Le code deviendra-t-il le latin du XXIe siècle ?

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I Write CodeOutre sa dimension historique, culturelle et civilisationnelle, apprendre le latin c’est aussi mieux connaître les bases de notre langue française pour mieux la maîtriser.

Et si, pour mieux comprendre et avoir la capacité de créer (et non subir), la programmation informatique prenait peu ou prou la même place que le latin dans la nouvelle ère qui s’annonce  ?

Même si c’est avec un léger train de retard, c’est la question que l’on se pose actuellement en France, mais aussi comme ci-dessous dans une Grande-Bretagne passablement secouée par le récent sermon de Monsieur Google.

«  Bien informés, les hommes sont des citoyens  ; mal informés ils deviennent des sujets.  »
Alfred Sauvy

La programmation – le nouveau latin

Coding – the new Latin

Rory Cellan-Jones – 28 novembre 2011 – BBC
(Traduction Framalang  : Goofy, Pandark, Penguin, e-Jim et Marting)

La campagne de promotion de l’apprentissage de l’informatique à l’école — en particulier la programmation — rassemble ses forces.

Aujourd’hui, Google, Microsoft et les autres grands noms du domaine technologique vont prêter leur soutien au dossier soumis au gouvernement plus tôt cette année dans un rapport appelé Next Gen. Il soutient notamment que le Royaume-Uni pourrait être un centre mondial pour l’industrie des jeux vidéos et des effets spéciaux — mais seulement si le système éducatif s’y emploie.

Les statistiques sur le nombre d’étudiants allant à l’université pour étudier l’informatique donnent à réfléchir. En 2003, environ 16 500 étudiants postulaient à l’UCAS (NdT  : Universities and Colleges Admissions Service, service gérant les admissions à l’Université au Royaum-Uni) pour des places en cours d’informatique.

En 2007, ce nombre était tombé à 10 600, bien qu’il soit un peu remonté depuis, 13 600 l’année dernière, à cause de la hausse globale des demandes à l’université. Le pourcentage d’étudiants cherchant à étudier le sujet est donc descendu de 5 % à 3 %. Plus encore, la réputation de l’informatique comme domaine réservé aux hommes geeks a été renforcée, avec un pourcentage de candidats masculins en hausse de 84 % à 87 %.

Mais le problème, d’après les promoteurs du changement, commence dès l’école avec les ICT (NdT  : Technologies de l’Information et de la Communication, TIC ou TICE chez nous), une matière vu par ses détracteurs comme l’enseignement de simples compétences techniques (NdT  : Savoir mettre en gras dans un traitement de texte par exemple) plutôt que de la réelle compréhension de l’informatique.

Et il semble bien que les enfants reçoivent le même message car ils sont de moins en moins à étudier cette matière. La réponse, d’après les entreprises et associations qui appellent au changement, est de mettre des cours d’informatique appropriés au programme, sous forme d’apprentissage à la programmation.

Et il semblerait bien qu’ils aient trouvé ce qui pourrait être un bon slogan pour leur campagne. «  Coder, c’est le nouveau latin  », dit Alex Hope, co-auteur du rapport de Next Gen qui a donné le signal de départ à tout cela. «  Nous devons donner aux enfants une compréhension correcte des ordinateurs si nous voulons qu’ils puissent comprendre et s’adapter à toutes sortes de futurs métiers.  ».

M. Hope croit fermement que l’association des nouvelles technologies et de l’industrie culturelle est le meilleur espoir de la Grande Bretagne — et il est bien placé pour le savoir.

Son entreprise d’effets spéciaux Double Negative est une belle réussite, avec des apparitions aux génériques de Films comme Harry Potter, Batman ou Inception, pour lequel elle a gagné un Oscar. Il emploie désormais plus d’un millier de personnes depuis ses débuts éblouissants en 1998.

Alex Hope dit que sa société a besoin d’un riche mélange de talents  : «  nous cherchons des génies universels — des gens avec des connaissances en informatique, mathématiques, physique, ou arts plastiques qui peuvent toutes s’épanouir et se développer  ». Il explique comment le travail pour donner une apparence réelle à la Tamise en image de synthèse dans Harry Potter implique des mathématiques et de la physique complexe.

Mais il trouve difficile de recruter des personnes avec une expérience en sciences dites dures. «  Nous ne produisons tout simplement pas assez de diplomés avec des compétences en informatique ou en mathématiques  ».

