Diaspora, le projet qui se voulut aussi gros que Facebook, pas encore mort car libre

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Il y a une semaine on nous a annoncé que Diaspora serait désormais livré à la communauté.

Pour rappel Diaspora est le projet d’alternative libre à Facebook mené par des étudiants newyorkais et qui avaient créé le buzz et amassé beaucoup d’argent sur Kickstarter au moment du lancement en 2010.

Il y avait énormément d’attentes autour de ce projet car réussir à se sortir des griffes de Facebook ça n’est pas rien  !

Plusieurs versions de l’application ont bien vu le jour, plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs se sont inscrits, mais c’est globalement la déception qui a prévalu. Ils n’ont pas réussi (et englouti l’argent), alors changement de gouvernance, plus de transparence, on donne le tout à la communauté (et qu’elle se débrouille si elle pense que le projet vaut la peine d’être poursuivi). Cela ressemble plus à un renoncement plein d’amertume qu’à un cadeau bienveillant, mais les optimistes répliqueront que c’est la force du libre que de pouvoir continuer l’aventure d’un projet même lorsqu’il se trouve bloqué.

Le billet ci-dessous tente de tirer les leçons de cette histoire et de cet échec.

Échec temporaire ou définitif  ? Cela va dépendre justement de la communauté.

Diaspora

Diaspora  : un nouveau départ ou une mise en garde du financement participatif  ?

Diaspora : A New Beginning or a Crowdfunding Cautionary Tale ?

By Paul M. Davis – 29 août 2012 – Shareable.net
(Traduction  : boubou, Ward, imada, Gatitac, moedium, xaccrocheur, Penguin, aKa, sheldon, martinien)

Il y a deux ans, quatre étudiants de l’université de New York surfèrent sur le sentiment anti-Facebook et ont récolté via le site Kickstarter plus de 200 000 $ pour créer Diaspora, un réseau social open source.

Les fondateurs ont annoncé lundi qu’ils livraient leur projet à la communauté open source, ce qui va peut-être relancer le développement d’une plate-forme de réseau social au-delà de ce qu’ils ont réussi à créer jusqu’à maintenant. Dans le cas contraire, nous aurions à faire avec un échec patent d’un projet issu du financement participatif (NdT Crowdfunding).

D’une certaine manière, l’histoire de Diaspora est le reflet de la jeunesse de ses créateurs  : optimisme sans limite et promesses sans fins ont laissé place au scepticisme, à la déception, aux réactions négatives et même à des tragédies personnelles. Après que la campagne KickStarter a atteint 20 fois son objectif initial, les développeurs furent mis sous une pression extrême de produire un résultat. Les sorties furent repoussées, les messages et la communication devinrent confus. En moins d’un an, le sentiment négatif qui était né durant la campagne de levée de fonds semblait se retourner contre le projet lui-même.

Au milieu de tout le tapage qui a entouré le lancement et le succès de la campagne de Diaspora, un sentiment de scepticisme a commencé à apparaître. Au plus fort de la campagne, des voix importantes comme celle de Clay Shirky ont amplifié les doutes sur la possibilité que Diaspora puisse atteindre son ambitieux objectif d’une livraison de la version alpha à la fin de l’été. La sortie privée de la version alpha eut lieu en novembre 2010 et a reçu un accueil modérément optimiste parmi les donateurs et la presse spécialisée, mais ce délai et les fonctionnalités limitées ont renforcé les arguments de ceux qui doutaient. A partir de mai 2011, des blogs techniques de haut niveau comme TechCrunch commençaient à critiquer le projet comme des vieilles nouvelles et à le qualifier de vaporware.

Confirmant les soupçons des sceptiques, les fondateurs annoncèrent en juillet 2011 qu’après avoir levé 20 fois leur objectif, Diaspora était déficitaire de 238 $ (PDF). En octobre 2011, les fondateurs essayèrent de faire taire les mauvaises rumeurs avec un post sur leur blog intitulé Diaspora  : ni vaporware, ni prince Nigérian”. Malheureusement, s’ensuivit rapidement le suicide de Ilya Zhitomirskiy, co-fondateur du projet. En avril dernier, l’équipe Diaspora déclara que «  les choses commencent à changer  » en partageant des copies d’écrans d’une campagne de hashtag ayant une ressemblance frappante avec le site makr.io, un autre projet récemment annoncé par les mêmes fondateurs de Diaspora.

