À lire et à faire lire : Biens Communs – La Prospérité par le Partage

Classé dans : Communs culturels | 6

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Ed Yourdon - CC by-saEn avril dernier nous mettions en ligne un remarquable article de Silke Helfrich «  Les biens communs ou le nouvel espoir politique du XXIe siècle  ?  ». Cette fois-ci nous avons le plaisir de relayer l’annonce de la traduction française d’un rapport d’une cinquantaine de pages sur ces fameux Biens communs, où l’on retrouve Silke Helfrich parmi les nombreux auteurs de cet ouvrage collectif. Il a pour titre «  Biens Communs – La Prospérité par le Partage  » et il est naturellement placé sous licence libre Creative Commons By-Sa.

Nous avons déjà eu l’occasion de dire que nous pensions que «  les Biens communs seront à n’en pas douter non seulement l’un des mots clés de ces temps nouveaux qui s’offrent à nous, mais aussi, si nous le voulons bien, l’un des éléments moteurs et fédérateurs des politiques progressistes de demain  ». Ce rapport est une pièce important à verser au dossier, tellement importante que d’aucuns pourraient presque y voir une sorte de manifeste pour les générations à venir[1].

Il n’est pas toujours aisé de définir avec précision ce que sont les Biens communs, d’ailleurs ceci fait l’objet d’un chapitre dédié en guise de préambule. Mais à chaque fois que l’on tente d’en dresser une liste, les logiciels en font partie, à la condition d’être libres. On ne s’étonnera donc pas qu’ils soient souvent cités ici.

Il est également dit que «  les biens communs ont besoin d’hommes et de femmes qui soient prêts à les défendre et qui s’en sentent responsables  ». Aussi modeste soit notre contribution, nous en sommes ;-)

Vous trouverez le rapport en version PDF en suivant ce lien. Et pour vous donner plus encore envie de le lire (ce qui implique le dur sacrifice de devoir laisser au repos son compte Twitter pendant une petite heure), nous en avons reproduit ci-dessous la quatrième de couverture, l’introduction et la conclusion.

Remarque  : Le document est agrémenté de citations comme, par exemple, celle-ci de Benni Bärmann que je soumets à votre sagacité  : «  Les biens communs plairont aux conservateurs par leur dimension de préservation et de communauté, aux libéraux par la mise à distance de l’État et l’absence d’incompatibilité avec le marché, aux anarchistes par la mise en avant de l’auto-organisation, et aux socialistes et communistes par l’idée de propriété commune sous contrôle collectif.  »

Biens Communs – La Prospérité par le Partage (extraits)

URL d’origine du document (dans son intégralité)

Un rapport de Silke Helfrich, Rainer Kuhlen, Wolfgang Sachs, Christian Siefkes
Publié en décembre 2009 par la Fondation Heinrich Böll
Traduit par Jeremy Marham et Olivier Petitjean (Ritimo.org)
Sous licence Creative Commons By-Sa

Quatrième de couverture

Ce sont de grands inconnus, et pourtant nous vivons tous grâce à eux. Ils sont au fondement même de notre vie collective. Ce sont les biens communs. L’air, l’eau, les savoirs, les logiciels et les espaces sociaux. Et bien d’autres choses qui rendent possible la vie quotidienne et le bon fonctionnement de l’économie.

De nombreux biens communs sont cependant menacés – ils sont ôtés à la collectivité, commercialisés, détruits de manière irréversible. Au lieu de cela, ils devraient être cultivés et développés.

Nous avons besoin d’une nouvelle conscience de l’importance de ces «  choses qui nous sont communes  ». Sans eux, il n’y a en effet pas de bien-être et pas de prospérité possibles. Les biens communs ont besoin d’hommes et de femmes qui soient prêts à les défendre et qui s’en sentent responsables.

De nombreux problèmes de notre époque pourraient être résolus si nous dirigions l’énergie et la créativité dont nous disposons vers ce qui fonde notre richesse, ce qui fonctionne, et ce qui aide les hommes et les femmes à développer leur potentiel.

Ce rapport vise précisément à mettre ces choses, ainsi que les principes d’une « production par les pairs basée sur les biens communs », au centre de l’attention publique.

Objet de ce rapport

Ce que l’on appelait traditionnellement res communes – les choses qui nous appartiennent en commun – a été sinon oublié, du moins supplanté par les res privatae organisées par le marché, ainsi que par les res publicae mises à disposition par l’État. Elles sont dès lors traitées comme des res nullius, c’est-à-dire des «  choses de personne  ».

L’air et l’eau sont de parfaits exemples de biens communs qui, malgré leur importance, partagent bien souvent le triste sort des «  choses de personne  », de ces choses dont personne ne s’occupe. Les conséquences catastrophiques pour nous tous d’un tel état de fait se manifestent aujourd’hui de toute part.

