En toute logique on devrait interdire les bibliothèques publiques

Classé dans : Communs culturels | 14

Temps de lecture 7 min

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Le titre de ce billet est volontairement provocateur.

Mais, comme le souligne Rick Falkvinge ci-dessous, pourquoi ne retrouve-t-on pas les mêmes libertés de partage de la culture entre une bibliothèque et… Internet  !

Brewbooks - CC by-sa

L’exemple des bibliothèques publiques prouve que le partage de la culture n’aurait jamais dû être interdit a priori

Public Libraries Show Why Sharing Culture Should Never Have Been Banned in the First Place

Rick Falkvinge – 14 janvier 2014 – TorrentFreak
(Traduction  : Kookoo, AmarOk1412, Mooshka, Sky, Asta, Savage, Penguin, KoS, Omegax)

Vous aurez du mal à trouver un fondamentaliste du droit d’auteur qui défende l’idée que les bibliothèques publiques devraient être interdites. Ce serait un suicide politique  ; alors ils préfèrent mentir en expliquant pourquoi ce n’est pas la même chose que le partage en ligne. Regardons ceci d’un peu plus près.

Il y a un concept de plus en plus utilisé, consistant à définir des «  Droits à l’Équivalence Analogique  ». La culture et la connaissance devraient être aussi disponibles dans l’espace numérique que dans l’espace physique. Nous devrions bénéficier d’exactement les mêmes droits concernant notre vie privée et nos libertés civiles en ligne que déconnectés. Ce concept est tout à fait raisonnable, et n’est pas particulièrement sorcier. C’est une notion extrêmement utile, puisqu’elle permet aux juristes et autres législateurs de réfléchir aux libertés qu’ils sont en train de réduire à néant pour leurs enfants, parfois suivi d’un choc mental lorsqu’ils s’aperçoivent grâce à leurs approbations silencieuses.

Quand vous mettez au défi un lobbyiste de l’industrie du droit d’auteur autour du concept de bibliothèque publique, et que vous lui demandez s’ils sont opposés à ce que des gens aient accès à la culture et à la connaissance sans avoir à payer, ils sont assez intelligents pour ne pas tourner en ridicule les bibliothèques publiques – car ceci ébranlerait considérablement leur stature politique. Cependant, le partage de la culture et du savoir en ligne est le Droit à l’Équivalent Analogique des bibliothèques publiques dont nous avons profité pendant 150 ans. Les lobbyistes vont parfois essayer de changer de sujet, ou, mentir en utilisant trois mythes récurrents. Voici ces mythes et mensonges, et pourquoi ils sont faux  :


Mensonge de lobbyiste  : la bibliothèque achète tous ses livres. Ce n’est donc pas comparable avec le partage en ligne de la culture.

Réalité  : la loi dans la plupart des pays indique que pour chaque livre publié, l’éditeur doit envoyer un certain nombre d’exemplaires de ce livre à ses frais, afin qu’il soit disponible gratuitement pour le public (NdT  : le dépôt légal obligatoire est de 4 exemplaires en France).

Lorsque les industries du droit d’auteur se plaignent qu’elles «  ne peuvent pas accepter  » des lois qui les obligent à «  distribuer leurs produits gratuitement  », comme elles ont tendance à le formuler, il est avisé de souligner que ces lois existent déjà, et ont plus d’un siècle. La différence majeure entre le partage en ligne est que le mécanisme analogue équivalent ne coûtera rien aux éditeurs, ce qui devrait être vu comme un fait positif, tant d’un point de vue politique que de celui de la publication.

De toute évidence, il est vrai que beaucoup, sinon la plupart des bibliothèques achètent des livres supplémentaires et des copies de livres. Cependant, le point essentiel ici est qu’il existe déjà des lois sur les livres qui disent que chaque livre publié doit être fourni à une bibliothèque, afin d’être à la disposition du public gratuitement.