Puisque le but de Diaspora a toujours été de devenir un véritable projet open source, il est trop tôt pour voir l’annonce de lundi dernier comme un échec. Mais ce transfert open source ressemble plus un renoncement qu’à un cadeau à la communauté.

Alors, à quoi ressemblera le futur de Diaspora  ? Dans une interview à BetaBeat, le co-fondateur Max Salzberg a déclaré que «  beaucoup de projets open source exploitent la communauté  », citant Mozilla et WordPress en exemple. Même s’il est vrai que Mozilla et WordPress s’appuient sur une large communauté de contributeurs, la comparaison de Salzberg ne tient pas car les deux projets cités sont également soutenus par de gros apports financiers, qu’il s’agisse d’argent provenant du Kickbacks de Google (Mozilla) ou des services premium pour les entreprises (WordPress).

Pour envisager ce que pourrait être le futur de Diaspora, il vaut la peine de prendre en considération un projet récent inspiré par un mécontentement similaire des utilisateurs. La plateforme qui suscite actuellement la colère des geeks est Twitter, qui ne cesse de serrer la vis sur l’écosystème du développement en limitant l’accès aux API et en mettant en place une stratégie commerciale qui le fera ressembler beaucoup plus à Facebook qu’à un simple flux de messages de 140 caractères. Ceci a poussé récemment au financement réussi de app.net, un service alternatif lancé d’une manière très différente. Au lieu de construire une plateforme ouverte et décentralisée, ce que les étudiants derrière Diaspora visaient, app.net développe une plateforme sociale centralisée financée par les abonnements des utilisateurs plutôt que par la publicité. Le projet a récemment atteint son objectif de campagne de 500 000 $ par des inscriptions de membres à 50 $, en grande partie grâce à l’approbation tacite des blogueurs influents et des développeurs qui ont été parmi les détracteurs les plus virulents de Twitter ces dernières semaines.

Pour qui est fait Diaspora  ?

Malgré les différences fondamentales entre Diaspora et app.net, ils partagent le même problème de base  : atteindre l’effet de réseau. Le succès d’un réseau social dépend d’un certain nombre de facteurs  : des utilisateurs de la première heure qui sont aussi de vrais partisans, du buzz médiatique, une nouvelle solution à un problème existant, ou, à défaut d’autre chose, de la nouveauté.

Qu’en est-il pour Diaspora  ? Cela fait longtemps que le buzz s’est estompé. Et, comme Google l’a découvert avec Plus, ce n’est pas parce que les gens sont «  agacés par Facebook  » qu’il vont avoir le temps ou l’envie de changer de réseau social, surtout si leur amis ne le font pas.

Lancer un nouveau service social en direction de la geekratie peut sembler pertinent au démarrage à fortiori lorsque le projet est open source. Mais pour que la sauce prenne, il faut aller au-delà des geeks et être aussi rapidement adopté par la masse. Diaspora ne s’adresse-t-il pas avant tout à ceux qui ne sont pas intimidés par les commits Git ou monter une instance Heroku, à ceux, pas assez nombreux, qui ont bien conscience qu’ils vont offrir leurs données personnelles à une société contre un service Web gratuit  ? Et dans ce cas, quelles différences fondamentales avec des sites déjà existants comme Slashdot, Github ou Stack Overflow  ? De plus, et bien que les caractéristiques sociales de ces services soient souvent limitées, il existe déjà de nombreuses plates-formes de réseaux sociaux open source sur le marché  : Drupal, Elgg, Buddypress, Pligg, Mahara, pour en nommer quelques-unes.

Le potentiel de la fédération

La dernière carte à jouer pour Diaspora peut être son architecture fédérée. Dans une époque de services centralisés et financés par la publicité, tels Facebook,Twitter et Google, il y a un attrait certain pour une plateforme sociale fonctionnant sur une architecture décentralisée.

Une telle approche devient plus impérieuse si l’on considère la facilité avec laquelle le gouvernement américain a fermé des sites prétendument coupables d’infraction ces dernières années et comment il peut accéder aux données personnelles d’activistes sur les médias sociaux, comme Malcom Harris de Shareable s’en est aperçu au cours d’un long procès concernant son activité sur Twitter. En théorie, les nœuds d’une plate-forme sociale, qui forment un réseau p2p, pourraient être tissés dans un garage ou un placard et être déconnectés facilement, avec un faible impact sur le réseau.

