Manifeste de la guérilla pour le libre accès, par Aaron Swartz #pdftribute

Classé dans : Communs culturels | 8

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Il se passe quelque chose d’assez extraordinaire actuellement sur Internet suite à la tragique disparition d’Aaron Swartz  : des centaines de professeurs et scientifiques du monde entier ont décidé de publier spontanément leurs travaux en Libre Accès  !

Il faut dire que sa mort devient chaque jour plus controversée, les pressions judiciaires dont il était l’objet n’étant peut-être pas étrangères à son geste. Comme on peut le lire dans Wikipédia  : «  En juillet 2011, le militant américain pour la liberté de l’Internet Aaron Swartz fut inculpé pour avoir téléchargé et mis à disposition gratuitement un grand nombre d’articles depuis JSTOR. Il se suicide le 11 janvier 2013. En cas de condamnation, il encourait une peine d’emprisonnement pouvant atteindre 35 ans et une amende s’élevant jusqu’à 1 million de dollars.  »

On peut suivre l’évolution du mouvement derrière le hashtag #pdftribute (pdf hommage) qui a déjà son site et son compte Twitter dédiés.

Dans la foulée nous avons décidé de traduire ensemble un autre article important d’Aaron Swartz (rédigé à 21 ans), en lien direct avec la motivation de tous ceux qui lui rendent ainsi un vibrant, concret et utile hommage  : Guerilla Open Access Manifesto.

Ce manifeste s’achève sur cette interrogation  : «  Serez-vous des nôtres  ?  »

Remarque  : L’émouvante photo ci-dessous représente Aaron Swartz a 14 ans en compagnie de Larry Lessig. On remarquera son bien joli tee-shirt ;)

Rich Gibson - CC by

Manifeste de la guérilla pour le libre accès

Guerilla Open Access Manifesto

Aaron Swartz – juillet 2008 – Internet Archive
(Traduction  : Gatitac, albahtaar, Wikinade, M0tty, aKa, Jean-Fred, Goofy, Léna, greygjhart + anonymous)

L’information, c’est le pouvoir. Mais comme pour tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le garder pour eux. Le patrimoine culturel et scientifique mondial, publié depuis plusieurs siècles dans les livres et les revues, est de plus en plus souvent numérisé puis verrouillé par une poignée d’entreprises privées. Vous voulez lire les articles présentant les plus célèbres résultats scientifiques  ? Il vous faudra payer de grosses sommes à des éditeurs comme Reed Elsevier.

Et il y a ceux qui luttent pour que cela change. Le mouvement pour le libre accès s’est vaillamment battu pour s’assurer que les scientifiques ne mettent pas toutes leurs publications sous copyright et s’assurer plutôt que leurs travaux seront publiés sur Internet sous des conditions qui en permettent l’accès à tous. Mais, même dans le scénario le plus optimiste, la politique de libre accès ne concerne que les publications futures. Tout ce qui a été fait jusqu’à présent est perdu.

C’est trop cher payé. Contraindre les universitaires à débourser de l’argent pour lire le travail de leurs collègues  ? Numériser des bibliothèques entières mais ne permettre qu’aux gens de chez Google de les lire  ? Fournir des articles scientifiques aux chercheurs des plus grandes universités des pays riches, mais pas aux enfants des pays du Sud  ? C’est scandaleux et inacceptable.

Nombreux sont ceux qui disent  : «  Je suis d’accord mais que peut-on y faire  ? Les entreprises possèdent les droits de reproduction de ces documents, elles gagnent énormément d’argent en faisant payer l’accès, et c’est parfaitement légal, il n’y a rien que l’on puisse faire pour les en empêcher.  » Mais si, on peut faire quelque chose, ce qu’on est déjà en train de faire  : riposter.

Vous qui avez accès à ces ressources, étudiants, bibliothécaires, scientifiques, on vous a donné un privilège. Vous pouvez vous nourrir au banquet de la connaissance pendant que le reste du monde en est exclu. Mais vous n’êtes pas obligés — moralement, vous n’en avez même pas le droit — de conserver ce privilège pour vous seuls. Il est de votre devoir de le partager avec le monde. Et c’est ce que vous avez fait  : en échangeant vos mots de passe avec vos collègues, en remplissant des formulaires de téléchargement pour vos amis.


Pendant ce temps, ceux qui ont été écartés de ce festin n’attendent pas sans rien faire. Vous vous êtes faufilés dans les brèches et avez escaladé les barrières, libérant l’information verrouillée par les éditeurs pour la partager avec vos amis.

