cette nouvelle abondance de culture et de savoir, de nouvelles raretés apparurent. Par exemple, quand vous avez plus ou moins toute la musique du monde sur votre disque dur, il devient fatigant et laborieux de les classer pour écouter ce que vous voulez.

Quand le service de musique Pandora a été lancé, il fit exactement cela  : il résolut la nouvelle rareté, la capacité à trier parmi l’abondance. Je suis le 110e abonné sur plus de 20 millions aujourd’hui (et j’ai aussi payé pour contourner la ridicule tentative de blocage de ce service aux États-Unis). Il est facile de le vérifier.

Ceci est remarquable car les pirates ne sont pas disposés à payer pour la culture et les services (de diffusion) des connaissances. Cependant, les pirates (et par les «  pirates  », je veux dire les 150 millions de jeunes américains, 250 millions d’européens, et environ la moitié des jeunes du reste de la population mondiale) ne sont pas disposés à payer pour des services obsolètes, telles que la duplication. Les pirates sont les utilisateurs de la première heure (NdT  : early adopters).

Reprenons cela, car il s’agit de l’élément clé pour arrêter de répéter tel un perroquet la sentence inexacte du «  je ne veux pas payer  » à propos des personnes qui partagent joyeusement en ligne culture et savoir  :


Les pirates sont des utilisateurs de la première heure, en avance sur leur temps. Si vous leur mettez quelque chose de nouveau et brillant entre les mains, ils vous jetteront de l’argent. Inversement, ils seront les premiers à identifier un marché dépassé et l’abandonneront. De plus, ils n’accepteront – jamais – les lois qui les enferment avec un service qu’ils n’ont pas demandé, surtout quand ils peuvent faire la même chose eux-mêmes pratiquement sans aucun effort, comme fabriquer leurs propres copies de films, musiques, jeux ou logiciels avec leur propre matière première et leur travail.

Évidemment, cela signifie que vous ne pouvez pas obliger moralement les pirates à payer pour la fabrication de leurs propres copies en utilisant leur propre travail et matériaux, même si la loi dit que vous avez le droit de les taxer et de leur imposer une amende pour le faire. Cela apparaît comme extrêmement lourd et répressif.

Cela s’est produit de nombreuses fois auparavant, et ces situations ont tendance à se résoudre de la même façon. L’une des plus célèbres occurrences est celle qui a abouti à la grande manif du thé sur les quais de Boston. Ceci est advenu en dépit du fait que ces gens ne semblaient pas avoir un problème en tant que tel sur le fait de payer l’impôt sur le thé, le problème n’était pas un problème financier, ça ne l’a jamais été.

Vous pouvez dénigrer les pirates en prétendant qu’ils sont avares, et probablement assez aisés pour payer s’ils le voulaient, comme on pouvait alors dénigrer les buveurs de thé de l’époque comme des salauds avares qui pouvaient très bien payer la taxe sur le thé d’Angleterre. Ce faisant, vous êtes complètement à côté de la plaque, en choisissant, de manière grotesque, de déformer les éléments du débat afin d’éviter d’être déstabilisé, quitte à rester ignorant.

«  Mais le Boston Tea Party concernait la taxation sans représentation  » (NdT  : c’est-à-dire que les populations américaines étaient taxées par un pouvoir étranger, auquel elles n’avaient aucune part, alors que les Anglais avaient une représentation populaire au Parlement qui votait l’impôt), diraient certains. «  Le problème du monopole du copyright est différent  !  »

L’est-il vraiment  ?

Vraiment  ?

Regardons les faits dont on dispose. Les lois sur le monopole du copyright ont été construites pour bénéficier au public, et au public seul. Dans la constitution des États-Unis, le but du monopole du copyright est clairement décrit comme «  la promotion du progrès des sciences, et des arts utiles  ». Rien de plus, rien de moins.

C’est important de noter cela, comme le but du monopole («  droit exclusif  ») n’est pas, et n’a jamais été, d’autoriser quiconque à faire de l’argent à partir d’une activité particulière. Son but n’a jamais été, notamment, d’autoriser quelqu’un à continuer à faire de l’argent de la manière dont il l’avait toujours fait, même lorsque la technologie a modifié le paysage et que leur offre n’ajoutait plus aucune valeur supplémentaire.

Le monopole du copyright est un équilibre, mais c’est un équilibre entre deux intérêts publics qui entrent en conflit  : l’intérêt public dans la promotion des nouvelles sciences et arts, et le même intérêt public d’avoir accès à ces sciences et arts. Les industriels du copyright n’ont aucune légitimité dans cette réglementation.

C’est là que le problème commence. Car, lorsque nous regardons comment la réglementation sur le monopole du copyright a été écrite et réécrite durant les dernières décennies, elle a été entièrement adaptée aux souhaits d’une industrie obsolète d’intermédiaires, augmentant de plus en plus les peines en cas de contournement de leur impasse monopolistique. L’intérêt du public – le seul acteur légitime – n’est plus, et n’a pas été, du tout pris en compte. Dit simplement  : le public n’a pas voix au chapitre.

Donc si une loi qui force les gens à payer quelque chose inutilement et involontairement n’est pas une taxe, alors qu’est-ce que c’est  ?

Et si leurs intérêts ne sont pas représentés[1] dans cette législation… euh…  ?

Cet argument peut apparaître comme ésotérique et étrange à ceux qui défendent le monopole du droit d’auteur mais je garantis deux choses à ces gens  : premièrement, répéter comme un perroquet  : «  tout ce que vous voulez c’est ne pas payer  » apparaît comme tout aussi étrange et éloigné de la réalité à ces entrepreneurs qui repoussent les limites, conscients de la technologie et de la société d’aujourd’hui. Et deuxièmement, le mot d’ordre «  pas de taxe sans représentation  » suite au Boston Tea Party devait sembler tout aussi étrange aux oreilles de l’élite autoproclamée de l’époque.

Je ne veux plus jamais entendre «  vous ne voulez juste pas payer  » de ma vie. Nous fabriquons nos propres copies de ce que nous observons directement avec notre travail et notre matériel, et nous avons tous les droits moraux, philosophiques, éthiques, économiques, et naturels de le faire. Nous rejetons le droit d’une industrie obsolète à décréter des taxes privées sur notre propre travail. Si vous voulez faire partie du futur, essayez au moins de prendre nettement plus de recul.

J’espère que le débat en 2014 sera légèrement plus élevé que depuis toutes ces années où je m’y suis impliqué (c’est-à-dire depuis 1987 environ). C’est à nous tous de forcer le débat dans le bon sens.

Notes

[1] NdT  : Le terme représenté est en relation avec le principe de consentement à l’impôt affirmé par les Révolutions du 18e siècle).

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32 Responses

  1. Vincent

    Merci (une fois de plus) aux traducteurs pour cet intéressant article.

    La comparaison de Falkvinge est intéressante, mais il est sans doute encore trop gentil.
    Le (vieux) monde de l’édition pense tirer son épingle du jeu en favorisant et organisant délibérément une stupide rareté artificielle de biens immatériels via des lois de plus en plus déconnectées de la réalité.
    Souhaitons que le retour de manivelle soit à la hauteur de toutes les vilénies commises derrière le masque du droit d’auteur.

  2. Aurélien PIERRE

    Je trouve cet article bien gentil mais un peu facile…

    Le libre accès à la culture, c’est très bien pour la société, mais il faut quand même rémunérer les auteurs, si l’on ne veut pas qu’ils lâchent leur plume/instrument/micro/… pour aller vendre des hamburgers. Et le problème de ce genre d’article, c’est qu’il fait une analyse trop rapide des rapports public/grosses industries, en mettant de côté tous les petits labels/éditeurs/artistes indépendants.

    Il y a en France des dizaines de petits éditeurs, comme moi, qui font leur boulot par passion, mais pour qui chaque nouveau livre publié représente un nouveau risque financier pris. Et je suis désolé de dire que c’est bel et bien une question d’argent…

    Écrire un bouquin de 100 pages, ça me prend l’équivalent de 2 à 3 mois de travail à temps plein. Jamais je ne m’amuserais à ça sans l’espoir de rentabiliser et de monnayer ce temps.

    Pour finir, la comparaison entre le Boston Tea Party et les pirates n’a pas d’intérêt en dehors de l’exercice de style, et reste valide tant qu’on ne rentre pas trop dans les détails. Ne serait-ce que parce que le thé, acheté via le monopole anglais, ou en dehors, était payé de toute façon. Ce qui n’est pas le cas de la culture piratée.

    Du reste, les lois sur le copyright n’ont pas été construites pour le seul public. Elles visent à protéger les inventeurs et les créateurs, en leur attribuant un monopole temporaire, puis libèrent les oeuvres dans le domaine public après un certain temps, en considérant que la société (confort, sécurité, infrastructures, etc.) a également joué un rôle dans la création d’oeuvres en créant un contexte favorable aux artistes. C’est de cette façon que l’équilibre intérêt privés/intérêt général est maintenu.

    Maintenant, c’est sûr que si l’on s’en tient au sol américain, où beaucoup trop de compagnies ont dépassé le stade critique où elles peuvent se permettre de court-circuiter le système démocratique pour imposer leur vues dans la loi, c’est un autre problème, qui dépasse de loin le cadre de la culture (cf. les OGM, les médicaments, l’armement, etc.).

    Bref, cet article serait intéressant s’il ne taillait pas des raccourcis aussi faciles.

  3. -Fred-

    Il faut bien entendu rémunérer les auteurs mais tout l’enjeu, c’est de faire évoluer les moyens de le faire pour que ça reste le plus équitable pour tout le monde.

    Exemple de la musique :
    – Avant l’arrivée d’internet, l’industrie du disque rendaient un service contre monnaie sonnante et trébuchante (copie de la musique sur un support). Cet intermédiaire n’était techniquement pas contournable et la rémunération des artistes s’est donc naturellement calquée en partie sur la vente de copie. A cette époque, c’était, faute de mieux, le meilleur moyen pour tout le monde.
    – Depuis la démocratisation d’internet, le coût de la copie s’est rapproché de zéro et pourtant, l’industrie du disque n’a pas remis son modèle en question. On a continué à payer pour ce qu’on pouvait techniquement avoir ailleurs pour presque rien. Dans une telle situation, il est normal que le public se soit dit qu’on se foutait bien de lui. L’industrie du disque a bien essayé de résister (par l’ajout de DRM ou autres âneries contre-productives) mais pour autant, on a pas encore retrouvé un nouvel équilibre.

    Concernant la comparaison entre le Boston Tea Party et les pirates, certes les « piratent » ne payent pas, mais la copie ne coûte rien (contrairement au thé qui pour chaque plant, coûte à être produit). Effectivement, biens matériels et immatériels, c’est pas pareil.

    Ce qui me sidère le plus finalement, c’est que l’on oppose aujourd’hui les artistes et leur public.

  4. Ethan

    Remunerer les auteurs, oui, remunerer des gens qui ne servent plus a rien, non.
    Ce qu’un artiste touche sur le prix de son disque que vous achetez a la FNAC, c’est peut etre 1%, disons 5% pour etre large.
    Le reste, c’est la chaine de distribution et le financement du risque dont parle Aurelien.
    Sauf que, si on supprime la chaine de distribution, on supprime aussi le risque, puisqu’il n’y a plus besoin de presser des milliers de disques pour s’appercevoir qu’on arrive pas a les vendre.