En outre, ceci ignore le fait que l’industrie du droit d’auteur n’a pas à choisir «  d’accepter  » ou de «  ne pas accepter  » les lois. Ils gèrent une entreprise dans un environnement légal particulier ou ne le font pas, et c’est là que leurs prérogatives commencent et s’arrêtent. Sur un marché équitable et libre de fonctionnement, les entrepreneurs n’ont pas et ne devraient pas avoir leur mot à dire sur ce à quoi l’environnement juridique devrait ressembler. (Nous avons encore du chemin à faire sur ce point en remplaçant les hommes politiques stupides et dangereux qui disent oui à tout.)

Mensonge de lobbyiste  : L’ayant-droit est payé quand un livre est emprunté dans une bibliothèque.

Réalité  : Il s’agit d’un mythe sur deux fronts – ce que nous appelons une «  double faute  » dans des sports populaires tels que Counter-Strike.

Il est vrai que, sous certaines conditions et dans plusieurs pays, une contribution est envoyée à quelqu’un lorsqu’un livre est emprunté dans une bibliothèque. Cependant, ce quelqu’un qui reçoit l’argent n’est pas l’ayant-droit, et ce n’est pas une compensation pour une vente perdue. Dans la plupart des pays européens, il s’agit d’une subvention de la culture gouvernementale ayant pour but d’augmenter la disponibilité de la culture dans la langue locale. Par conséquent, et ce contexte est particulièrement important, cette rétribution n’a rien à voir avec les droits exclusifs du monopole du copyright. Il s’agit d’une subvention gouvernementale unilatérale pour la culture qui est basée sur les statistiques des bibliothèques.

Si un livre en suédois est emprunté dans une bibliothèque suédoise, alors la personne qui l’a rendu disponible en suédois reçoit une faible compensation, à condition qu’il atteigne un seuil minimum et ne dépasse pas un seuil maximum. Parfois, il arrive que ce soit un auteur qui rédige directement en suédois, mais il est plus courant que ce soit quelqu’un qui ait traduit un livre en suédois. D’autres pays ont des arrangements similaires.

À savoir  : Quand quelqu’un emprunte la traduction suédoise d’Harry Potter dans une bibliothèque suédoise, J.K Rowling, l’ayant-droit, ne reçoit pas un penny pour ça. Dans tous les cas, ce mythe est faux.

Mensonge de lobbyiste  : Une bibliothèque peut prêter un livre à une seule personne à la fois, donc cette limite doit être artificiellement imposée à l’âge numérique.

Réalité  : Il s’agissait d’une limitation physique, non pas une limitation conceptuelle. Si une bibliothèque pouvait prêter ses livres à plusieurs personnes, elle l’aurait fait volontiers depuis longtemps. Prétendre que cette limitation physique indésirable devrait constituer une base pour limiter la législation dans un nouvel environnement où cette limitation n’existe pas est pire qu’une erreur logique  ; cela n’a de sens à aucun niveau.

Le but de la bibliothèque publique n’est pas et n’a jamais été de «  prêter des livres  », comme il est affirmé dans ce mythe. Il a été et est, de «  donner accès à la connaissance et à la culture au plus grand nombre et à moindre frais  ». Ce qui est possible pour un bien plus grand nombre de personnes avec le partage en ligne et il est normal que nous profitions de ce potentiel fantastique.

Le partage en ligne de la culture et de la connaissance constitue la plus formidable bibliothèque publique jamais inventée. Et la possibilité pour toute l’humanité de prendre part à toute culture et connaissance 24h sur 24 et 7 jours sur 7 est sans doute une des plus grandes avancées de la civilisation de ce siècle. Toutes les technologies ont déjà été inventées, tous les outils ont déjà été déployés, la possibilité de les utiliser a déjà été répandue à toute l’humanité  : personne n’a besoin de dépenser un centime pour que cela arrive. Tout ce dont nous avons besoin de faire est de nous débarrasser de l’interdiction stupide de pouvoir effectivement l’utiliser.

Ce que nous devons faire est de remplacer les politiciens béni-oui-oui qui se laissent manipuler par une industrie obsolète mais lucrative afin de faire ce grand saut de civilisation. Souvent, la simple mesure visant à remplacer ces politiciens est suffisante pour que cette mauvaise politique change en un clin d’œil.