Mais alors on en revient au problème des effets du réseau  : la valeur de Twitter pour le mouvement Occupy ne relevait pas simplement de la communication et de l’organisation mais aussi de la diffusion. Les personnes sur le terrain étaient capables de diffuser des scènes de violence policière en temps réel, non seulement aux autres membres du mouvement sur un quelconque réseau social partagé, mais également au monde entier.

Des réseaux sociaux fédérés existent déjà, tel StatusNet sur lequel repose le rival largement oublié de Twitter, identi.ca. Mais même avec la pleine connaissance des risques de confidentialité de l’utilisation de Twitter ou Facebook, la plupart des activistes d’Occupy ne diffusaient pas vers la poignée de geeks qui postent encore des conseils pour Drupal sur identi.ca. Ils se sont plutôt dirigés là ou l’audience la plus vaste et diversifiée verrait leurs message  : Twitter, Facebook et Youtube.

Rien de ceci ne permet de dire qu’une solution fédérée ne peut fonctionner, seulement que les défis sont très grands. Maintenant que Diaspora a été remis entre les mains de la communauté, il est trop tôt pour le déclarer mort. Comme les fondateurs l’ont noté dans leur annonce, le compte Github de Diaspora est actif (tout comme son projet sur Pivotal Tracker).

Je reste d’un optimisme prudent quant à la capacité de la communauté open source à créer quelque chose de grand à partir du code que les fondateurs ont lâché dans la nature. Peut-être que le code existant sera forké et deviendra la base d’un nouveau projet allant bien au delà du Diaspora actuel. Mais quoi qu’il advienne, son développement tumultueux restera comme un récit de mise en garde vis-à-vis du crowdfunding, sur les dangers des promesses qu’on ne peut pas tenir.

14 Responses

  1. vvillenave

    Euh, pourquoi cet article me donne-t-il l’impression de passer à côté de l’essentiel ? Pas un mot de regret sur la disparition de Ilya Zhitomirskiy ? Sur les problématiques de fond, et la démarche intellectuelle qui sous-tendait le projet à l’origine ? Sur le mouvement très large qui anime le monde Libre depuis quelques années, sur la myriade de projets qui vont de l’effervescence la plus échevelée (GNU MediaGoblin) à la progression lente et ingrate (AppleSeed et tant d’autres), sur le succès absolument incontestable de StatusNet ? L’auteur semble n’avoir de son sujet qu’une connaissance lointaine et piètrement matérialiste.

  2. Thomas

    Il faudrait peut être s’intéresser à MOVIM , un projet qui fait moins de buzz mais qui avance bien 🙂

  3. Marien

    J’ai déjà écrit plusieurs fois sur le sujet (et me suis fait reprendre sur le fait que non, Diaspora* n’est pas mort)

    Je ne crois plus en ce projet, pour moi les problèmes du début plombent son avenir. Il est d’ailleurs amusant que ce que je reproche le plus à ce réseau (son protocole décentralisé en carton) soit l’un des points forts que relève l’auteur de cet article. Comme le dit Valentin Villenave plus haut, l’article passe à côté de l’essentiel je pense… et l’auteur n’a pas dû beaucoup essayer D*

    Bref, je ne crache pas sur ce réseau, mais ne crois plus en lui. Je me suis personnellement lancé dans un projet perso de réseau social, sans aucune prétention, juste pour voir ce qu’il est possible de faire et mettre en application mes idées. Mais sinon, Movim fait partie de ces projets à suivre, comme Salut à Toi

  4. Omikron

    Je reste persuadé que Diaspora est le seul réseau actuel capable de détrôner Facebook. Contrairement à Google, il propose un système radicalement différent : on passe d’un réseau centralisé par une entreprise à un autre décentralisé et communautaire. Avec le temps et tant que Facebook continuera à rendre ses politiques de confidentialité plus mauvaises les unes après les autres, les gens finiront par en avoir marre et chercheront autre chose. C’est à ce moment que Diaspora devra être prêt, pour livrer cet « autre chose » aux utilisateurs dégoutés de Facebook.

    Pour ma part, je ne suis ni programmeur ni infographiste, donc je ne saurais être d’aucun secours à la communauté. Mais si un de ses membres passe par ici, qu’il sache que je suis de tout coeur avec eux, et que je connais beaucoup de monde que le projet intéresse. Le pari est pris, ça dépend de vous maintenant.