    Or, les gens qui vendent de la musique sur internet s’obstinent a la vendre au meme prix que dans les magasins, ce qui est clairement du foutage de geule (et ca marche aussi avec les livres, les films, et tout ce qui peut etre converti en une suite de 0 et de 1).

  5. Anon

    De toutes façon les seuls artistes qui gueulent contre le piratage c’est les « gros » genre Metallica, qui dorment déjà sur des millions mais ça ne leur suffit pas (ils oublient vite la bonne époque où ils se sont fait connaitre par les copies de K7 audio…)

    Un « petit » artiste ne peut qu’être content qu’on le copie, ça le fait connaitre, ça augmente son public, ça amène des gens à ses concerts, gens qui achètent du machandising etc. pour résumer c’est de la promotion, de la pub, gratuite pour l’artiste.

  6. pelinquin

    Vous dites que les pirates sont au top de l’innovation sur Internet. C’est simplement faux et vous cherchez encore les mêmes justifications depuis au moins 10 ans pour entretenir la guerre avec le Droit d’Auteur, quand vous ne devriez vous soucier que des internautes et des artistes à rémunérer correctement…et surement pas par une Contribution Créative.
    Si vous voulez analyser et critiquer une vrai solution à la rémunération des artistes sur le Net, regardez le Partage Marchand (Merchant Sharing Theory)…au moins, on pourra avancer sur du scientifique dur (désolé, je suis informaticien!), et éviter les comparaisons historiques douteuses.

  7. Thomas Savary

    Je ne saurai trop abonder dans le sens d’Aurélien Pierre. Je n’ai pas envie en tout cas de réagir à cet article, d’une indigence consternante, mais plutôt d’apporter une nouvelle fois ma petite pierre dans des discussions qui me semblent surréalistes, en raison de l’ignorance par beaucoup des tenants et aboutissants en matière d’édition. Je me bornerai à celle que je connais un peu, l’édition discographique, pour avoir travaillé en tant que chargé de communication pour un label de musique classique (principalement), Alpha Productions, et avoir été disquaire.

    Anon, un artiste qui ne voit aucun problème dans le piratage est soit un artiste auto-édité qui connaît déjà un certain succès, soit quelqu’un qui peut se permettre de perdre beaucoup d’argent à un moment donné (parce qu’il est riche ou dispose d’autres ressources), soit un imbécile qui se moque de voir scier la branche sur laquelle il est assis, soit un salaud qui profite de l’argent des autres tout en leur souhaitant de crever. Je vais m’expliquer.

    À lire certains, les éditeurs, les distributeurs, les disquaires sont des intermédiaires inutiles. C’est toujours «les artistes», «les artistes», «les artistes». Bien sûr que les artistes sont au cœur de l’édition. Sans eux, rien. Et les artistes devraient pouvoir vivre de leur art. Tout le monde est d’accord. Cela dit, un album ne nait pas non plus par enchantement. Qui paie l’ingénieur du son? la location du lieu d’enregistrement, éventuellement des instruments? la maquette du boitier? du livret? l’auteur des textes du livret? les éventuels traducteurs? le(s) photographe(s)? les agences de photo (pour l’utilisation de photos non libres de droits)? la publicité? le distributeur? etc. L’éditeur, toujours l’éditeur. J’ajoute que l’éditeur pour lequel j’ai travaillé payait, et correctement, de mon point de vue, les artistes pour l’enregistrement.

    J’ai l’impression que beaucoup de gens n’ont pas idée des sommes que cela représente pour l’éditeur. Deux exemples: un récital d’un musicien, environ dix-mille euros. Un disque de cantates de Bach (entre vingt et trente musiciens), entre quarante-mille et cinquante-mille euros. Une symphonie ou un opéra, je n’ose même pas imaginer… Je parle ici seulement du cout de la production, non de celui de la distribution. Il est évident que la plupart des artistes n’ont pas les moyens de sortir cet argent de leur poche. J’ajoute que le travail d’un éditeur ne se borne pas à celui de producteur, mais qu’il intervient également sur le plan artistique pour conseiller les artistes, échanger avec eux, les recadrer au besoin.

    La distribution, maintenant. Les disques n’arrivent pas comme par magie dans les bacs des disquaires. Il faut que ceux-ci en connaissent l’existence et puissent les commander. Les artistes peuvent faire le boulot eux-mêmes? Payer des encarts publicitaires, démarcher les disquaires, passer leurs journées à préparer des colis et aller à la poste… Bonne chance!
    Le disquaire, lui, n’a pas l’envie ni le temps de multiplier ses interlocuteurs. Il ne va pas s’amuser à passer des centaines de commandes (une par éditeur) pour garnir ses rayons. En payant des centaines voire des milliers d’euros de frais de port par an, par-dessus le marché. Pour ma part, je travaillais avec quatre distributeurs représentant environ trois-cents labels, en franco de port à partir d’un certain volume de commande. Bref, les distributeurs comme Abeille musique, Distrart, Harmonia mundi jouent un rôle indispensable pour la musique sur support physique.

    Les détaillants, maintenant. Préparer les commandes, réceptionner les disques pour les intégrer au stock, les mettre en rayon, les écouter, répondre aux demandes des clients, les orienter, les conseiller, c’est un travail, là aussi. La plupart des achats pour le petit rayon disques dont je m’occupais (pas loin des deux tiers, je dirais) ont été des achats sur la base des conseils que j’ai prodigués ou des disques qui passaient en écoute. Je veux bien qu’on me dise que les disquaires aujourd’hui ça ne sert à rien, Internet, tout ça. En attendant, j’ai fait découvrir quelques milliers de disques à au moins des centaines de gens, et c’est l’une des rares choses dont je sois fier.

    La situation diffère certes quelque peu pour la musique «dématérialisée», mais en définitive pas tant que cela. Les couts de production restent à peu près inchangés. Les couts liés à la distribution physique, eux, disparaissent, mais sont remplacés partiellement par d’autres (hébergement des données, bande passante…).
    Ethan, si la musique en téléchargement n’est pas si bon marché par rapport au disque, c’est peut-être aussi parce que, en raison de la pression du marché, le disque est vendu à un prix ridiculement bas (eh oui), par rapport aux couts engagés. Je connais moins le monde de l’édition du livre, mais je mets ma main à couper qu’un disque vendu vingt euros a couté généralement beaucoup plus à son éditeur qu’un roman vendu au même prix, pour des ventes qui ne seront pas forcément supérieures. Ce n’est pas la faute des petits éditeurs si des Sony ou Universal gagnent des milliards avec des marges ridicules grâce à des volumes de vente colossaux. Bref, les labels et les sites de vente de musique en ligne à taille humaine ont peut-être tout simplement envie de commencer à gagner leur vie correctement. Ce qui peut paraître de l’abus (sur Qobuz, des albums Naxos vendus plus chers que les disques en magasins!) vise peut-être à compenser des couts importants de bande passante ou d’autres dépenses que je n’imagine pas. En tout cas, malgré son succès croissant, Qobuz n’est pas encore rentable à ce jour, comme l’a reconnu implicitement son créateur Yves Riesel voilà quelques mois dans un entretien.

    Pour la musique en ligne, le problème de la visibilité, de la diffusion demeure. En bout de chaine, le disquaire disparait. D’autres moyens peuvent jouer son rôle (écoute d’extraits à la demande, webradios, blogues…), mais à mon avis partiellement. Pour certaines personnes, le contact humain, direct est important.
    Personnellement, j’achète aujourd’hui un peu plus de musique en téléchargement que je n’achète de disques. Je pense cependant que le disque a toujours un avenir. Allez offrir des fichiers pour Noël ou vous faire dédicacer une clé USB après un concert! 🙂 Et puis un beau livret, voire un vrai livre avec le CD/SACD, ça a de la gueule. C’est aussi tellement plus confortable qu’un fichier PDF.

    Pour en revenir aux artistes, et si on prenait les choses autrement? Est-il normal que des artistes touchent une rente à vie pour un travail qu’ils ont cessé de fournir depuis longtemps, surtout lorsqu’ils ont déjà été payés pour réaliser leurs enregistrements? Je ne le trouve pas. Même si je n’ai rien contre le principe de royalties raisonnables pour une période définie. En tout état de cause, il est parfaitement justifié qu’un éditeur touche beaucoup plus sur la vente des disques que les artistes.

    Pour l’éditeur, les choses sont en effet un peu différentes. La vente des enregistrements est ce qui lui permet non seulement de vivre, mais de financer les suivants. Cela dit, beaucoup d’éditeurs finissent par baisser les prix de vente de leurs anciennes productions, notamment en les rééditant dans des collections économiques (Hyperion, Harmonia mundi). Les plus petits n’en ont malheureusement pas forcément les moyens. Est-ce trop difficile à comprendre, à admettre?

    Les majors comme Universal et Sony ont beau réaliser des ventes colossales, ils sont très minoritaires en volume dans la production de musique enregistrée. Il est donc trop facile de tirer à boulets rouges sur l’édition phonographique comme si tout éditeur était comparable à Sony alors que les effectifs de la plupart sont inférieurs à dix personnes (chez Alpha, à l’époque où j’y travaillais, nous étions six).

    Voilà, désolé d’avoir été si long.

  8. Tompouce

    – « Achetez ma glace, garantie 100% naturelle, récoltée avec amour, savoir faire et passion dans nos belles montagnes et acheminée jusqu’à vous par de solides et vaillants travailleurs … »

    – « Ben, j’ai un réfrigérateur à la maison moi, alors ta glace, tu peux la remonter dans la montagne. »

    – « Pirate ! Tueur d’emplois ! Assassin ! On fera interdire cette machine du Diable ! »

  9. Thomas Savary

    À Tompouce: Assimiler l’art à de la glace… Les bras m’en tombent, j’avoue. Je ne sais pas s’il faut le prendre comme le fruit d’une totale absence de réflexion ou bien comme l’expression d’un profond mépris pour l’art.

    L’argent est au cœur de nos économies. On peut le déplorer, mais c’est ainsi. Sauf à sacrifier la qualité à tous les niveaux, que ce soit dans l’édition de livres ou de musique, la moindre publication excède souvent les moyens dont disposent les auteurs ou les musiciens. Je n’ai rien contre le financement participatif («crowdfunding»), mais il ne faut pas se leurrer: la plupart des artistes ne pourront pas financer grand-chose de la sorte, surtout lorsque ce sont des inconnus.

    Léser une major ou un petit label en téléchargeant illégalement leurs disques n’a pas les mêmes répercussions. Bien sûr, un téléchargement illégal n’équivaut pas à une vente en moins. Il n’empêche que, sur l’ensemble des téléchargeurs en question, une certaine proportion aurait sans doute acheté l’album s’il n’avait pas été mis à disposition illégalement sur la Toile. Quelques centaines de milliers de ventes en moins pour Sony ne mettent pas Sony Music en danger et encore moins la maison mère. Pour un petit éditeur (c’est-à-dire la grande majorité), quelques centaines de ventes en moins à cause du téléchargement illégal peuvent par contre suffire à compromettre la rentabilité d’une production et condamner la suivante. À court ou moyen terme, le mettre sur la paille.