Crédit photo  : Brewbooks (Creative Commons By-SA)

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14 Responses

  1. zozo

    où sont passés les commentaires très critiques vis à vis de ce texte bancal ?

  2. Menbiens

    Je remets le lien vers notre point de vue critique, histoire de tester si le Framablog a décidé de ne plus afficher que les commentaires favorables ou s’il s’agit d’une simple erreur technique… 😉

    Le partage en ligne : les raisons pour lesquelles il faut faire preuve d’un peu de patience ! http://menbienscommuns.com/2014/01/

  3. Thomas Savary

    Un problème technique survenu hier, rendant le site inacessible, semble être à l’origine de la disparition des commentaires. Je reprends mes critiques (qui rejoignaient d’ailleurs celles d’autres intervenants).

    Dans la mesure où il s’agit d’une traduction, je ne me prononcerai pas sur la pertinence de ce texte pour le pays de l’auteur (la Suède). Toujours est-il que la situation décrite n’a rien à voir avec celle de la France.

    En France, comme d’autres l’ont rappelé, les éditeurs doivent fournir un certain nombre d’exemplaires (deux, je crois) au service du dépôt légal, rue de Tolbiac, bibliothèque François-Mitterrand.

    Toutes les bibliothèques de prêt achètent leurs livres, en l’occurrence à des librairies. Dans le cas des bibliothèques municipales, très nombreuses, les factures des librairies sont réglées par la commune ou la communauté de communes. Ce sont donc les impôts locaux qui financent en grande partie les achats des livres en prêt. Les quatre bibliothèques municipales que j’ai fréquentées en tant que lecteur demandaient par ailleurs une cotisation, certes modique.

    Ayant travaillé comme libraire-disquaire, je peux témoigner que certains éditeurs publient des livres qui se vendent très peu en magasin (et guère plus chez la plupart de mes anciens confrères avec lesquels je me suis entretenu), mais qui rencontrent beaucoup de succès auprès des bibliothécaires: albums jeunesse de poésie et documentaires, notamment. C’est très vraisemblablement aux achats des bibliothèques que de tels éditeurs doivent leur survie.

    Les libraires reversent par ailleurs six pour cent de la vente aux collectivités à la SOFIA, Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (sorte d’équivalent à la SACEM), finançant ce faisant les auteurs.

    Population, fonctionnement de la société, paysage éditorial, bibliothèques: la Suède n’est pas la France. Tel qu’il se présente, cet article est à mon avis dépourvu de toute pertinence. Pire, faute d’une présentation resituant cet article dans son contexte, il peut être interprété comme un discours manipulateur et mensonger.

    Au lieu de chercher à donner bonne conscience à ceux qui entendent partager librement en refusant de voir que, à moins de continuer par ailleurs à acheter autant de livres et de disques qu’ils le faisaient avant la généralisation des connexions à haut débit à Internet, ils spolient auteurs et producteurs des différents domaines artistiques, il serait plus pertinent de chercher des moyens permettant à la création de perdurer. J’ai passé mon temps à critiquer ces derniers jours. J’ai conscience que c’est chose bien plus facile que de construire. Ayant le nez dans le guidon, je n’ai pas le temps ni sans doute le talent de proposer moi-même des solutions réalistes et pertinentes. En tout cas, j’admire les propositions défendues par Menbiens, et j’espère pouvoir disposer plus tard du temps pour les promouvoir.