Comme bien d’autres tirant la sonnette d’alarme pour une éducation différente, Alex Hope en revient à 1980 lorsqu’il apprenait à programmer en utilisant un BBC Micro. Aujourd’hui, il va être rejoint par le principal ingénieur de Google au Royaume-Uni et le dirigeant de Microsoft éducation au Royaume-Uni pour proposer une nouvelle approche. Ils disent rien de moins que c’est le potentiel de croissance et d’emplois qui est en jeu pour une partie vitale de l’économie.

«  Le gouvernement cherche des opportunités de croissance  » dit Alex Hope. «  Pour cela, ils y a nécessité à former les programmeurs dont les entreprises créatives et de hautes technologies ont et auront besoin pour monter leurs affaires  ».

Et il semble que le gouvernement soit réceptif à ce message. Il y a deux semaines, j’ai posé des questions au premier ministre concernant le problème de l’éducation à l’informatique. David Cameron a admis que «  nous ne faisons pas assez pour former la prochaine génération de programmeurs  », et déclaré que des actions seraient menées à ce sujet.

Nous découvrirons bientôt de quels types d’actions il s’agit, lorsque le gouvernement publiera ses réponses au rapport de Next Gen écrit par Alex Hope et Ian Livingstone. On attend une réponse largement positive, bien qu’un engagement définitif de mettre tout de suite l’informatique au programme soit peu probable.

Mais ce qui pourrait être plus important, ce serait de changer l’image de cette matière. Et alors que «  coder est le nouveau latin  » est peut-être un bon message à envoyer aux parents et aux politiciens, quelque chose de plus sexy sera nécessaire pour convaincre les écoliers que l’informatique est quelque chose de cool.

12 Responses

  1. Maïeul

    En tant que codeur et latiniste, je confirme :
    – que la latin c’est tout aussi cool que le codage
    – qu’il y souvent des démarches similaires (analyse syntaxique, création d’une arborescences des problèmes à résoudre etc)

  2. Fred

    Mouais, il y a déjà deux choses qui laissent à désirer. La première, classer l’informatique en sciences dures … pourquoi pas quand on parle de théorie de l’information, théorie des langages ou autres fondements théoriques de l’informatique (très connexes aux maths d’ailleurs). Par contre, ce n’est pas de ça qu’il est question dans les projets pour les lycées.

    D’autre part, laisser MS, Google et d’autres poids lourds s’immiscer dans un enseignement qui aurait au contraire le potentiel d’ouvrir un peu l’esprit des gens plutôt que de les enfermer dans une vision totalement « corporate » de l’informatique, ça me paraît être la dernière des conneries à faire, surtout pour mettre en place des bases censées ouvrir l’esprit des élèves.

  3. Ginko

    @Alfred Sauvy:

    Et lorsqu’une démocratie possède plus de 85% de sujets, est-elle encore une démocratie ?

    ______________________

    J’en veux beaucoup aux décideurs français qui m’ont laissé apprendre le latin (la programmation) tout seul… s’il n’y avait qu’une seule chose à m’apprendre, ça aurait été ça !
    Par contre, comme en France, il faut que les anglais captent que l’enjeu ne se situe pas tant à l’université, qu’avant ! (Et je suis sur qu’en faisant toucher à __tout le monde__ les sciences informatiques, le taux de féminisation (ça se dit ça ???) serait plus élevé (elles sauraient que cette matière leur est tout à fait abordable).)

  4. K++

    lien dailymoche :
    http://www.dailymotion.com/video/x4

    Capitalisme et schizophrénie by DocMango

    Extraits audios d’après « délire et désir », France Culture.

    Préface de Michel Foucault à la traduction américaine du livre de Gilles
    Deleuze et Felix Guattari,L’Anti-Oedipe : capitalisme et schizophrénie.

    http://1libertaire.free.fr/PrefaceF

     » D’où les trois adversaires auxquels L’Anti-Œdipe se trouve confronté.
    Trois adversaires qui n’ont pas la même force, qui représentent des degrés
    divers de menace, et que ce livre combat par des moyens différents.

    1) Les ascètes politiques, les militants moroses, les terroristes de la
    théorie, ceux qui voudraient préserver l’ordre pur de la politique et du
    discours politique. Les bureaucrates de la révolution et les
    fonctionnaires de la Vérité.

