La vie n’est pas en lecture seule

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Ciprian Ionescu - CC byUn fichier informatique est dit «  en lecture seule  » lorsque vous n’avez que le droit de l’exécuter et donc de le lire. Alors qu’un ficher disponible «  en lecture/écriture  » vous offre en plus la possibilité de le modifier.

Vous n’en ferez peut-être rien mais cette liberté supplémentaire change la donne puisque vous n’êtes plus condamné à être passif. Si un jour il vous prend l’envie d’ajouter du code à un logiciel libre ou de compléter un article de Wikipédia, vous pouvez le faire.

Par extrapolation, nous ne voulons pas d’une vie qui nous serait proposée par d’autres uniquement en lecture seule. Nous souhaitons pouvoir agir sur elle et y participer. «  L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire  », nous dit ainsi Benjamin Bayart.

Techniquement parlant, tout est en place pour que cela ait bien lieu et les nouvelles pratiques de la jeune génération témoignent tous les jours de cette aspiration[1].

Et pourtant, il semblerait que certains ne souhaitent pas nous voir profiter pleinement de ce progrès. Et d’ériger alors toujours plus de barrières et de péages artificiels.

Comme nous le signale son auteur en fin d’article, ce petit texte rédigé dans le train en 2006 «  a pour simple but de vous faire réflechir aux politiques des grands groupes des médias et/ou de votre gouvernement  ». De nombreux bits ont beau avoir coulé sous les ponts d’Internet depuis, il garde toute son acuité. Jusqu’à y voir parfois modestement une sorte de manifeste de la jeunesse du début de ce nouveau siècle.

La vie n’est pas en lecture seule

Life is not read-only

Olivier Cleynen – 2006 – Licence Creative Commons By
(Traduction Framalang  : Olivier, Pablo, Djidane et Siltaar)

Pour eux, c’est de la piraterie. Carrément du vol, voilà ce qu’est le téléchargement. Vous prenez quelque chose qui a un prix, sans le payer. Volez-vous à l’étalage ou cambriolez-vous des maisons  ? Pourquoi alors télécharger gratuitement  ?

Créer du contenu est très difficile  : rien que pour remasteriser, créer l’emballage et faire de la publicité pour la dernière compilation, il faut aligner trois millions de dollars. Comment les artistes peuvent-ils s’en sortir  ? Comment la vraie culture peut-elle encore survivre  ?

En fait. Peut-être que vous n’avez pas vraiment dépossédé quelqu’un de quelque chose. Peut-être ne vous êtes-vous pas vraiment servi dans un rayon. Peut-être que vous n’auriez de toute façon pas dépensé un centime pour ce truc «  protégé contre la copie  ».

Et tous ces trucs ont la peau dure. De la musique que vous n’avez pas le droit de copier, des films que vous n’avez pas le droit d’enregistrer, des fichiers protégés par des restrictions et des bibliothèques musicales qui disparaissent lorsque vous changez de baladeur… Certaines entreprises produisent même des téléphones et des ordinateurs sur lesquels elles restent maîtresses des programmes que vous pouvez installer.
Les choses empirent lorsque la loi est modifiée pour soutenir ces pratiques  : dans de nombreux pays il est devenu illégal de contourner ces restrictions.

Qu’attendez-vous de la vie  ? Quelles sont les choses qui comptent vraiment  ? Lorsque vous faites le bilan de votre année, qu’en retenez-vous  ? Les bons moments passés entre amis ou en famille  ? La découverte d’un album génial  ? Exprimer votre amour, ou votre révolte  ? Apprendre de nouvelles choses  ? Avoir une super idée  ? Un e-mail de la part de quelqu’un qui compte pour vous  ?

Et des choses passent au second plan  : un grand nombre de pixels, le tout dernier iPod… déjà dépassé, un abonnement «  premium  », une augmentation vite dépensée, profiter de sa toute nouvelle télévision HD… Tout le monde apprécie ces trucs, mais si on y réfléchit un peu, c’est pas si important.

Vous ne deviendrez certainement pas un astronaute exceptionnel. Vous ne traverserez pas l’Atlantique à la nage. Vous ne serez pas leader international. La vie c’est maintenant. Et c’est quand on partage ses idées, ses pensées et sentiments.

La vie n’est pas en lecture seule. Elle est faite de petites choses qui ne peuvent être vendues avec des verrous. Si l’on ne peut plus choisir, essayer, goûter, assister, penser, découvrir, faire découvrir, exprimer, partager, débattre, ça ne vaut pas grand chose. La vie devrait être accessible en lecture et en écriture.