    Se dire «J’en ai rien à foutre des éditeurs, qu’ils crèvent!» revient à demander aux artistes de trouver eux-mêmes les moyens de financer leurs productions (sans même parler de la question de leur diffusion). Certains y arrivent, c’est vrai, mais cette recherche de financement prend un temps important, au détriment de la pratique artistique.

    En musique classique, les «autolabels» se multiplient. La preuve que les éditeurs traditionnels effectivement ne servent à rien? Pas sûr. Qui sont les musiciens derrière ces autolabels? Jordi Savall, John Eliot Gardiner, Ton Koopman, Philippe Herreweghe, Robert King, William Christie, le London Symphony Orchestra, The Academy of Ancient Music, The Choir of New College Oxford… En somme, soit des pointures archicélèbres (dans le milieu de la musique classique), soit des orchestres connus, soit des formations qui peuvent se reposer sur une institution comme le New College. Et encore, il faut savoir que Ton Koopman a dû hypothéquer pratiquement tous ses biens pour enregistrer les cantates de Bach, et que même quelqu’un comme Gardiner (propriétaire terrien) n’aurait jamais pu faire vivre son label SDG sans un important mécénat. Ce sont en outre quasiment tous des musiciens qui ont assis leur renom avant la crise des ventes de musique enregistrée.
    Sans éditeur, comment de jeunes musiciens même talentueux peuvent-ils espérer financer leurs projets?

    Ah oui, pardon! Au lieu de s’obstiner à vouloir enregistrer une musique élitiste qui n’intéresse personne, ils n’ont qu’à gratter de leur guitare dans un garage comme tout le monde… Et s’ils veulent enregistrer, ils n’ont qu’à demander au cousin de leur pote Adrien, ben oui, celui qui fait des études d’ingénieur du son: il sera tellement content de rendre service.

    Qui sont les parasites? Les éditeurs, vraiment?

    On peut cela dit se poser la question: pourquoi encore enregistrer? Est-ce bien raisonnable, vu la masse de musique disponible? Laissons mourir les éditeurs. Partageons-nous ce qui existe: il y a de quoi contenter le monde entier pendant des générations. Et allons au concert! La musique vivante, c’est quand même le plus important, non?

    Oui, bon, admettons. Vachement élitaire, tout de même. Sauf à se satisfaire de peu, encore faut-il vivre en un lieu où les concerts sont fréquents. Et si je veux entendre le Monteverdi Choir? J’attends que Gardiner donne un concert aux Sables-d’Olonne, je prends un billet d’avion et une réservation à l’hôtel? Je ne gagne même pas le SMIC. Heureusement qu’il y a les enregistrements, bon sang! Souvent moins chers (en tout cas jamais beaucoup plus) qu’un concert, réécoutables ad libitum et accessibles depuis le monde entier.
    Un jour, à un journaliste qui lui demandait pourquoi il enregistrait tellement alors qu’il affirmait ne pas aimer cela, le claveciniste Gustav Leonhardt répondit en substance: «Pour que l’on puisse écouter la musique de Bach jusqu’en Afrique.»

    Tout le monde n’a pas la possibilité d’assister régulièrement à des concerts. L’enregistrement est un formidable moyen de rendre la musique accessible à un maximum de gens. C’est bien sûr justement dans ce sens que veut aller le partage gratuit. Évidemment que cela part d’une bonne intention… mais de celles dont l’enfer est pavé.

  10. Tompouce

    Thomas,

    « Je ne sais pas s’il faut le prendre comme le fruit d’une totale absence de réflexion ou bien comme l’expression d’un profond mépris pour l’art. »

    Ni l’un, ni l’autre. Bien au contraire.
    Relis donc, encore et encore, l’article jusqu’à ce que la lumière se fasse dans ton esprit.

  11. Thomas Savary

    Ah oui, en effet, que j’ai été bête de ne pas comprendre qu’acheter un livre, un disque, un film (quel que soit le support) consistait simplement à payer pour un service de duplication! Naïf que j’étais d’avoir longtemps cru qu’il s’agissait de participer selon un pacte implicite au financement d’un ensemble d’activités permettant tout simplement à ces auteurs, à ces artistes de s’exprimer, d’enregistrer, etc., et de vivre à ceux qui rendent cela possible (éditeurs, correcteurs, metteurs en pages, imprimeurs, ingénieurs du son, réalisateurs, producteurs, monteurs, comédiens, accessoiristes, maquilleurs, etc., etc.)

    «Ce faisant, vous êtes complètement à côté de la plaque, en choisissant, de manière grotesque, de déformer les éléments du débat afin d’éviter d’être déstabilisé, quitte à rester ignorant.»
    Je rêve! Déjà, la comparaison que fait l’auteur avec la taxe sur le thé est inepte. Refuser de payer la taxe sur le thé n’est pas synonyme de refuser d’acheter le thé (ce que font sans doute dans leur grande majorité les téléchargeurs illégaux). Quand je vois qu’en plus l’auteur reprend à son compte le sophisme de la «fabrication de la copie»…

    Oser écrire: «Nous rejetons le droit d’une industrie obsolète à décréter des taxes privées sur notre propre travail» [sic!] en faisant totalement abstraction du droit des acteurs des produits copiés, c’est absolument hallucinant, voire ignoble. Sauf, bien sûr, à traiter parallèlement la question de la rétribution des acteurs concernés (pas seulement les artistes, donc). En appelant les téléchargeurs à se montrer généreux en procédant à des dons aux musiciens et aux éditeurs? Hum… La licence globale? Tiens, une taxe!
    Au lieu de cette usine à gaz sacémique que serait la licence globale, le plus simple ne serait-il pas tout simplement de payer pour ce que l’on écoute/lit/regarde, etc.? En achetant directement quand on en a les moyens; en profitant des services d’une bibliothèque, d’une médiathèque sinon? En s’abonnant à des services en ligne ? Encore que, s’agissant de ces derniers, j’aie de très sérieux doutes sur la viabilité pour les artistes et les producteurs.

    Le streaming est en tout cas une véritable arnaque pour les musiciens:
    http://musictechpolicy.wordpress.co
    http://business.time.com/2013/12/03
    http://thecynicalmusician.com/

    Même les vedettes célébrissimes ne dégagent que des royalties modestes sur Spotify, par rapport au nombre d’écoutes — bien assez pour les mettre à l’abri du besoin, évidemment, mais un «album indépendant de niche»? 3300$ au mois de juillet (2013?), d’après le deuxième article. Pourquoi juillet, d’ailleurs? Parce que c’était le meilleur mois? Mettons qu’ils soient quatre dans ce groupe indé: un peu plus de 800$ par membre en juillet, soit à peine 600€. En supposant qu’ils se soient édités eux-mêmes (parce que les éditeurs, c’est rien que des sales parasites), il n’est même pas sûr que l’album s’écoute suffisamment longtemps pour qu’ils puissent seulement rentrer dans leurs frais pour l’album en question. Et encore s’agit-il dans cet exemple d’un album de rock, dont le potentiel d’écoutes est bien plus élevé qu’un album de musique classique, souvent bien plus couteux à produire. Même en mettant bout à bout Spotify, Deezer, Musicme, etc., je ne suis pas sûr que ce soit viable pour la majorité des éditeurs ou des musiciens, s’ils s’autoproduisent ou s’ils n’ont pas été rémunérés correctement par l’éditeur pour les séances d’enregistrement, alors que c’était souvent le cas autrefois (avant la généralisation du téléchargement illégal, comme par hasard).

    Spotify, Deezer et compagnie, pour le coup, me semblent de vrais parasites! Le téléchargement ou le streaming illégaux me paraissent avoir au moins le mérite d’être plus honnêtes, finalement: on ne veut pas payer (ou on ne le peut pas, pour les plus pauvres, O.K.). Quitte à laisser crever artistes et éditeurs, autant ne pas gaver des sangsues qui ne sont là apparemment que pour se faire de l’argent sur le dos du travail des autres, indépendamment de toute considération éthique et artistique (à la différence des bons éditeurs).

    Un adolescent, un chômeur, un «éressaste» ont l’excuse de leurs faibles revenus pour télécharger illégalement. Cela fait beaucoup de monde en France, peut-être.
    Ce qui peut se comprendre, ce qui peut s’excuser n’en devient pas pour autant légitime.

    Passer outre la décision de quelqu’un qui n’a pas choisi de mettre des textes, de la musique, des films, etc. en libre accès ne saurait à mon sens être considéré comme un droit.

    Ce n’est pas parce que la porte de quelqu’un est restée ouverte que vous avez le droit de rentrer chez lui sans sa permission. (Oui, moi aussi, je peux faire des analogies à la con.)

    Pour ma part, je vais m’en tenir là. Mon intention n’est pas de troller, mais je ne sais pas m’exprimer de façon concise. Je crois avoir écrit l’essentiel de ce que je voulais dire sur le sujet. Si ce n’est pas le cas, tant pis! Je n’avais qu’à être plus synthétique. 🙂

  12. Philippe Q.

    Merci Thomas pour tes éclairages intéressants. Ce débat passionné est loin d’être simple, et comme dans beaucoup de cas, on a tendance à filtrer ce qui contredit nos a priori (en tout cas je remarque que j’ai tendance à faire ça). Tes explications détaillées dans ce fil de discussion m’ont donc apporté des éléments qui m’avaient échappés jusque là.

  13. Tompouce

    Je n’achète pas du pain parce que j’ai faim et que je veux en manger.
    Non, non, non, ça serait trop simple, mais bien parce qu’il s’agit de participer selon un pacte implicite au financement d’un ensemble d’activités permettant tout simplement à ces artisans d’exprimer leurs arts et leurs savoir faire, et par la même, de faire vivre ceux qui rendent cela possible (commis, apprentis, livreurs de farine, marchants de farine, minotiers, transporteurs de grain, paysans, ouvriers agricoles, etc, etc et j’en oubli).

    Non, quand j’achète du pain, je ne fais qu’acheter du pain.
    Je paie le boulanger pour son travail, son savoir faire, son service, pas le minotier pour sa farine.
    Le minotier, c’est le boulanger qui le paie, pas moi.

    Pareil pour un CD/DVD/BR un livre etc, toute copie d’une oeuvre sur support.
    J’achète un support contenant une copie, pas autre chose.
    Je ne paie pas de droit d’auteur, (sauf erreur c’est l’éditeur qui doit le faire, pas le public).

    L’industrie du copyright à quasi exclusivement basé son modèle sur les revenus issus du monopole du commerce de copie (et sur la revente de droits).
    Ce monopole est contesté, la copie ne coûte rien et est à la portée de tous.
    Le modèle vacille, chancèle, il va s’effondrer.

    Çà fait juste 20 ans (au moins) que cette industrie refuse d’entendre, refuse de se remettre en cause, refuse de changer et se bat contre le progrès comme d’autres se battent contre la marée qui monte.
    Elle va échouer.
    Et ce même en faisant passer toutes les lois scélérates qu’elle veux.

    Quand on fait passer une loi scélérate ou qu’on m’oblige a payer une taxe, pour laquelle je n’ai pas (vraiment) le droit de parole (la taxe copie privé au hasard), curieusement j’ai une brusque envie de jeter des trucs dans la mer. (« anéfé rejeté », etc etc etc).