  4. Laurent Fournier

    Non seulement c’est un beaux discours populiste, mais en plus, on serait un idiot de penser autrement que ce monsieur… !
    Imaginez un homme de cro-magnon qui arrive sur un marché de fruits et légumes. Quoi de plus normal à ses yeux de se servir sans payer, pour nourrir sa famille et quels sont ces vilains marchands qui réclament quelque chose en échange de leurs produits ? vraiment, c’est la faute des lobbyistes qui ne veulent pas que les gens mangent à leur faim !
    Notre homme serait qualifié de voleur, a juste titre.
    Imaginez maintenant qu’un homme moderne arrive sur Internet débordant de bien culturels. Quoi de plus naturel à ses yeux de se servir sans payer, pour cultiver sa famille et quels sont ces vilains artistes qui réclament un salaire ? Vraiment, c’est la faute des lobbyistes du Droit d’Auteur qui ne veulent pas partager la culture avec le peuple !
    Cette homme n’est pas un voleur, il commet pourtant un délit qui n’a pas encore de nom officiel, je le nomme ‘i-vol’. Il n’y a pas besoin d’arguments populistes pour comprendre que les artistes ont le droit d’être rétribués pour leur travail sur le Net, et comme aucune institution centralisée ne peut le faire équitablement, et que le Don n’est que minoritaire, il ne reste QUE la vente directe des œuvres numériques. Ce n’est pas les politiciens, les héritiers ou les patrons d’industries culturelle qui peuvent changer ce besoin, même si on les éliminait. Ensuite, plutôt que de cogner sur le Droit d’Auteur, ne serait-il pas plus « productif » de proposer une alternative viable et démocratique…je vous invite à regarder le « Partage Marchand »

  5. Boudelene

    « Toutes les technologies ont déjà été inventées, tous les outils ont déjà été déployés »
    Serions-nous déjà au bout de l’inventivité humaine… c’est triste

    « la possibilité de les utiliser a déjà été répandue à toute l’humanité »
    Vraiment ? Toute l’humanité ? J’ai un doute…

    Bizarre cet article… Il faudrait sortir un peu des frontières suédoises non ?

  6. j-c

    @ Laurent Fournier:

    Votre raisonnement ne tient que si on croit à l’assertion
    « comme aucune institution centralisée ne peut le faire équitablement, et que le Don n’est que minoritaire »

    Pour quelqu’un qui croit, par exemple, qu’une institution centralisée peut le faire (ou, encore plus prosaïquement, que les revenus engendrés par d’autres services sont suffisant), alors, cette accusation de « voleur » ne tient plus la route.
    (d’autant plus que l’article ne traite pas de cela: il ne nie nulle part qu’il faut rémunérer les artistes)

    Bref, je suis un peu mal à l’aise par votre accusation selon laquelle tout ceux qui sont contre le copyright ne sont que des sales « i-voleurs » alors que ceux-ci dépensent p-e même plus d’énergie pour faire parvenir leur argent aux créateurs (tandis que certains achètent leur CD à la Fnac en se contre-foutant de savoir ou non si les créateurs sont correctement rémunérés).

    Par ailleurs, ce n’est p-e pas l’endroit pour en parler, mais j’ai un peu de mal à comprendre comment le Partage Marchand peut marcher si on considère les modèles centralisés comme impossible à rendre équitable. Si le Partage Marchand ne propose pas une solution où il est impossible au créateur de truquer ses chiffres, alors, celui-ci ne marche pas. Mais si cette solution existe, alors, cet argument pour critiquer une solution centralisée ne peut plus s’appliquer.
    (ensuite, il y a d’autres arguments contre les solutions centralisées, mais bcp relèvent plus des goûts personnels que de vrai arguments bloquants)

  7. Calire

    @ Laurent F.

    Attention ayants-droit n’est pas auteur dans 70% des cas.
    Il existe déjà des propositions alternatives, voir la quadrature du net, le crowfunding ou le fait de payer l’artiste avant, pendant qu’il crée pour que sa création soit pour tous (sauf usage commercial abusif).
    Les prêts en bibliothèques augmentent les ventes de livres, de même que le téléchargement illégal de musique remplie les salles de concert.
    On a tous à y gagner de partager un peu plus.
    Je dois être naïve mais pour moi un artiste est quelqu’un qui a quelque chose à raconter et qui trouve un beau moyen de le faire. Il me semble que don but numéro 1 est de partager son histoire. Avant de s’enrichir. Ça, c’est le désir des ayants-droit, des « propriétaires » en tous genre et des actionnaires.