Peut-être que le droit d’auteur n’est pas aussi légitime que certains voudraient nous faire croire. En fait, le discours de Martin Luther King «  I have a Dream ©  » est toujours protégé par le droit d’auteur. Vous ne pouvez pas chanter la chanson «  Joyeux anniversaire ©  » dans un film sans payer de droits. L’expression «  Liberté d’expression™  » est une marque déposée.

Le partage de fichiers est criminalisé. Certains sont jugés et emprisonnés pour avoir développé des technologies qui permettent d’échanger des fichiers (la loi réprime le fait «  d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public des copies non-autorisées d’œuvres ou objets protégés  »).
Mais qu’en est-il de ceux qui ont inventé et vendu les magnétoscopes, les photocopieurs, les lecteurs de cassette munis d’un bouton d’enregistrement  ? Et d’ailleurs, où sont les personnes qui ont inventé les baladeurs numériques  ?

Vous avez dit deux poids, deux mesures  ? Des milliers de personnes gagnent leur vie en poussant nos enfants à fumer ou en développant l’export de mines anti-personnelles. Et à coté de ça, le partage de fichier, ces mêmes fichiers que l’on peut voir sur YouTube, est puni par une amende compensatoire pouvant atteindre 150 000 dollars par fichier.

Et on dit que l’industrie de la musique est en danger.
Qui veut d’une industrie musicale  ? Et plus particulièrement telle qu’elle existe  ? Laissons l’industrie, aux boîtes de conserve et aux voitures.

La culture ne se meurt pas dès que vous téléchargez un fichier. La créativité n’est pas diminuée lorsque vous découvrez quelque chose. C’est toute la société qui en profite lorsqu’on peut apprendre et s’exprimer.

Participez. Appréciez. Découvrez. Exprimez. Partagez.

Donc. Une société équilibrée où les artistes peuvent gagner leur vie et où le partage de fichiers n’est pas criminalisé est possible. Voici quelques suggestions  :

Musique

  • Allez voir les artistes en concerts (sauf s’ils vendent leurs places 200€)
  • Que pensent et font vos artistes favoris  ? Renseignez-vous, vous découvrirez peut-être quelque chose
  • Achetez intelligemment votre musique
  • Si l’artiste est mort maintenant, gardez votre argent pour le dépenser autrement
  • Ne vous contentez pas d’écouter, chantez  !
  • Ne racheter pas la musique que vous possédez déjà en CD ou vinyl.

Participez

Films

  • Fréquentez les petites salles (qui se soucient surement plus de l’artiste que de l’industrie)
  • Fuyez les MTP (DRM) et les lecteurs «  labellisés  »
  • Partagez les bons films avec vos amis, ceux qui sont pour vous immanquables.

Logiciel

Tous les jours

LifesNotReadOnly.net a pour simple but de vous faire réflechir aux politiques des grands groupes des médias et/ou de votre gouvernement. Ça n’est qu’un petit manifeste rédigé dans le train en 2006. Olivier Cleynen en est l’auteur. Vous êtes libre de répliquer le contenu de ce site Web, même pour des applications commerciales, sous les termes de la license CC-by.

Notes

[1] Crédit photo  : Ciprian Ionescu (Creative Commons By)

13 Responses

  1. Néandre

    Tellement vrai, le texte est suffisamment clair et lisible pour le partager. Merci pour la traduction.

  2. Erin

    Il faudrait le faire lire dans les salles de classe.

  3. Skhaen

    Texte particulièrement sympathique à lire, et la référence à James Nachtwey rajoute une dose de plaisir.

    Je ne peux que être d’accord avec l’auteur sur sa philosophie.

  4. ANDRE Ani

    Très beau texte, tellement vrai tout cela.
    Tout le monde devrait le lire 😉

  5. aKa

    Lu sur le blog de Djidane :

    "Le texte qui suit est largement inspiré de Life is not read-only (La vie n’est pas en lecture seule, trad. Framalang), écrit par Olivier Cleynen (licence CC-BY). J’ai beaucoup apprécié ce texte, mais j’ai trouvé que certains aspects n’étaient pas assez développés. J’ai donc réécrit le texte un peu à ma sauce, et je vous propose ici ma version."

    http://djanse.free.fr/?p=72

  6. Aisyk

    Salut,

    Texte sympa, qui rejoint une conférence de Lawrence Lessig : http://aisyk.blogspot.com/2010/02/l
    Ou un de mes textes récent : http://aisyk.blogspot.com/2010/06/l