    Au final, l’argent qu’elle convoite avec tant d’avidité, il est dans mon portefeuille, il n’en sort que si je le veux bien.

    Et, très curieusement, j’ai rarement envie (depuis au moins DADVSI).

    Un des derniers bouquin que j’ai acheté, il était pourtant gratuit (et légal) en torrent.
    Ben je l’ai acheté en papier quand même.

  14. Thomas Savary

    Merci, Philippe, pour ton commentaire. Tu as bien compris que je suis quelqu’un de passionné par le sujet, d’où ma prolixité et ma difficulté à faire preuve d’un esprit de synthèse. Tout le monde a ses aprioris, bien sûr, à commencer par moi. 🙂

    J’aime tellement la musique que j’ai du mal à saisir qu’on puisse trouver cher, dans l’absolu, un disque à vingt euros, compte tenu de la rentabilité moyenne d’un album. Par rapport à ses ressources personnelles, je comprends, bien sûr (et je suis bien placé pour savoir ce que cela veut dire, vu la modestie de mes propres revenus), mais, franchement, payer une bière huit euros au Falstaff et trouver la musique enregistrée trop chère, comme Maitre Éolas un jour sur son blogue, est-ce que ce n’est pas n’importe quoi?
    Je me demande en fait ce que représente la musique pour ces personnes. Peut-être que je me trompe, mais j’ai souvent l’impression que leurs arguments s’appuient sur la situation des majors qui produisent trois quarts de merde (à la louche) et les vendent cependant encore par tombereaux. Si ce sont les majors qui gueulent le plus contre le «piratage», c’est aussi parce qu’elles ont les moyens de se faire entendre alors qu’elles sont beaucoup moins menacées que les petits et moyens éditeurs indépendants, qui, eux, n’ont pas trop les moyens de l’ouvrir.
    J’ai l’impression en tout cas que des personnes comme Tompouce considèrent la musique enregistrée comme un dû (tu me diras, si je me trompe, Tom?). Je ne sais pas, mais moi, malgré les années, je ne suis toujours pas blasé. Chaque album que j’aime, je le perçois comme un miracle, un trésor. Je suis reconnaissant envers ceux qui lui ont permis de voir le jour et d’arriver à mes oreilles. La dernière chose que je voudrais, c’est de les voir disparaitre.

    Tompouce, voilà à mon avis à quoi revient ton exemple avec le pain: «J’ai faim, j’ai besoin de pain, le boulanger a le dos tourné, alors je lui chourave une baguette — de toute façon, il lui en reste toujours quelques-unes en fin de journée, alors qu’il aille pas prétendre que je le lèse pour une baguette, l’enfoiré!…»
    Tu ne vois pas que ça revient à vouloir se donner bonne conscience?
    «Je ne paie pas de droit d’auteur (sauf erreur c’est l’éditeur qui doit le faire, pas le public).»
    Exact, mais comment fait l’éditeur pour payer le droit d’auteur si le public ne lui achète plus ses bouquins (papier ou numérique)? Et comment rémunère-t-il ses correcteurs et metteurs en pages, son imprimeur, son diffuseur, son distributeur (pour le circuit du livre papier), les plateformes commerciales de téléchargement?

    La prétendue propriété intellectuelle a donné lieu à des abus scandaleux, je suis bien d’accord. Le copyright s’est accompagné d’un cortège de saloperies que tu évoques très justement. L’extension continuelle de sa durée est une ignominie. Et si ça peut te rassurer, je suis moi aussi contre HADŒPI et compagnie. De façon générale, je suis allergique au lobbying et à la prolifération législative irréaliste et inconséquente.

    Oui, les majors convoitent ton argent, Tom — c’est d’ailleurs pour cela qu’elles ne produisent quasiment que de la soupe ou bien recyclent inlassablement leur fonds de catalogue afin de plaire au plus grand nombre (dont elles contribuent à formater les gouts). Les vrais éditeurs, eux, non, ne sont pas des rapaces: ils veulent simplement continuer à exercer une activité à laquelle ils croient et dont tu entends apparemment pouvoir profiter sans débourser un rond (ou du moins uniquement quand cela te chante — tu en donnes un exemple, j’espère qu’il est loin d’être isolé). Je connais un éditeur de livres qui ne se paie plus depuis six mois. Par contre, il continue à payer ses fournisseurs. Évidemment, un éditeur entend gagner sa vie, mais comme toi, comme moi, je suppose. S’il cherchait vraiment à s’enrichir, crois-moi, il ferait un autre métier. Les majors ou les gros éditeurs comme Hachette sont les rares arbres gigantesques qui masquent la forêt, la vraie, la seule qui compte.

    En attendant, le téléchargement illégal contribue à mettre les éditeurs sur la paille, éditeurs qui pour l’heure sont indispensables à quantité d’auteurs ou de musiciens. À moins que tu estimes que ce n’est pas ton problème, que proposes-tu pour leur permettre de continuer à exercer leur activité?

    Au vu de l’effondrement des ventes, le financement participatif me parait être la seule solution envisageable pour permettre la poursuite des productions un tant soit peu couteuses. Pour l’heure, ce n’est pas une solution viable pour la majeure partie des projets artistiques (du moins, ceux qui moi m’intéressent). Mais si la méthode se généralise, qu’elle rentre dans les mœurs, pourquoi pas? Il y a tout de même certains inconvénients pour le lecteur/auditeur/spectateur qui voudrait contribuer au financement des productions qui lui sont chères: la multiplication des sites à visiter, des courriels de sollicitation à traiter, des virements à gérer (ponctuels, périodiques)… Franchement, dans le cas de la musique, l’achat en ligne est tellement plus pratique, sur une plateforme comme Qobuz ou même directement sur le site de l’éditeur (pour le soutenir plus efficacement).

    Une fois de plus, je n’ai pas réussi à faire court…

  15. Tompouce

    Je n’oblige personne à enregistrer quoi que ce soit, parfois même (souvent) j’aurais préféré qu’ils s’abstiennent.

    Le « vol de la baguette », c’est incompréhensible qu’une telle escroquerie intellectuelle puisse encore sortir. De plus j’ai écrit quand j’achète du pain, pas quand je vole du pain.

    « Parfois, je fais ce qui me plaît, sinon je fais ce que je dois. »
    Là il commence à ce faire tard.
    Tout à l’heure, il faudra que je me lève pour exercer une activité pour laquelle on accepte de me rémunérer, même ci celle-ci ne m’enthousiasme pas vraiment.
    Alors que d’autres,sont rémunérés pour exercer l’activité qu’ils ont choisit, qui leur plait et dans laquelle il s’éclatent.
    Mais qui se plaignent encore.

  16. Thomas Savary

    Je te prie de m’excuser, Tompouce, je t’ai effectivement mal lu, concernant l’exemple de la baguette. Ça devrait me servir de leçon pour éviter de réagir tard le soir à un message, les neurones fatigués. Tu n’as effectivement pas écrit que tu ne payais pas le pain.

    Cela dit, pourquoi avoir produit cet exemple dans ce contexte, qui invitait à la lecture sommaire que j’ai faite? Le résumé que je fais pour parler du téléchargement illégal, le voleur de pain qui se donne bonne conscience, constitue évidemment une analogie, intrinsèquement imparfaite, comme toute analogie (comparaison n’est pas raison, etc.) Elle est cependant moins éloignée de la réalité que celles du thé ou des pains de glace. La glace n’est pas une œuvre d’art: le jour où l’équivalent d’un réfrigérateur pourra produire une interprétation de qualité de la Passion selon Jean de Bach sans le moindre acteur humain, on en reparlera — accessoirement, je ne suis pas sûr de vouloir vivre dans un tel monde…

    Je connais bien l’analyse qui distingue le vol de baguette de la contrefaçon. Je la trouve tout de même un peu faible. Effectivement, le téléchargement illégal ne constitue pas un vol d’objet dans la mesure où, dans les magasins physiques, les exemplaires en vente sont toujours en vente et dans les mêmes quantités, et dans la mesure où, sur les sites de vente en ligne, la possibilité d’achat n’a pas disparu. La belle affaire! Qu’est-ce que cela change pour «la chaine de la production artistique» si trop de personnes se laissent tenter par le téléchargement illégal au point de compromettre la possibilité de produire un livre, un disque, un film, etc.? S’il ne s’agit pas d’un vol stricto sensu, ce n’en est pas moins une forme de spoliation.
    Mettons que sur, dix albums téléchargés illégalement, le téléchargeur n’en aurait de toute façon pas acheté neuf sur dix en l’absence de la possibilité de les télécharger gratuitement. Le dixième album, lui, a été «volé». Quand bien même la proportion serait d’un pour cent, ça ne change rien au fait qu’il s’agit d’une forme de spoliation. Je le répète: quelques milliers voire centaines de ventes en moins peuvent suffire à compromettre la viabilité d’une production.
    L’argument que j’ai souvent lu comme quoi les gros téléchargeurs sont aussi de gros acheteurs est un sophisme (sous-entendu, «Ça compense, alors, que les éditeurs ou les artistes n’aillent pas râler»). Sur ces gros téléchargeurs, combien pourraient jurer que son nombre d’achats d’albums, de films, etc. n’a pas baissé significativement depuis qu’il télécharge illégalement? Je doute que ce soit le cas de la majorité.

    Que dire en outre des revenus que génère pour certains la distribution «gratuite» d’œuvres sous forme numérique? Je ne pense pas ici seulement aux revenus publicitaires des sites d’hébergement peu regardants ou à la forme de rémunération des gros uploaders, mais également à l’espèce d’esclavagisme légal pratiqué par Spotify et compagnie («I’d rather be raped by The Pirate Bay than shafted by Hasse Breitholtz and Sony Music», déclarait Magnus Uggla à propos de Spotify).

    Que tu le veuilles ou non, télécharger à tour de bras sans en envisager les conséquences, sans réfléchir à la mise en œuvre de moyens de rémunérer ceux qui œuvrent à la réalisation de ce dont tu entends jouir malgré tout constitue une attitude d’«enfants gâtés qui ne veulent pas payer», pour reprendre les mots de l’auteur de l’article, malgré qu’il en ait.

    «Je n’oblige personne à enregistrer quoi que ce soit, parfois même (souvent) j’aurais préféré qu’ils s’abstiennent.» Je suis d’accord. Il y a trop de musique enregistrée. Disons que ça ne facilite pas la tâche de s’y retrouver. Est-ce néanmoins à toi ou à moi de décréter ce qui est de trop? Quel rapport, surtout, avec la distribution spoliatrice? Si un album ne te plait pas, personne ne t’oblige ni à l’acheter, ni à le télécharger illégalement, ni même à l’écouter.

    Je n’aime pas la majeure partie du répertoire symphonique. Ce n’est pas pour autant que je me réjouis ou même que j’accueille avec indifférence la nouvelle de la dissolution de tel ou tel orchestre ou de l’expatriation vers la Chine d’un nombre croissant d’instrumentistes européens. Il faut regarder un peu plus loin que le bout de son nez, dans son propre intérêt au final.

    Bon courage pour ta journée de boulot, sinon!