    2) Les pitoyables techniciens du désir, les psychanalystes et les
    sémiologues qui enregistrent chaque signe et chaque symptôme, et qui
    voudraient réduire l’organisation multiple du désir à la loi binaire de la
    structure et du manque.

    3) Enfin, l’ennemi majeur, l’adversaire stratégique (alors que
    l’opposition de L’Anti-Œdipe à ses autres ennemis constitue plutôt un
    engagement tactique): le fascisme. Et non seulement le fascisme historique
    de Hitler et de Mussolini qui a su si bien mobiliser et utiliser le désir
    des masses, mais aussi le fascisme qui est en nous tous, qui hante nos
    esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui nous fait aimer le
    pouvoir, désirer cette chose même qui nous domine et nous exploite. »

    more

  5. Incontinentia Buttocks

    Le latin, c’est un truc pas trop utile. Je peux comprendre que ça plaise à certaines personnes comme hobby, mais ça n’apporte pas grand chose. C’est assez différent de l’informatique, et de la programmation. La comparaison me semble donc assez mauvaise.

  6. Maïeul

    @Incontinentia Buttocks

    sur la notion d’utilité, tout se discute. Aujourd’hui le latin n’est pas socialement jugé utile. En revanche, à une époque, qui parlait latin dominait la société. C’est ce que dit cette comparaison : on compare l’informatique aujourd’hui avec le latin hier.

  7. morandim

    Bonjour,

    Le latin n’était guère sexy autrefois : versions et thèmes ! Aujourd’hui les programmes incluent une partie civilisation. Étudier cette langue « mourante » développe des compétences qui vont bien au delà de la maitrise de la langue.

    Il est probable que les jeunes qui seront les mieux préparés auront étudié et le latin et la programmation : les deux développent rigueur et précision…

    Amicalement

  8. Taneleo Vert Pomme

    Le problème de l’informatique quand on la transpose sur d’autres domaines est qu’elle donne un regard biaisé sur le monde. Déjà aujourd’hui notre monde est trop marqué du prisme informatique.

    La double erreur consiste alors à laisser ce prisme dominer et à l’enseigner dans les écoles. Si l’informatique devient du « latin » alors nous aurons réussi à créer un monde vraiment merdique.

    Mais ça ne m’étonnerait pas vraiment que nous en arrivions là. La plupart des « activistes » (au sens large du terme) informatique et Internet n’ont aujourd’hui pas conscience de ce qu’ils pensent, et entraînent toute une génération vers des utopies qui se révéleront être fascisme, inquisition, conformisme et régence.

    Il faut redescendre sur Terre, chers adulescents.

  9. DaveNull

    Inventons un langage de programation basé sur le latin !

  10. JosephK

    Ça n’a rien à voir avec l’article mais à force de voir dans le flux RSS des commentaires sur le latin il y a une chanson de Thiéfaine qui m’est venue en tête.
    Celle qui commence avec une intro en latin bidon et où le refrain c’est « Liberté » répété trois fois : http://www.youtube.com/watch?v=37EB… (désolé pour la vidéo privatrice)

    Ce matin je sais que Dieu est un Firefox à poil dur… 😀

  11. PhCibois

    Pratiquant la programmation et le latin, j’ai mis en rapport les deux de la façon suivante : pour aider à comprendre un texte latin, on pratique la traduction interlinéaire où une ligne de latin est suivie de sa traduction en français. Le problème est que pour y arriver jusqu’à présent, il fallait casser l’ordre du latin et faire ce qu’on appelait du mot à mot. En pratiquant l’indentation bien connue en programmation, cela n’est plus nécessaire.
    Je prends l’exemple de l’avant dernier vers de la première bucolique de Virgile :
    et iam
    _____summa
    procul
    _____villarum culmina fumant
    et déjà au loin les plus hauts des fermes fument
    Il faut lire de haut en bas puis de gauche à droite, comme pour un programme la structure logique (de la traduction évidemment). Si on prend le latin en séquence, on retrouve l’ordre d’origine. On trouvera de nombreux exemples sur mon blog consacré à la question du latin.

  12. Pr Stéphane Feye

    Allez à Schola Nova, et vous verrez que le latin se parle de manière européenne, comme il l’a toujours fait. Ce sont ceux qui nous l’ont enseigné de manière morte qui ont fait croire qu’il est mort, mais il y a une quantité de gens qui communiquent en cette langue vivante.