  8. Calire

    Au fait, pour info, ce n’est plus 4 exemplaires pour le dépôt légal mais plus que deux, voire un seul plus un seul pour les imprimeurs.
    Et cette obligation date de 1537, sous François 1er.

  9. Menbiens

    @Thomas Savary

    Merci pour votre petit commentaire. ça fait plaisir d’avoir un peu de soutien. Vous aidez déjà beaucoup en apportant des éléments complémentaires dans vos commentaires. 🙂

    @Calire

    La majeure partie des artistes doivent être des personnes qui ont véritablement des choses à raconter et dont l’objectif premier n’est pas le gain monétaire. Cependant, un artiste qui a beaucoup d' »histoire » à raconter doit trouver du temps pour les raconter. Et, pour trouver du temps, la meilleure méthode reste d’arriver à vivre de ses histoires pour ne pas être contraint d’exercer un emploi parallèle pour gagner sa vie.

    Bien sûr, tous ne peuvent pas le faire. Mais si certains y peuvent y arriver, il ne faut pas les en empêcher. De même, si des personnes ont des objectifs plus commerciaux, c’est aussi légitime. On ne va pas interdire à des entreprises de réaliser des biens culturels ou limiter la production de biens culturels à l’économie sociale et solidaire ou au bénévolat. Il faut de tout pour que la « production » soit la plus riche possible.

    Nombre des propositions de la Quadrature du net sont très intéressantes et conciliables avec la proposition de Laurent Fournier. Il propose un système qui permet à la fois à un auteur de toucher un revenu « équitable », à des clients d’acheter des oeuvres à un prix presque nul et une entrée des oeuvres dans le domaine public. Cela semble vraiment génial.

    Par contre, il faudrait qu’il arrive à le présenter de manière un peu moins radicale. J’ai pour ma part essayé de le faire ici : http://menbienscommuns.com/2014/01/

    Néanmoins, pour l’heure, il semble vouloir établir un nouveau système juridique sans tenir compte du fait qu’il faut également tenir compte du droit actuel, annonce que les oeuvres entreront dans le « domaine public » quand c’est actuellement impossible et ne semble pas vouloir faire usage de licences creative commons,…

    Il y a beaucoup de choses à régler, mais cela semble prometteur pour l’avenir. Même s’il ne se décide pas à devenir plus réaliste, des personnes finiront pas se saisir de cette méthode.

  10. Calire

    @Menbiens

    Merci de ton commentaire. Je suis bien entendu d’accord avec, d’autant que j’ai bien découvert ce que propose Laurent Fournier (dans un de ses commentaires sur le site de la romaine lubrique). Évidemment qu’il fait les payer les auteurs, ce dont une certaine frange des ayants-droit qui me dérangent plus.
    A+

  11. Thomas Savary

    @Calire
    S’agissant des rémunérations des artistes, les choses ne sont pas aussi simples. Dans le domaine de la musique, je me répète, il était autrefois fréquent (avant la crise des ventes de musique enregistrée) que les musiciens fussent payés par l’éditeur indépendamment des ventes de disques. Que le disque fût un bide ou un immense succès, les musiciens étaient de toute façon payés pour enregistrer. Produire un disque coute très cher (le plus souvent des dizaines de milliers d’euros pour un disque de musique classique en dehors des récitals, et facilement plus de cent-mille euros). Avant de s’engraisser sur le dos des artistes, le souci premier d’un éditeur est de rentrer dans ses frais et de dégager un bénéfice suffisant pour payer ses charges, ses employés, financer des productions qui seront vraisemblablement déficitaires et assurer ses propres revenus. Oui, dans cet ordre-là. Du moins pour les petits et moyens éditeurs indépendants, des gens passionnés qui ne travaillent absolument pas pour l’argent, mais pour partager leur passion. Et ce sont les majorités des éditeurs. Il ne faut pas juger d’une situation à partir des pratiques des majors.