  17. j-c

    @ Thomas Savary

    Je ne suis pas sur de comprendre.
    Dans l’article, l’auteur dit: nous payons d’autres services, par exemple Pandora.
    Or, Pandora paie des royalties aux ayant-droits, c-à-d les éditeurs.
    En d’autres termes, utiliser Pandora paie les ingénieurs du son, le travail de publicité, les coûts d’enregistrement, …
    L’utilisateur de Pandora paie donc pour tout cela (ou alors cela signifie que les royalisties de Pandora sont injustifiées), mais lorsqu’il copie, il devrait payer de nouveau pour la même chose ?

    Soit on dit: Pandora ne paie pas de royalties et on interdit la copie (mais alors, il suffit de tous passer à Pandora pour que l’éditeur ne reçoive plus d’argent tout en ayant autant de musique qu’on veut (une fois un seuil atteint, le nombre d’écoute n’implique pas de frais supplémentaire de fonctionnement pour Pandora) )
    Soit on dit: Pandora paie des royalties et la copie est autorisée
    Mais faire les deux est forcément injuste, vu que les utilisateurs de Pandora paie plus les éditeurs que les non-utilisateurs de Pandora, et ce sans raison.

    Il faut, selon moi, distinguer 3 choses:
    – les éditeurs
    – le service de copie
    – le service alternatif (comme Pandora)
    À l’heure actuelle, le service de copie est obligatoire, sous prétexte que payer la copie permet de financer les éditeurs.
    Ce que propose l’auteur de cet article, c’est d’utiliser le service alternatif et que ce système alternatif paie les éditeurs. Si cela est fait, il n’est plus nécessaire de restreindre la copie.
    Après tout, ce qui utilisent le service alternatif injectent exactement le même montant d’argent que ce qu’ils faisaient avant l’arrivée de ce système, donc, comment est-ce possible qu’avec le même argent, on n’arrive soudainement plus à payer l’édition alors que c’était le cas précédemment ?

  18. Thomas Savary

    Bonjour, j-c

    Je suis allé voir le site de Pandora, mais réservé aux États-Unis. Je n’ai pas eu le courage de chercher un proxy américain gratuit et de configurer mon navigateur en conséquence, mais je suis allé sur Wikipédia me renseigner un peu. Si j’ai bien compris, Pandora est une espèce de webradio offrant entre autres un service de type Deezer, Spotify, etc. avec en plus un système de recommandation basé sur les écoutes et la notation des morceaux par l’utilisateur.

    Personnellement, ce genre de service n’est pas ma tasse de thé. J’écoute aujourd’hui aussi bien de la musique médiévale que du classique contemporain. Si un Pandora accessible avait existé il y a dix ans et que je m’y sois laissé enfermer, il est probable que je ne serais guère allé au-delà de la musique baroque. Une part essentielle de mes découvertes musicales, je les dois à des amis, à des collègues, à des concerts (à l’époque où j’habitais Paris et voyageais en Europe), pas à des recommandations automatisées qui tendent à nous maintenir dans ce que nous connaissons déjà. Mais peu importe.

    Alors, certes, ces entreprises paient les éditeurs, mais si c’est à la hauteur de ce que reversent Spotify ou Deezer, c’est de l’exploitation éhontée. Ce n’est pas parce que c’est légal que c’est moral… Deezer a du reste débuté, comme Napster, dans l’illégalité — à priori, ce n’est donc pas le respect des éditeurs et des artistes qui étouffe ces escrocs.
    Pandora paie des royalties élevées, parait-il, pour les USA. Si c’est par comparaison aux radios FM américaines, c’est sûr — apparemment, ces dernières n’en paieraient pas (http://blog.pandora.com/2009/07/07/…), à la différence des radios françaises. Quand je vois le montant demandé aux utilisateurs pour dépasser la quarantaine d’heures d’écouter par mois (un dollar!), j’ai de sérieux doutes sur la hauteur des royalties versées par Pandora. Même dix fois plus que Spotify, ce montant resterait ridicule.

    Existe-t-il d’autres abonnements plus chers, offrant plus de services? Si ce n’est pas le cas, alors les utilisateurs de Pandora financent infiniment moins les éditeurs que les gens qui n’achèteraient qu’un CD par an pour l’offrir à leur belle-mère. Même les abonnements beaucoup plus chers proposés par des plateformes comme Qobuz ne financent les éditeurs que de façon comparativement dérisoire par rapport à la vente d’albums. Bien sûr, l’un n’empêche pas l’autre: on peut continuer à acheter des albums tout en profitant de ces abonnements. Il faut simplement savoir que si les éditeurs percevaient uniquement les sommes dérisoires (proportionnellement aux sommes investies) que leur allouent ces diffuseurs de musique enregistrée, ils crèveraient tous la gueule ouverte. Tous? Non, bien sûr. Comme d’habitude, seuls les gros y trouveraient leur compte. Et ensuite les auditeurs râleraient: formatage des gouts musicaux, y a plus que d’la soupe, c’était mieux avant, etc., etc. Ce modèle économique ne fonctionne en réalité que pour la culture de masse, au sein de laquelle «diversité» ne signifie rien d’autre que «segmentation de marché».

    Accessoirement quid du balisage de la musique sur Pandora? Il est sans doute plus fin que celui de Deezer, mais j’ai tout de même des doutes. Sur Deezer, en tout cas, c’est lamentable pour la musique classique, rendant les recherches compliquées, voire infructueuses. Même le balisage de Qobuz, plateforme fondée par des passionnés de musique classique, laisse souvent sérieusement à désirer. Le seul à faire les choses à peu près correctement, et même souvent très bien, c’est Naxos.

    Et la qualité d’écoute? Sur son ordinateur portable ou son ordiphone, je ne dis pas, mais sur une chaine hifi? 192 kb?s, pour de la musique orchestrale, ce n’est franchement pas terrible.

    «Après tout, ce qui utilisent le service alternatif injectent exactement le même montant d’argent que ce qu’ils faisaient avant l’arrivée de ce système, donc, comment est-ce possible qu’avec le même argent, on n’arrive soudainement plus à payer l’édition alors que c’était le cas précédemment ?»
    Eh bien non, justement, infiniment moins s’ils n’achètent plus d’albums. Évidemment, il y a toujours eu des gens pour ne jamais acheter un seul album et écouter la radio ou emprunter les disques en médiathèque. La différence, c’est que les radios (françaises, au moins) paient les ayants droit, que les médiathèques achètent les disques (ce qui représente en France quelques dizaines à quelques milliers de ventes d’albums pour un éditeur). La vente d’un album permet à un éditeur de percevoir des milliers de fois plus que son écoute en streaming sur un service légal. Tout le problème est là.
    En l’absence d’une vraie solution de financement, si les ventes d’albums se réduisent à peau de chagrin, un petit ou même moyen éditeur met la clé sous la porte, parce que le streaming ne permettra jamais, J, A, M, A, I, S, de financer ses productions. Encore une fois, seuls les gros peuvent espérer s’en sortir ainsi.
    http://thecynicalmusician.com/

    Le mécénat «traditionnel» (fondation Orange, Société générale, conseils généraux, etc.) ayant fondu comme neige au soleil, la seule solution viable me parait être le financement participatif. Une fois la production financée, les ventes d’albums constitueraient un complément bienvenu pour l’éditeur et non plus la condition sine qua non de la poursuite de son activité. J’y vois certains inconvénients, comme la nécessité d’investir beaucoup de temps et d’énergie dans la communocation, l’augmentation du nombre de sollicitations, le spam, etc., mais aussi des avantages, comme la satisfaction pour un auditeur de soutenir activement les projets auxquels il croit.

  19. Menbiens

    @ThomasSavary

    Des études ont montré que le financement participatif ne pouvait que rester marginal. Des projets peuvent marcher ainsi, mais ils sont l’exception.

    On peut constater l’ampleur du problème en lisant le billet « Aidons un enseignant à libérer ses ressources pédagogiques ! » : 633 891 visiteurs durant l’année 2013 et, en un an, « En un an, à peine de quoi acheter InDesign ou un logiciel de ce type… »

    Sur un autre sujet, l’on peut relever que la Quadrature du net n’a eu que 2000 donneurs, en dépit de sa très grande popularité (notamment auprès de militants très engagés et de partisans du financement participatif), de l’immense succès du blog de Calimaq et du fait qu’ils ont eu une année très chargée,… Le soutien des projets auxquels l’on croit, ça n’a pas encore l’air d’être tout à fait ça, même chez les libristes. Alors, ailleurs…

    Que pensez-vous de cette solution qui permettrait à la fois un accès rapide dans le domaine public, une rétribution équitable et des oeuvres à prix presque nul ? http://menbienscommuns.com/2014/01/

    NB. : Il est cependant à noter qu’il faudra peut-être pousser pour que les œuvres entrent réellement dans le domaine public. Aucune mesure n’est actuellement concrètement prévu pour que cela soit effectivement le cas.

    @Aka Merci beaucoup d’avoir signalé notre billet et d’accepter le débat. Le billet de Falkvinge qui se propose de relever le débat en insultant et en menaçant laissait de gros doutes sur le fait que le débat soit effectivement ouvert. 🙂

  20. j-c

    @ Thomas Savary:

    Les objections sur la pertinence de Pandora n’ont aucun poids, car ce n’est pas parce que vous ne trouvez pas l’intérêt de ce service que personne n’y en trouve.
    Au contraire: que diriez vous si lorsque vous payez votre cd de musique, on vous interdise de le jouer sur votre ordinateur (ou autre appareil connecté (smartphone, tablette, …)) sous prétexte qu’il existe Pandora, alors que vous êtes insatisfait de ce service ?
    C’est la situation que dénonce l’auteur de l’article: il utilise à 100% un service, et on l’oblige à passer par un autre.

    « Eh bien non, justement, infiniment moins s’ils n’achètent plus d’albums. »:
    L’auteur explique justement que c’est un faux lieu commun, et que ça ne correspond pas à la réalité.
    Maintenant, vous pouvez, si vous le souhaitez, traiter ouvertement l’auteur de menteur.
    Je ne connais pas Pandora également, mais il me semble que vous faites des approximations. Par exemple, pour 1$ on peut étendre son abonnement à plus de 40h par mois, mais les pubs sont toujours là. Donc, il est bien probable que l’utilisateur moyen ne se contente pas de cette formule. Du coup, entre votre opinion et la déclaration de l’auteur (qui se voit ridiculisé s’il ment alors que ces dires seront surement vérifiés par certains de ses lecteurs), je pense que celle de l’auteur est plus digne de confiance.

    (par ailleurs, une remarque entre parenthèse, ce qui compte n’est pas le prix à l’écoute, mais le total engendré. Si qlq’un paie un abonnement de 20$ pour écouter toutes les chansons qu’il veut pendant un mois, il contribue tout autant à la création que qlq’un qui achète 2 albums de 10 chansons à 10$ par mois)

    « En l’absence d’une vraie solution de financement, »:
    L’article n’a pas besoin de proposer une solution de financement, puisque l’article prétend que le financement est identique.
    Si maintenant à ça vous répondez systématiquement « non si vous prétendez que vous avez une solution de financement différente de la mienne, alors vous êtes un menteur », alors, oui, évidemment, votre solution de financement est la seule qui fonctionne.

  21. Patrice Lazareff

    Bonsoir,

    J’avais posté un commentaire assez long auquel Thomas Savary avait répondu, ce qui m’avait permis d’expliciter mon point de vue, et l’ensemble de nos échanges semble avoir été effacé.