Les «  biens communs  » – res communes, ou encore «  commons  » en anglais – ne sont pas des biens «  sans maître  ». Ils ne peuvent pas et ne doivent pas être utilisés à n’importe quelle fin, et encore moins détruits. Chacun de nous peut légitimement faire état de droits sur eux. Les biens communs sont les choses qui nous nourrissent, qui nous permettent de communiquer ainsi que de nous déplacer, qui nous inspirent et qui nous attachent à certains lieux– et dont, de manière tout aussi significative, nous avons besoin pour déverser nos gaz d’échappement et nos eaux usées.

La conception classique de la propriété, comprise en premier lieu comme droit de l’individu, acquiert une nouvelle dimension si l’on prend conscience de l’existence d’un droit collectif sur les biens communs.

  • Quelles sont les conséquences d’une redéfinition des terres comme biens communs  ?
  • Qu’advient-il de l’espace public lorsqu’il n’est plus possible de le privatiser à volonté par la publicité, les décibels, les voitures ou les parkings  ?
  • À quoi ressemblerait une société où l’utilisation libre des biens relatifs à laconnaissance et la culture serait devenue la règle, et leur utilisation commerciale l’exception  ?
  • Quelles sont les règles et les institutions qui encouragent un rapport riche de sens aux biens communs  ?

Ces questions ne sont débattues ni sur le plan théorique ni sur le plan de leurs conséquences politiques, sociales ou économiques.

Nous avons voulu dans ce rapport étudier le potentiel des biens communs lorsqu’ils sont utilisés de manière appropriée et durable. Nous y examinons les facteurs qui menacent leur existence. Nous y montrons quelles sont les règles qui ont fait leurs preuves dans certaines situations, et quelles sont celles qui doivent être entièrement repensées. Dans les pages qui suivent, nous partageons avec vous nos réflexions et nos expériences.

Les biens communs ne sont pas tous similaires, pas plus que les habillages institutionnels nécessaires pour transformer des ressources existantes en biens communs sécurisés. La remise du prix Nobel d’économie 2009 à la théoricienne des biens communs Elinor Ostrom a attiré l’attention du monde entier sur les questions discutées ici. L’approche théorique du juriste Yochai Benkler, avec le motif d’une «  production par les pairs basée sur les communs  » (commons-based peer production) qu’il met en avant, est elle aussi stimulante.

Il faut renforcer les biens communs, au-delà et de manière complémentaire au marché et à l’État. Chacun est appelé à assumer ses responsabilités en tant que copossesseur des «  choses qui nous sont communes  », afin d’en tirer davantage de liberté et de communauté. Les biens communs ont besoin d’hommes et de femmes, non seulement de marchés, d’aides gouvernementales ou de régulation étatique. La richesse qui se dispense à travers les biens communs doit être partagée de manière nouvelle et équitable dans toutes les sphères de notre vie.

Pour conclure  : une vision

Nous avons besoin de changement, et nous connaissons la direction à emprunter. De nombreuses personnes sont déjà en chemin.

Ce rapport démontre que l’idée des biens communs peut faire nconverger différents mouvements. Voilà leur point fort.

Elle permet de rassembler en une stratégie commune la diversité des expériences pratiques et des projets, sans pour autant renoncer à la diversité des perspectives et des idéologies.

  1. Nous pouvons directement vouer notre énergie, nos institutions et nos talents aux biens communs et à ce qui constitue leur essence : la diversité de la vie.
  2. Nous pouvons nous demander systématiquement, à propos de tout projet, de toute idée ou de toute activité économique, s’il apporte plus aux communautés, à la société et à l’environnement qu’il ne leur retire.
  3. Nous pouvons reconnaître et soutenir matériellement en priorité les activités qui génèrent, entretiennent ou multiplient des biens à la libre disposition de tous.
  4. Nous pouvons faire en sorte que la participation collective et équitable aux dons de notre Terre ainsi qu’aux réalisations collectives du passé et du présent soit institutionnalisée et devienne la norme.
  5. Nous pouvons recourir à des processus décisionnels, des moyens de communication et des technologies transparents, participatifs et libres, ainsi que les améliorer.
  6. Nous pouvons inverser la tendance actuelle : en nous fixant des limites et en utilisant de manière durable les ressources naturelles, mais en étant prodigues en matière de circulation des idées. A insi nous bénéficierons au mieux des deux.
  7. Nous pouvons trouver des moyens intelligents de promouvoir la progression de tous, au lieu de nous concentrer exclusivement sur l’avancement individuel.

Lire le rapport «  Biens Communs – La Prospérité par le Partage  » dans son intégralité …

Notes

[1] Crédit photo  : Ed Yourdon (Creative Commons By-Sa)

6 Responses

  1. Eric

    Si le bien commun désigne une œuvre de l’esprit, alors oui, je suis pour son partage à 100% car personne ne peut la posséder plus qu’un autre. J’irais même beaucoup plus loin : dès qu’une œuvre de l’esprit est représenté, nul de devrait pouvoir s’en déclarer propriétaire.

    Par contre si le bien commun désigne un objet matériel, alors là, désolé, mais il ne peut pas exister de tel bien commun, il faudrait plutôt parler de bien « confisqué par un pouvoir politique » (parc, transport en commun, eau, éducation, culture) ou à l’abandon.