    Bien que correcteur, je suis moins au fait des pratiques dans l’édition de livres. Je sais toutefois que certains auteurs perçoivent des avances avant même la parution des ouvrages. Mais de quel montant?

    «Le téléchargement illégal de musique remplit les salles de concert.»
    Je suis assez sceptique face à cet argument. S’agissant de la pop, du rock, etc., je ne sais pas grand-chose. Pour la musique classique ou la musique du monde, les concerts sont le plus souvent déficitaires. Ils doivent leur existence au mécénat culturel, et pour une large part à celui des collectivités. Donc, là encore, ce sont les impôts qui financent en grande partie les concerts. Par ailleurs, sauf à vivre à proximité de quelques grandes villes, un mélomane provincial et désargenté tel que moi ne peut accéder qu’exceptionnellement à des concerts de très grande qualité.
    Même lorsque j’habitais Paris, faute de revenus, j’allais finalement assez rarement au concert (une vingtaine de fois par an tout au plus). Comparativement au concert, un enregistrement est le plus souvent moins cher et permet d’entendre, ad libitum, des interprètes exceptionnels que parfois l’on n’entendra jamais en vrai.
    De toute façon, album et concert sont deux choses très différentes. J’ai connu des mélomanes (aisés) qui n’achetaient quasiment jamais de disques mais allaient pratiquement tous les jours au concert; à l’inverse, des mélomanes audiophiles n’allant pratiquement jamais au concert, auquel ils préféraient le disque (exécution parfaite, pas de public toussant ou applaudissant n’importe quand).
    Même si vous ne dites pas que l’enregistrement est simplement un outil promotionnel au service des musiciens en tournée, c’est un peu ce que j’ai déjà pu lire ou entendre à droite à gauche. À mes yeux, la musique enregistrée est vraiment essentielle et il est capital que l’on puisse continuer produire des albums dans de bonnes conditions.

  12. Laurent Fournier

    C’est vrai que mon raisonnement ne tient que si on croit à l’assertion
    « comme aucune institution centralisée ne peut le faire équitablement, et que le Don n’est que minoritaire ». Je vais un peu rapidement mais citez moi des articles d’anthropologues.économistes/philosophes qui démontre qu’une société peut s’organiser entièrement autour du don ? Sur la centralisation, il reste bien entendu des idéologies communistes, mais il me semble que la tendance naturelle du Net est de fuir toute centralisation.
    On peut bien entendu rester dans l’ère du troc numérique, mais je ne suis pas certains que la qualité et la quantité des créations culturelles en sortent grandies.
    Il faut comprendre que dans le Partage Marchand, on établit un véritable contrat (dans le temps) entre un vendeur et un acheteur (sans intermédiaire comme avant le Net) et donc un projet peut être financé dès sa première idée et toutes les révisions disponibles gratuitement à l’acheteur. Ce point est commun avec le crowdfunding, sauf que cela ne passe pas par le Don. Regardez la perte d’intérêt du format « enchères » sur ebay par rapport au format simple du « boncoin ». Les gens ne veulent pas passer du temps à se demander quel montant il pourrait donner, sachant que le voisin va peut être donner plus ou moins…ni acheter des goodies. ils veulent qu’on leur dise combien vaut ce bien et quel revenu l’auteur en tirera,…et ensuite PROFITER du bien culturel. Le Partage Marchand permet justement de ne pas se prendre la tête avec le prix…Internet calcul tout pour vous, et assure que c’est équitable.

  13. j-c

    @ Laurent Fournier:

    Je ne comprends pas pourquoi parlez vous à la fois de modèle centralisé et de don.
    Ça dépend aussi de ce qu’on veut dire par modèle centralisé. Par exemple, une monnaie traditionnelle, gérée par un pays et sa banque centrale, que vous utilisez tout les jours depuis des centaines d’années, est un modèle centralisé.
    (maintenant, si pour vous, centralisé ce n’est pas ça, alors, c’est qu’il existe plein d’autres solutions qui font tomber votre argument basé sur « comme le centralisé ne marche pas, que le don ne marche pas, il ne reste plus que … »)