    Merci de vos éclairages.

  22. Thomas Savary

    @j-c

    Le fait que je n’ai pas l’utilité d’un service comme Pandora n’était qu’une parenthèse. Ce que je dénonce, c’est le modèle économique de ce genre de plateforme, intrinsèquement pervers.

    «Si qlq’un paie un abonnement de 20 $ pour écouter toutes les chansons qu’il veut pendant un mois, il contribue tout autant à la création que qlq’un qui achète 2 albums de 10 chansons à 10 $ par mois.»

    Non, pas du tout, justement. En tout cas, pas du tout de la même manière. Il permet à Pandora (ou équivalent) de vivre, ainsi qu’aux éditeurs de locomotives qui peuvent se permettre de percevoir un pourcentage infime de ces vingt dollars parce que leurs albums vont être écoutés par des millions d’auditeurs. Mais les autres?

    À titre de comparaison, l’éditeur pour lequel j’ai travaillé percevait moins de dix euros (je ne sais pas si j’ai le droit de communiquer les chiffres précis) sur la vente d’un disque autour de vingt euros. En étant optimiste, il lui faudrait plusieurs dizaines d’écoutes intégrales de cet album pour percevoir la même somme, sur la base d’un abonnement mensuel de vingt dollars (ou euros, pour ce que ça change…).

    Évidemment, en achetant un disque du label Y, on ne contribue qu’à financer le revendeur, le distributeur du label Y, l’éditeur en question et un artiste ou ensemble (plus quelques autres acteurs, mais faisons simple). Cependant, c’est un soutien substantiel qu’on leur apporte de cette manière. À mon sens, voilà qui est bien plus juste et pertinent que d’engraisser une plateforme qui se contente de distribuer des clopinettes à tout le monde: «Messieurs les producteurs dont les disques ont été écoutés ce mois-ci par M. Michu, voici votre part des vingt dollars, euh… pardon, douze, faut bien qu’on mange nous aussi.» Bon, là, je produis des chiffres à la louche. Si tu veux des données plus complètes et documentées, voir les billets de http://thecynicalmusician.com/ — cela dit, il s’intéresse surtout aux plateformes gratuites, financées par la publicité.

    Ce que je crois, c’est que Pandora, Spotify, Deezer, Musicme et compagnie ne profitent qu’à eux-mêmes et aux riches. Les petits qu’ils exploitent par ailleurs sans vergogne peuvent crever, ils s’en moquent: à terme, il restera toujours les gros. Comme d’habitude, ce genre de concentration aboutit à tuer la diversité et au formatage «culturel». Même les abonnements ne constituent pas à mon sens une solution viable pour l’édition musicale si l’on veut préserver la diversité et la prise de risques.

    Faut-il rappeler que Deezer a débuté dans la plus parfaite illégalité? Et qu’on n’essaie pas de faire croire que les fondateurs poursuivaient un but philanthropique et désintéressé, au vu de l’évolution de cette plateforme!
    Même légaux, les services de ce type n’ont que faire des musiciens et la chaine d’activités qui permet aux albums d’exister. Ils ne poursuivent visiblement aucun objectif culturel et de partage, la seule valeur qui parait compter à leurs yeux est l’argent.

    En l’état actuel, l’achat d’albums (que ce soit sous forme de CD ou de fichiers) est indispensable à l’activité des éditeurs, sur l’intérêt du rôle desquels je ne reviens pas.

    Le partage marchand promu par Menbiens me parait une voix autrement plus intéressante que le soutien à courte vue des parasites de la musique que sont Deezer et consorts: voilà une solution créative qui pourrait permettre de ne léser personne, au prix d’un sacrifice raisonnable pour les éditeurs.

    @Patrice Lazareff

    Désolé, le bogue d’hier a conduit à la disparition des commentaires récents. J’aurais voulu vous répondre plus en détail, après vos précisions. Cela dit, je ne vais pas tarder à ne plus disposer d’assez de temps. Soutier de l’édition moi aussi, en tant que relecteur-correcteur, je sais ce que «Travailler plus pour gagner moins» veut dire.

  23. j-c

    @ Thomas Savary:

    Vous critiquez le cas particulier de Pandora, et ensuite, vous concluez que cela implique qu’un modèle alternatif où l’éditeur n’est plus payé par la vente rémunérée à l’unité est intrinsèquement impossible.
    Moi, je parle du modèle, je déclare que ce modèle n’a pas de défauts intrinsèques supplémentaires par rapport au modèle classique (là, oui, je maintiens mon affirmation comme quoi payer 20$ dans un cas ou dans l’autre est pareil).

    C’est en effet le cas. Le deux modèles sont équivalents, avec, par exemple, Pandora, qui joue le rôle que joue dans le modèle classique la Fnac.
    Votre argument selon lequel Pandora prend plus qu’il ne devrait est équivalent à avoir un modèle classique où la Fnac prend plus qu’il ne le devrait.

    Le partage marchand est une bonne piste, vu qu’au final, la création une fois payée devient « libre de droit de copie » dans le sens donné par l’auteur de ce texte.
    Mais le texte ci-dessus n’y est pas opposé. Ce texte est une réponse à ceux qui prétendent que ceux qui sont contre le copyright sont motivés par le fait de ne pas payer.
    Si vous ne prétendez pas ça, ce texte ne fournit pas d’arguments pour défendre d’autres éléments, vu qu’il ne parle pas des autres éléments.
    (du coup, je ne vois pas trop l’argument de Menbienscommuns dans leur article: jamais l’auteur n’a prétendu que le copyright ne payait pas l’édition, il dit juste que, selon lui, il n’est pas nécessaire de passer par le copyright pour payer l’édition (chose qui peut se discuter par ailleurs) et que le copyright était donc imposé comme l’est la taxe sur le thé (c’est le copyright qui est imposé, par le fait de rémunéré les créateurs, chose avec laquelle il est d’accord))

  24. Thomas Savary

    @j-c
    Excusez-moi, je ne comprends pas que vous ne compreniez pas en quoi payer un abonnement donnant droit à une écoute illimitée n’est en rien équivalent, économiquement parlant, au fait d’acheter deux albums par mois pour le même prix.
    Je ne critique pas la marge de Pandora ni de la FNAC, d’ailleurs. La politique «culturelle» de cette dernière, si, mais c’est un autre sujet. Du reste, ceux qui pensent que la musique dématérialisée ne coute rien n’ont aucun sens des réalités: et le contenu éditorial pour rendre la plateforme attractive? et les serveurs? et la bande passante? Enfin, passons, justement.

    Si un abonné de Pandora continue à acheter à peu près autant d’albums qu’auparavant, il n’y a en effet aucun problème pour l’édition phonographique. Si au contraire l’abonnement à Pandora a pour effet de voir réduire drastiquement les achats de l’auditeur et que les abonnés de ce service sont très nombreux, alors les revenus des éditeurs s’effondrent, puisque chacun des éditeurs dont les albums sont écoutés reçoit une part d’autant plus faible du montant de l’abonnement que l’abonné écoutera un nombre plus grand d’albums au cours du mois (ici, dans le cas d’un modèle de répartition stricte, je simplifie). L’auditeur «finance» certes un plus grand nombre d’éditeurs qu’en achetant deux CD, mais par des microrétributions qui ne permettent à un éditeur de vivre que s’il peut s’assurer de dizaines voire de centaines de milliers d’écoutes pour chacun de ses albums — autant dire très rarement pour la musique classique, le jazz et les musiques du monde. Pourquoi croyez-vous que des éditeurs comme Harmonia mundi, Hyperion ou Signum (des références en musique classique) refusent la diffusion de leurs albums en streaming sur Qobuz?

    Une fois encore et comme d’habitude, seuls les majors peuvent espérer y trouver leur compte, par les millions d’écoutes que génèrent leurs productions.

    Recourir à ces services tout en réduisant substantiellement ses achats d’albums, c’est contribuer à la fossilisation de l’offre musicale: à côté de l’actualité musicale faite de nouvelles chansons orwelliennes formatées pour les masses, un catalogue certes immense (permettant de donner l’illusion de la bonne santé de l’offre), mais figé, constitué au fil de décennies d’enregistrements dans tous les genres musicaux par les majors ou les labels autrefois indépendants qu’ils auront avalés. La vraie création, elle, se sera réduite comme peau de chagrin, faute d’éditeurs pour la porter, tués par l’effondrement des ventes, auquel auront selon toute vraisemblance puissamment contribué le partage gratuit illégal et le streaming par abonnement.

    Je ne suis pas — enfin, je l’espère — un vieux ronchon qui râle après le partage de la culture, qui se devrait d’être réservée à une élite cultivée et fortunée. Je suis moi-même pauvre: pendant plusieurs années, je me suis débrouillé avec des revenus de l’ordre du R..S.A. Aujourd’hui, j’approche seulement le SMIC, une fois mes charges déduites, pour une moyenne de travail d’au moins cinquante heures par semaine. Pourtant, je ne rechigne pas à payer vingt euros pour un CD, douze euros pour un album en téléchargement, même si je suis toujours à l’affut des promotions sur Qobuz, The Classical Shop et les sites des éditeurs phonographiques comme Hyperion ou CPO (financé par les ventes de JPC.de). Tout simplement parce que j’aime la musique, et que je sais qu’un album vaut largement cette somme. Au regard des sommes investies, un disque est même ridiculement bon marché par rapport à un roman en première édition. Mon souci est que les musiques que j’aime puissent continuer à être enregistrées dans de bonnes conditions, et de pouvoir continuer à découvrir de «nouvelles» musiques (en ce moment, je creuse du côté du Moyen Âge).

    Payer les musiciens qui enregistrent est un faux problème tant que les éditeurs existent et prospèrent (ou du moins vivent décemment). Parce que, dans le modèle autrefois répandu, en tout cas pour la musique classique, les éditeurs payaient les musiciens pour l’enregistrement (un peu comme le cachet d’une série de concerts, si vous voulez). Quand le disque sortait, généralement les musiciens avaient déjà été payés. Peu leur importait les ventes, donc — sur le plan matériel du moins, les royalties venant simplement mettre un peu de beurre dans les épinards. Pour leur éditeur, par contre, elles étaient et sont toujours cruciales (à la différence qu’aujourd’hui de moins en moins d’éditeurs sont en mesure de payer ainsi les artistes, je ne vais pas réexpliquer pourquoi…).

    Évidemment, si le disque se vendait à des dizaines ou à des centaines de milliers d’exemplaires, les musiciens pouvaient se sentir floués: ce salaud d’éditeur qui nous a payés quelques milliers d’euros se fait un fric fou sur notre dos! De nombreuses productions toutefois ne sont pas rentables, et ce sont justement de tels succès (rares) qui permettent de les financer.
    Ce modèle présentait ainsi avec le partage marchand un point commun: accepter un plafonnement de ses revenus, ce qui à mon sens est très sain, et pour tout dire un devoir moral (tout salaire mérite sa peine, si je puis dire).

    La différence essentielle est que ce plafond, avec le partage marchand, concernerait désormais aussi l’éditeur phonographique, et que l’atteinte de ce plafond marquerait l’entrée de l’album dans le domaine public, ce dont tout le monde ici, je crois, moi compris bien sûr, se féliciterait.

    Je suis enthousiasmé par cette idée, et j’espère qu’elle pourra faire ses preuves.