    Je ne suis pas très sur que vouloir mélanger les biens matériels et immatériels peut faire avancer la cause de la « libération » des seconds…

  2. Bart

    Les biens communs matériels, comme l’air ou l’eau sont un peu la propriété de tous; ainsi personne ne devrait pouvoir se les approprier et en user au désavantage des autres, comme c’est souvent le cas (même un pouvoir politique) : il faut donc au contraire les défendre, il en va de notre intérêt à tous !

  3. K.

    @Eric

    Tout est information

    L’univers est information, et abonde d’espace, d’énergie de matière

    Tant qu’on ne pullule pas, et qu’on ne fait pas un babyboom : tout le monde a le droit de vivre et de partager

    et la notion de droit d’auteur disparait, elle ne peut d’ailleur exister que dans un système totalitaire

    Je compute toutes les possibilités de 0 et 1 : et je met mon droit d’auteur dessus : tout ce qui existe m’appartient

    C’est de la connerie

  4. Ginko

    Eric,

    Les reflexions sur la propriété (ou son absence) ont occupé, occupent et occuperont des centaines de milliers de personnes pendant des dizaines d’années… je ne vois pas en quoi proposer une vision binaire issue d’une reflexion de 2 sec fait avancer quoique ce soit…

    K.,

    Ça c’est la théorie.

    La pratique c’est la condition humaine qui implique l’existence dans un véhicule organique à fonctionnement chimique.
    Montre-moi que tu peux te nourrir directement de photons, d’énergie potentielle ou de potentiel électrique ou que tu peux te mouvoir à travers un câble Ethernet et on en reparle 😉

    Donc la notion de droit d’auteur a sa place (j’ai pas dit qu’elle était satisfaisante aujourd’hui).

    Quand à créer un fichier binaire aléatoire tu peux tout à fait le faire et en revendiquer le droit d’auteur (s’il n’existe pas déjà). De l’art numérique je suppose.
    Quand au fait que tu puisses revendiquer la paternité de toutes les oeuvres futures de cette manière, j’espère que tu as un bon super calculateur avec un bon cluster de disque durs :p

  5. Eric

    @Ginko

    > je ne vois pas en quoi proposer une vision binaire issue d’une reflexion de 2 sec fait avancer quoique ce soit…

    Et bien voilà :

    Le droit de propriété sur les biens physiques sont légalement et moralement parfaitement acceptés dans nos sociétés, et mêmes dans la plupart des sociétés modernes, personne aujourd’hui ne peut sérieusement le remettre en cause.

    Par contre, le droit de propriété sur les biens non rivaux n’est quasiment accepté par personne : il n’y a qu’a voir les téléchargement illégaux : ce n’est légalement pas beaucoup punis et moralement, personne ne va traiter quelqu’un de voleur parce qu’il vient de télécharger illégalement une chanson sur emule …

    Donc, dans la tête des gens, et dans la mienne, même si nous n’avons pas consacré, comme toi, notre vie entière à l’étude du droit de propriété, il semble y avoir une différence essentielle entre la propriété des biens physiques et celle des biens non physiques.

    Je soulignais donc juste ce point dans mon commentaire : le rapport oublie cette dualité et je trouvais cela un peu dommage.

  6. Ginko

    Eric,

    >Donc, dans la tête des gens, et dans la mienne, même si nous n’avons pas consacré, comme toi, notre vie entière à l’étude du droit de propriété, il semble y avoir une différence essentielle entre la propriété des biens physiques et celle des biens non physiques.

    Oh, je n’ai pas consacré ma vie entière à cela (et de toute façon, elle est encore bien courte). J’ai juste lu quelques articles sur le framablog et réfléchi quelques instants sur le sujet.

    C’est bien de voir la différence entre objet matériel et immatériel. C’est un bon début et d’ailleurs beaucoup de gens luttent pour qu’on l’ignore.

    Mais il me semble que c’est loin d’être suffisant dans le cadre d’une réflexion sur les communs.
    Il y a des biens consommables, des renouvelables, des non-rivaux, des « nécessairement communs » (l’atmosphère par exemple, je suppose), des infrastructures (routes, réseaux hydrauliques, électriques, téléphoniques)… (je ne suis pas spécialiste, je ne maitrise ni les termes consacrés ni les classifications qui existent peut-être).

    Peut-on réellement considérer que le réseau routier peut-être entièrement privatisé? Si oui, comment gère-t-on l’accès à la propriété? A la mode du far-west? Premier arrivé, premier servi?
    Est-ce juste d’obliger quelqu’un qui passe des années à produire une œuvre d’esprit à la partager immédiatement et sans condition? Et par là à réserver la production à une élite qui peut se le permettre?
    Est-ce qu’un logiciel est uniquement une œuvre d’esprit? Si oui, qu’est-ce qu’un outil automatisé? Le hardware et le software sont-ils totalement indépendants?
    Est-ce qu’une bibliothèque est plus proche de wikipedia ou d’un bus? Son accès est-il rival ou non-rival?

    Au final, quand on parle de bien communs, cette dualité matériel/immatériel est-elle si pertinente et importante?