    Néanmoins, critiquer l’industrie de la musique et promouvoir un site qui en singe toutes les pires stratégies marketing avec un profond mépris pour les artistes ainsi que pour le "libre" est à mon sens totalement contradictoire. "ouvrez vos oreilles" avec Jamendo, c’est comme proposer de passer à chrome (car, justification : développé avec des outils libres) sans suggérer firefox ou linux derrière… proposer une démarche de découverte, oui, mais autant que faire se peut, qu’elle puisse réellement profiter aux artistes et non à une poignée d’entrepreneurs qui préfèrent partager 50% d’un gâteau et donner des miettes à tous les autres artistes. (les fameuses playlistes de jamendo sont construites sur ce principe, une playliste de plusieurs artistes, jamendo récupère 50%, et le reste pour tous les artistes, le partage n’est donc pas équitable et peu scrupuleux envers les artistes, même la sacem les rémunère mieux !)

  7. KBC

    J’admire le type qui a eu la lucidité d’écrire un truc pareil. Et je suis totalement d’accord avec lui. Faute de pouvoir faire mieux, ou d’un niveau égal, je vais me contenter de transmettre autant que je peux ce texte, qui est … Waw =P

  8. chmod 777

    La vie en (ch)mode 777 en somme 🙂
    Je suis pour. Le tout est d’être capable de sortir de la caverne de Platon où l’on a tout fait pour nous y enfermer.

  9. Grunt

    Ça reste encore un peu "lecture seule" comme propositions. J’aime bien changer le nom du fichier, moi!

    "Fréquentez les petites salles (qui se soucient surement plus de l’artiste que de l’industrie)"

    Ça ne change pas grand chose, si le film est distribué par les majors qui adhèrent à la MPAA (ce qui est le cas de 99,9% des films qui sortent en salle).

    J’aime bien l’idée générale, qui est d’inclure du militantisme dans la vie quotidienne, à condition de ne pas se laisser abuser par les apparences: acheter un produit marqué "bio" à Carrefour ne change pas grand chose à l’avenir de la planète, et aller voir un film de la MPAA dans un cinéma de quartier ne change pas grand chose à nos libertés dans le monde numérique.

  10. tungstene

    pour ce qui est des aspects de la propriété intellectuelle, il n’est pas évoqué celui qui concerne l’image, on peut commercialiser une tour Eiffel éteinte mais pas allumée, en ce qui concerne le Louvre c’est rapé aussi depuis qu’il y a les pyramides, je trouve ces aspects plus qu’abusifs, je dirais même que c’est franchement déconner

  11. Binary_Brain

    Ou alors vous vivez en Suisse, là où la loi n’a pas changé depuis des millénaires et où il faut environ 10 ans pour ajouter une ligne au niveau fédéral.
    Vous pourrez ainsi, télécharger de la musique, partager* de la musique, copier* n’importe quel CD, DVD, etc.

    *pour une utilisation personnelle ou pour des proches (amis, famille).

    Salutation et continuez la lutte !

  12. drai

    Salut.

    Ce texte me fait penser non sans rage à un autre monopl imposé à plus de vingt-deux pays ou plus – d’ailleurs j’ai jamais pris la peine d’en faire le compte, bien que sachant qu’ils sont nombreux pour que la majorité d’entre eux sont impuissants.
    Ce monopole est celui d’Aljazira qui s’est arrogé le droit de priver les habitants des pays arabes d’assister à des événements footballistiques (ceux de la FIFA et de la CAF). Vous voyez, on est sur la voix d’un néo-féodalisme naissant e au 21 ème siècle. J’ai de l’argent. je te prive de t’informer et qui sait de t’éduquer ou d e civiliser même… Et le problème c’est que personne parmi les responsables dans les pays arabes n’a osé lever le ton. Pourtant ce que fait la JSC relève de la dilapidation pure et simple. Comment la FIFA ou la CAF s’est permis de fermer les yeux à ce genre de monopole et sur des produits nationaux. les équipes nationales de foot sont financés par des deniers publics, donc des poches des marocains algerienss tunisiens egyptiens etc.
    Vous ou nous allons si on commence à nous priver de l’accès à l’inforamation. C’est sûrement vers le Moyen age… Peut-être ou sûrement pour les pays impuissants qui ne peuvent réagir ou qui se laissent faire face à de potenciels pilleurs…

    Merci.