  25. Patrice Lazareff

    @ Thomas Savary Ayant conservé une copie de mon premier commentaire, je me permets de le poster à nouveau. Pour résumer notre échange qui avait suivi, ma position est qu’en reconnaissant à nouveau l’auteur comme titulaire d’un droit personnel à rémunération pour l’exploitation de son œuvre (au lieu d’un droit réel de propriété sur celle-ci comme le prévoit la Loi depuis 1957), tous, y compris les éditeurs/producteurs, auraient un intérêt direct à susciter la mise en place d’un mécanisme de rémunération des auteurs en fonction du volume de partage que leur œuvre génère.

    Les auteurs seraient alors à leur juste place, c’est à dire au centre du dispositif. De là, ils pourraient sélectionner beaucoup plus librement leur partenaire en gestion de carrière parmi les éditeurs/producteurs dont les compétences sont au fil du temps devenues plus importantes dans ce domaine que dans celui de la découverte de nouveau talents, cette dernière fonction ayant été totalement externalisée par toutes les majors.

    Voici mon message original :

    Bonjour,

    Merci de cet article intéressant, et surtout du débat passionnant qu’il a suscité, débat qui montre bien, comme c’est dit à moment donné, à quel point on a l’impression de tourner en rond depuis au moins dix ans. Après pas mal de réflexion sur le sujet, je suis arrivé à la conclusion que le nœud du problème n’est effectivement pas l’argent mais la nature du lien juridique qui existe entre un auteur et son œuvre. Je vais tenter d’expliquer pourquoi sans faire trop trop long (mais un peu quand même).

    Comme les commentaires le montrent une fois encore, ceux qui pensent que le libre partage de la culture doit être interdit avancent l’argument qu’un tel partage ne permet pas de rémunérer l’auteur pour son TRAVAIL.

    La faille dans ce raisonnement est qu’un auteur ne travaille pas. Attention, pour avoir passé bien des années de ma vie à enregistrer des musiciens en studio, je suis bien placé pour savoir à quel point les auteurs dépensent temps et énergie pour fabriquer leur œuvre. Mais, juridiquement parlant, cette activité n’est pas un travail, donc elle ne peut être rémunérée en tant que telle.

    Depuis le 11 mars 1957, la Loi prévoit en effet qu’un auteur n’est pas un travailleur mais un propriétaire, et c’est là qu’est l’os.

    Cette idée de l’auteur propriétaire de son œuvre n’était pas évidente à l’origine, au moment de la première loi sur le droit d’auteur en 1791. Certes, l’auteur de cette loi, Isaac-René-Guy Le Chapelier (1754 – 1794) avait bel et bien employé le mot de propriété, ce que rappelle aujourd’hui l’ensemble de l’orthodoxie juridique en citant le passage le plus célèbre de ce texte : « La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, et, si je puis parler ainsi, la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage fruit de la pensée d’un écrivain »

    Les personnes qui utilisent cette citation pour démontrer qu’un auteur a été vu comme un propriétaire dès l’origine oublient malheureusement trop souvent la suite du même texte. Voici donc le paragraphe complet : « La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, et, si je puis parler ainsi, la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage fruit de la pensée d’un écrivain ; c’est une propriété d’un genre tout différent des autres propriétés. Lorsqu’un auteur fait imprimer un ouvrage ou représenter une pièce, il les livre au public, qui s’en empare quand ils sont bons, qui les lit, qui les apprend, qui les répète, qui s’en pénètre et qui en fait sa propriété. »

    Mais alors, pourquoi Le Chapelier a-t-il utilisé ce terme de propriété ? La réponse est venue des années plus tard, en 1936. Et c’est le Ministre de l’éducation nationale, des belles lettres et des beaux arts du Front Populaire Jean Zay qui la donne dans l’exposé des motifs du projet de loi sur le droit d’auteur et le contrat d’édition qu’il soumet à l’assemblée dans le but de définir l’auteur non pas comme un propriétaire, mais comme un « travailleur intellectuel ».

    Il y explique que Le Chapelier — et Lakanal après lui — avaient été contraints d’employer le mot de propriété car au lendemain de l’abolition du régime féodal, il leur e?tait impossible d’utiliser le mot qui aurait du convenir et qui était celui de « privilège ». Pour Jean Zay, « ce que Le Chapelier demandait, pour l’auteur ayant livré son ouvrage au public, c’était la rémunération du travail », nous y voilà.

    La pensée de Jean Zay n’était pas en contradiction avec la doctrine juridique dominante, bien au contraire, puisque la Cour de cassation s’était déjà prononcée sur la question dans un arrêt du 27 juillet 1887 : « les droits d’auteur et le monopole qu’ils confèrent sont désignés à tort, soit dans le langage usuel, soit dans le langage juridique, sous le nom de propriété; que, loin de constituer une propriété comme celle que le Code civil a organisée et définie pour les biens meubles et immeubles, ils donnent seulement à ceux qui en sont investis le privilège exclusif d’une exploitation temporaire »

    En fait, si la Loi du 11 mars 1957 instaure officiellement un droit de propriété de l’auteur sur son œuvre, c’est en raison des efforts incessants des éditeurs, notamment Bernard Grasset pour l’édition littéraire et René Dommange pour l’édition musicale. La seconde guerre mondiale ayant permis d’enterrer Jean Zay (assassiné par la milice, à laquelle appartenait René Dommange soit dit en passant), et son projet de loi, les éditeurs ont pu faire prévaloir le point de vue auquel ils avaient alors tout intérêt.

    En effet, si on envisage l’auteur comme un travailleur, alors une œuvre de l’esprit n’appartient en définitive à personne — ou plutôt à tout le monde — et son auteur ne jouit que d’un droit à rémunération sur l’exploitation qui en est faite. Il garde donc un contrôle total sur elle et peut changer d’éditeur à intervalles régulier si celui-ci ne donne pas satisfaction.

    Par contre, si l’auteur est propriétaire, alors il n’a le plus souvent d’autre choix que de vendre son œuvre, en partie ou en totalité, à un éditeur qui en devient alors le nouveau propriétaire. C’est bien pour ça que cette idée est celle qui a été défendue bec et ongles par les éditeurs face au projet de Jean Zay. Et c’est aussi pour ça que les lois récentes qui visent soi disant à protéger les « créateurs » (l’utilisation d’un terme religieux permet de mieux conditionner les esprits) protègent davantage les investisseurs que les auteurs eux-mêmes. En fait, ces lois protègent les propriétaires des œuvres, ce que les auteurs ne sont en réalité que rarement.

    Cette définition de l’auteur-propriétaire était efficace tant qu’il demeurait possible de contrôler étroitement la reproduction et la distribution des copies. Mais avec internet, nous savons bien qu’un tel contrôle appartient désormais à un passé qui ne reviendra jamais. Il est donc peut-être temps d’exhumer la notion de « travailleur intellectuel » de la tombe de Jean Zay car force est de constater qu’elle permettrait de mettre en place des mécanismes de rémunération pour ceux dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont à l’origine de tout : les auteurs. Ceux-ci pourraient alors enfin faire valoir un droit à rémunération pour leur travail, un droit qui dans l’état actuel n’existe pas.

    Tout cela n’est donc pas une question d’argent, car il faut au préalable redéfinir le lien juridique entre un auteur et son œuvre.

  26. j-c

    @ Thomas Savary:

    « payer un abonnement donnant droit à une écoute illimitée n’est en rien équivalent, économiquement parlant, au fait d’acheter deux albums par mois pour le même prix. »

    Économiquement parlant, si, c’est totalement équivalent.
    Que la personne qui paie écoute 10’000 morceaux ou 3 morceaux, le créateur s’en fout, il reçoit le même argent.

    C’est d’ailleurs le principe que le partage marchand: si je jettes mon dévolu sur des morceaux populaires où les créateurs demandent 2000euros par morceau et où 1’000’000 personnes sont intéressées, je peux écouter 10’000 morceaux pour 20euros (car chaque morceau coutera 0.2 centime). Si je jettes mon dévolu sur des morceaux peu populaires où le créateur demande 2000euros et où 300 personnes sont intéressées, je peux écouter 3 morceaux pour 20euros (car chaque morceau coutera 6.67 euros).

    On peut également se poser la question: avec le partage marchand, les morceaux populaires seront moins chers (d’autant plus que l’acheteur précoce est remboursé), donc, plus un morceau est « formatté grand public », plus il sera concurrentiel par rapport à un morceau d’un groupe débutant ou un morceau « de niche » (donc, le public aura tout intérêt à payer pour des bons morceaux populaires (car ils peuvent en acheter plus) plutôt que des bons morceaux « de niche » qui resteront impopulaires).

  27. Thomas Savary

    @ Patrice Lazareff

    Merci d’avoir reproduit votre premier message, très instructif.

    La plupart du temps, comme vous le dites très justement, les «créateurs» ne sont plus propriétaires des productions artistiques dont ils sont à l’origine. Même si beaucoup sont surpris quand ils l’apprennent, il n’y a là à mon sens rien de choquant. Il conviendrait, je crois, de s’extraire de la représentation romantique — et donc très récente, à l’échelle de l’histoire des arts — du créateur adulé, ce génie solitaire accouchant par la force féconde de sa divine pensée de chefs-d’œuvre sacrés comme une poule pond ses œufs.

    Certaines formes d’expression artistique nécessitent relativement peu de moyens: la peinture, la sculpture de certains matériaux, par exemple. L’édition d’un livre, si l’on veut que le travail soit bien fait (correction et mise en pages de qualité professionnelle, impression, stockage, distribution, sans parler de la promotion), nécessite d’investir quelques milliers d’euros, celle d’un album de musique enregistrée des dizaines de milliers, voire plus, et celle d’un film des centaines de milliers, voire millions d’euros.

    Du reste, si un livre est généralement l’œuvre d’un seul auteur, il n’en va déjà plus de même pour la musique, qui implique souvent de nombreux instrumentistes et chanteurs (en dehors des récitals instrumentaux de pianistes, violonistes, etc.). Avec un jeu vidéo ou un film, le nombre de personnes impliquées explose!

    Sauf à disposer eux-mêmes des moyens de financer la production, les artistes n’ont d’autre choix que de travailler pour ceux qui peuvent leur fournir ces ressources. Ainsi les artistes sont-ils bien des travailleurs dont l’activité mérite rétribution. Idéalement, l’essentiel de cette rétribution ne devrait toutefois pas dépendre des ventes des productions.

    Dans le cas de la musique, les choses sont assez simples. Les sessions d’enregistrement durent quelques jours: les musiciens sont/étaient rémunérés sur cette base, en tenant compte éventuellement du temps investi dans la préparation des œuvres enregistrées. Compte tenu des sommes investies, il est normal que ce soit l’éditeur qui détienne les droits d’exploitation et empoche la majeure partie des ventes des albums. La plupart des revenus des musiciens ne proviennent de toute façon pas des enregistrements, mais des concerts, des salaires (pour un orchestre institutionnel, par exemple) ou des allocations.