  5. ttoine

    La faiblesse principale de D* c’est surtout que ce n’est pas utilisable simplement en se connectant quelque part : il faut l’installer, le maintenir, etc… La fois où j’ai voulu essayé, j’ai laissé tomber tellement j’ai rien compris. Je suis pas un super spécialiste, d’accord, cependant je gère des WordPress, des sites statiques, etc. Alors l’adolescente de 17 ans qui veut partager les photos de son chat…… elle avait peu de chance d’y arriver.

    Bref, le problème de Diaspora, c’est que c’était surtout un truc de Geek pour les Geek. Et tant que des développeurs penseront comme ça, il y aura des projets qui finiront comme ça, parce que personne ne les utilisera.

  6. J5012

    perso je trouve la plus grande faiblesse de D* est : le petit flou dans l’interface au moment de publier … et quand c’est publie, et qu’on s’est trompe de ne pouvoir changer la categorie de l’aspect (sorte de genre entre le prive, public, famille, amis etc)

    sinon pour ceux et celles qui ont du mal avec le deploiement des technologies a base de ruby, vous pouvez vous contentez de la concentration sur diasp.org : https://diasp.org/users/sign_in

    evidemment on perd l’avantage de la federation / decentralisation / auto-hebergement

    sur le noeud diasp, il ya une majorite d’anglosaxons, et une petite communaute de users francophones …

    je trouve aussi que le search pour trouver d’autres users est pas trop mal fait, et assez efficace !

    le seul truc dont a besoin D* avant les devs, ce sont les users ! donc ne faites pas votre fine bouche, adherez-y, comme dit le proverbe « rome ne s’est pas faite en un jour » …

    mon user D* : jdlolitapf

  7. rjadot

    Movim, Salut à Toi, Jabbix sont des projets construit autour d’une architecture pérenne et reconnue, celle du vénérable et de plus en plus répandu protocole XMPP.

    C’est peut-être la véritable voie d’avenir.

  8. Slystone

    Salut Marien

    Tu peux donner des sources quand tu parles du protocole décentralisé en carton de Diaspora stp ?

  9. Paille

    @ttoine, nul besoin d’installer le bouzin chez soit, il existe des pods ou tu peux te connecter : joindiaspora.com par exemple.

  10. ttoine

    @paille, mais on perd tout l’intérêt d’un truc décentralisé si pour l’utiliser faut que les utilisateurs utilisent un serveur commun… non ?

  11. Marien

    @Slystone > tout d’abord il y a une première source : les utilisateurs. Plusieurs fois on a pointé que des posts étaient mal répliqués, que lorsqu’on supprimait, tous les pods ne supprimaient pas forcément. Un post publié en public par exemple sur diasp.org ne sera pas forcément visible sur joindiaspora.com… pourquoi ? Aucune idée…

    Une autre source est cet article (en français) qui traduit les propos du concepteur de Friendica (et qui s’y connaît donc un minimum) : http://dustinthe.net/2011/12/07/dia

    En anglais maintenant, on peut citer Pistos (qui était un membre très actif et à l’origine d’un fork très apprécié) qui a décidé de quitter le projet après un ras-le-bol : https://diasp.org/posts/1a773b6f938

    Bref, tout est (était ?) loin d’être rose. Encore une fois, je ne crache pas sur D*, mais force est de constater qu’un certain nombre de choses n’ont pas été faites correctement.

  12. Slystone

    @ Marien : ok, merci pour tes êléments de réponse, ça alimente le débat.
    Donc finalement la quesrion serait de savoir si ces problèmes peuvent être rectifiês maintenant. Je serais très curieux d’avoir la réaction de l’anglais par rapport à cette annonce. Pour être complet sur le sujet, il faudrait les réponses de la communeauté.

  13. Omikron

    @ttoine : Faut pas non plus virer dans l’extrême, il y a un intermédiaire entre « Un serveur par personne » et « Data center 3000 m² ». Bonjour le succès duréseau si on demande à tout le monde de créer un serveur.

    Mais c’est vrai qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas assez de pods Diaspora actifs. Mais ça a le temps de venir…

  14. ttoine

    @Omikron: donc en fait, l’idée est de faire un réseau social qui fonctionnerait comme IRC ?