    Pour un livre, c’est plus délicat. Si deux ans ont été nécessaires à l’écriture d’un roman, la rémunération de ce travail ne serait-ce qu’à la hauteur du SMIC excède souvent à elle seule les revenus que l’éditeur peut escompter des ventes de l’ouvrage. Il est dès lors difficile d’envisager que les risques inhérents à ce pari qu’est l’édition ne soient pas partagés entre l’auteur et l’éditeur, avec le système des droits d’auteur. En contrepartie, l’éditeur devrait avoir davantage de comptes à rendre à l’auteur, au propre comme au figuré, et le deuxième pouvoir rompre plus facilement le contrat attaché à l’exploitation de l’œuvre par l’éditeur, au cas où celui-ci fournirait un piètre travail.

    @ j-c

    «Que la personne qui paie écoute 10 000 morceaux ou 3 morceaux, le créateur s’en fout, il reçoit le même argent.»

    Oui et non. De qui parle-t-on? Des artistes ou de l’éditeur? Dans le premier cas, c’est en partie vrai, puisque, je le redis, l’essentiel des revenus d’un musicien enregistré édité par un tiers ne provient (ou ne provenait) pas des ventes d’albums ou du nombre de diffusions (cas autrefois répandu du musicien payé par l’éditeur pour enregistrer). Sauf ventes considérables ou nombre d’écoutes colossal, le montant des royalties ne constitue en fait qu’une petite part de ses revenus.

    Si on parle de l’éditeur, les choses diffèrent radicalement. La plateforme répartit une partie prédéfinie du montant de l’abonnement de l’auditeur entre l’ensemble des éditeurs dont les enregistrements ont été écoutés par cet abonné au cours d’une période convenue (mois, année, peu importe). Pour Universal ou Sony, si l’abonné écoute dix-mille morceaux qui leur appartiennent ou trois, voilà qui ne change effectivement rien. Sauf que les majors sont les quelques séquoias qui masquent la forêt de dizaines de milliers de petits et moyens éditeurs indépendants à travers le monde. Statistiquement, il y a très peu de chance que sur dix-mille morceaux écoutés, une proportion importante appartienne à un même petit éditeur.

    Bref, dans la plupart des cas, le streaming ne rapporte que des clopinettes aux éditeurs indépendants. Si la vente d’albums passe sous un certain seuil, ce n’est pas le streaming qui les sauvera: ils mettent la clé sous la porte. Seuls gagnants: la plateforme et les majors, comme toujours.

    Il est très vraisemblable que le streaming sur abonnement contribue à la baisse des ventes d’albums. Et je le déplore.

  28. Patrice Lazareff

    @Thomas

    Attention à la confusion entre artistes et auteurs, mon message initial ne s’intéresse qu’aux auteurs.

    L’artiste est, en musique, l’interprète sous contrat avec le producteur. L’auteur est la personne qui a écrit la musique et/ou le texte et a vendu tout ou partie de son œuvre à un éditeur. Cette distinction demeure pertinente même s’il s’agit d’une seule et même personne physique.

    L’artiste est rarement rémunéré en tant que travailleur car il touchera des royautés sur les ventes. Par contre, il est exact que les musiciens accompagnateurs sont de simples salariés en CDD, avec cette monstruosité juridique qui veut que leur contrat de travail vaille cession de leurs droits pour la première exploitation de l’œuvre enregistrée — mais c’est un autre débat.

    Quant au financement dans le modèle que je suggère, il est évident que, comme aujourd’hui, seule une poignée d’auteurs aurait les moyens d’auto-produire son œuvre. Les autres devraient, comme aujourd’hui, recourir à des sources externes de financement, en échange d’une durée accrue pour la concession de l’exploitation de leur œuvre. Mais avec la garantie qu’en aucun cas ils ne peuvent être dépossédés de leur œuvre.

    En fait, le mécanisme que je suggère ne change pas grand chose hormis le fait, à mon avis essentiel, de fournir la possibilité d’un cadre juridique incitant la rémunération des auteurs en fonction du volume d’échanges non marchands, tout en leur conférant un pouvoir de négociation renforcé face à leurs sources de financement. Bref, une évolution rendue inévitable par la dématérialisation et non une révolution idéologique.

  29. j-c

    @ Thomas Savary:

    De nouveau, ce que vous dites n’est pas du tout un élément intrinsèque au modèle. Le même élément existe dans le modèle traditionnel (il suffirait que la Fnac paie des clopinettes pour chaque album vendu).
    Et si vous me répondez « oui mais la fnac ne paie pas des clopinettes », c’est que vraiment vous n’êtes pas en mesure de juger de la pertinence d’un modèle si vous n’êtes pas capable de faire preuve d’un minimum d’abstraction.
    Bref, oui, le modèle, sur ce plan, est identique. C’est tout ce que je voulais dire.

  30. Thomas Savary

    @ j-c
    Non, effectivement, je ne comprends pas de quoi vous parlez. Streaming payant et vente d’albums (physiques ou numériques, peu importe) ne reposent pas sur le même modèle: dans le premier cas, on vend un service offrant aux éditeurs une rémunération inversement proportionnelle au nombre d’éditeurs devant se partager le (plutôt maigre) gâteau; dans le second cas, on vend un bien (un CD, des fichiers) avec une part fixe et substantielle revenant à son éditeur.

    De fait, dans la vente de disques, non seulement la FNAC ne paie pas des clopinettes aux éditeurs, mais elle ne leur paie rien du tout: les disques, c’est aux distributeurs des labels qu’elle les achète, distributeurs qui eux-mêmes les achètent aux éditeurs. Pour donner un ordre de grandeur: un éditeur vend un disque neuf euros H.T. au distributeur, qui le revend à treize euros H.T. à la FNAC, qui le revend autour de vingt-deux euros T.T.C. Très concrètement, donc, la vente d’un disque par la FNAC (ou un vrai disquaire) permet indirectement à un éditeur d’encaisser autour de neuf euros. Pour atteindre cette somme au moyen du streaming (gratuit, comme sur Deezer, ou même payant, comme sur Qobuz et Pandora), un bien plus grand nombre d’écoutes est nécessaire. L’objectif d’atteindre au moyen du streaming des revenus nécessaires à leur survie est inatteignable pour la grande majorité des éditeurs, qui ne disposent pas d’un fonds de catalogue gigantesque comme Sony ou Universal. C’est tout sauf abstrait, je vous l’accorde, mais c’est la réalité.

    C’est tout ce que, pour ma part, je voulais dire.

    @ Patrice
    Vous avez tout à fait raison de distinguer auteurs et artistes. Si pour ma part, dans le domaine de la musique, je pense avant tout aux artistes, c’est que, dans le domaine de la musique classique, l’immense majorité des auteurs (les compositeurs) sont morts et enterrés depuis belle lurette.
    J’écoute cela dit une proportion non négligeable de musique classique contemporaine. Souvent, les compositeurs classiques répondent à des commandes (d’un ensemble de musiciens, d’une institution). Je suppose que dans ce cas ils sont payés pour écrire leurs œuvres. À quelle hauteur? Je n’en sais rien.

    «L’artiste est rarement rémunéré en tant que travailleur car il touchera des royautés sur les ventes.»
    Dans le domaine de la musique classique, au moins jusqu’à l’époque où j’ai travaillé dans le secteur, si, il l’était. Parce que, sorti de quelques vedettes (Bartoli, Jaroussky, par exemple), les royalties sont des revenus relativement négligeables pour les musiciens classiques qui enregistrent.

    «Par contre, il est exact que les musiciens accompagnateurs sont de simples salariés en CDD, avec cette monstruosité juridique qui veut que leur contrat de travail vaille cession de leurs droits pour la première exploitation de l’œuvre enregistrée — mais c’est un autre débat.»
    Oui, un autre débat, en effet. Personnellement, je trouve que cela n’a rien de monstrueux. L’éditeur investit des sommes importantes dans des productions qui seront parfois déficitaires, souvent à peine rentables et exceptionnellement lucratives (encore une fois, je parle ici de l’édition indépendante d’albums de musique classique). À partir du moment où les musiciens sont payés décemment pour enregistrer, qu’est-ce qui justifierait une rente autre que symbolique sur les ventes des albums? (on rejoint ici l’idée du plafonnement des revenus sur laquelle repose le partage marchand)
    Le même raisonnement vaut du reste à mon sens pour les éditeurs. Une fois ses productions largement rentabilisées, il serait juste de voir le prix de vente décroitre. Certains éditeurs rééditent ainsi leurs enregistrements dans des collections économiques. Il s’agit cependant en quelque sorte d’une demi-mesure.
    Le label CPO ne propose pas quant à lui de telles collections. À la place, sur le site JPC, dont dépend le label, on voit passer ses disques par des prix décroissants: de dix-huit euros à quinze euros, puis à dix, puis à sept, cinq et même parfois trois ou deux. Je lui tire mon chapeau. Voilà cependant qui sans doute n’est possible que parce que le label appartient à l’un des plus gros sites de vente en ligne européens de produits culturels (et le premier pour la musique classique).

    Pour en revenir au modèle que vous proposez (concernant les auteurs), vous évoquez une rémunération «en fonction du volume d’échanges non marchands, tout en conférant [aux auteurs] un pouvoir de négociation renforcé face à leurs sources de financement». Je ne vois pas comment mesurer précisément ce volume d’échanges non marchands sans mettre en place une surveillance systématique d’Internet. Mais peut-être que vous parlez d’autre chose que du partage gratuit illégal actuel.

  31. j-c

    @ Thomas Savary:

    Mais le « modèle » du streaming n’impose en rien cet état de fait.
    L’argent qui rentre EST LE MÊME. Si les éditeurs touchent moins, c’est qu’ils sont pas capables de s’organiser pour toucher ce dont ils ont droit. Mais ce n’est certainement pas la faute au modèle lui-même.

    Dans un univers parallèle, on trouve un Thomas Savary prime qui dit: « le modèle où on paie pour un CD doit être à tout prix évité, car il s’agit de vol. Lorsqu’on écoute de la musique sur internet, on paie les services qui nous facilitent la vie pour ce faire. Et ces services paient la production, le marketing, … En achetant un cd, l’argent ne va qu’au vendeur, qui ne paie que les droits sans payer pour le financement. On répondra que quelqu’un qui paie un CD n’aurait p-e pas payer pour un service, mais s’il paie pour 10 CD d’une heure et qu’il dépense pour un service correspondant à 9h, alors, il a volé 1h de service. »

    (calculer par rapport au nombre d’écoute reste stupide. Ce qui compte, c’est ce que paie le consommateur au final. S’il arrête de payer 20€ par mois pour acheter 1 cd par mois et qu’en échange, il paie 20€ par mois pour écouter 1000 cd, il n’y a eu aucune perte: l’argent injecté est toujours le même)

    Je suis d’accord avec vous qu’en l’état, le streaming ne rémunère pas de la même façon. Par contre, si vous voulez prétendre que le streaming ne peut jamais marcher, il vous faut le prouver en pointant la différence fondamentale et intrinsèque de ce modèle (et pas des éléments circonstanciels) qui font que ce modèle ne peut pas marcher.
    Si les gens, comme prétendu dans cet article, paient autant d’argent et que par ailleurs les services ont des coûts de fonctionnement (+ coût des autres intermédiaires) inférieurs, alors, ça implique que l’éditeur gagne plus.

    Maintenant, vous pouvez dire « l’auteur de ce texte ment: les gens ne paient pas la même somme ». Là, c’est juste votre parole contre celle de l’auteur.