Mais toutes ces actions se déroulent dans l’ombre, de façon souterraine. On les qualifie de «  vol  » ou bien de «  piratage  », comme si partager une abondance de connaissances était moralement équivalent à l’abordage d’un vaisseau et au meurtre de son équipage. Mais le partage n’est pas immoral, c’est un impératif moral. Seuls ceux qu’aveugle la cupidité refusent une copie à leurs amis.


Les grandes multinationales, bien sûr, sont aveuglées par la cupidité. Les lois qui les gouvernent l’exigent, leurs actionnaires se révolteraient à la moindre occasion. Et les politiciens qu’elles ont achetés les soutiennent en votant des lois qui leur donnent le pouvoir exclusif de décider qui est en droit de faire des copies.

La justice ne consiste pas à se soumettre à des lois injustes. Il est temps de sortir de l’ombre et, dans la grande tradition de la désobéissance civile, d’affirmer notre opposition à la confiscation criminelle de la culture publique.

Nous avons besoin de récolter l’information où qu’elle soit stockée, d’en faire des copies et de la partager avec le monde. Nous devons nous emparer du domaine public et l’ajouter aux archives. Nous devons acheter des bases de données secrètes et les mettre sur le Web. Nous devons télécharger des revues scientifiques et les poster sur des réseaux de partage de fichiers. Nous devons mener le combat de la guérilla pour le libre accès.

Lorsque nous serons assez nombreux de par le monde, nous n’enverrons pas seulement un puissant message d’opposition à la privatisation de la connaissance  : nous ferons en sorte que cette privatisation appartienne au passé. Serez-vous des nôtres  ?

Aaron Swartz

Crédit photo  : Rich Gibson (Creative Commons By)

8 Responses

  1. gasche

    Je suis assez non-impressionné par PDFtribute; pour moi rendre ses travaux disponible librement fait partie du travail d’un chercheur, il y a de bons outils pour le faire (arxiv.org), et tout le monde devrait *déjà* le faire et encourager ses collègues à le faire. Alors publier ses vieux articles à cause d’un événement précis, sur un ton triomphant et en se sentant grave rebelle, ça ne me paraît pas être une lettre de gloire.

  2. Jgrec.bio

    Bien qu’étant admiratif du travail accompli par ce jeune prodige, personne, mis à part peut-être ses proches(et encore), ne connait les raisons exactes de son geste. Il serait peut-être bon d’être pudique quant à vouloir à trouver à tout prix un sens plus grand à son suicide.
    Que son suicide soit une piqure de rappel pour tout ceux qui se battent pour un internet libre, et notamment au niveau de l’accés aux connaissances scientifiques, est néammoins porteur d’espoir

  3. Adrien

    gasche> Je suis en partie d’accord avec toi, mais en partie seulement. C’est vrai qu’il y’a un mouvement de fond vers le libre accès qui dure depuis quelques temps, avec même des expériences de journaux sous forme de wiki, c’est vrai qu’il y’a arxiv, HAL et les autres serveurs de (pre)publication. Mais d’une part ces initiative ssont surtout portées par les sciences « théoriques » (maths en têtes, sans doutes, mais pas seulement) et posent des problématiques différentes et une bien plus grande réticence en science expérimentale (ne serait ce que parce la décision n’est pas inidviduelle dans ce cadre). Ensuite il y’a aussi la question des vieux articles, sur arxiv on trouve peu d’article de plus de 15 ans. Rappelons que sauf erreur l’initative dAaron concernait des articles normalement tombé dans le domaine public. Rappelons aussi que Jstor est une organisation a but non lucratif justement spécialisée dans la numérisation d’articles anciens. Donc il y’a d’autres problématiques que simplement la décision personelle de chaque chercheur de mettre ses travaux en libre accès.

  4. Julius22

    J’ai relevé une petite coquille dans le deuxième paragraphe traduit : un crochet fermant traine dans la deuxième phrase.
    Par ailleurs, au cinquième paragraphe, j’aurais mis le point de fin de la première phrase à l’intérieur des guillemets puisque c’est une citation qui se termine (je pense).

  5. avril

    Pauvre gosse. Sa mort est bien le signe que quelque chose ne tourne pas rond dans un monde où quelqu’un de brillant et de sensible n’arrive pas à se sentir chez lui. Un monde qui persécute toute tentative de faire le « bien » comme on le constate avec Bradley Manning et la liste des victimes s’allonge…

  6. grommeleur

    Toi aussi libère un document du jstor :
    http://aaronsw.archiveteam.org/
    The Aaron Swartz JSTOR liberator is a tiny bit of civil disobedience, presented to you in clicktivism form. By running this bookmarklet (which you should not do if you are not comfortable potentially violating terms of service), you will visit JSTOR, a keeper of academic articles, be presented with a random paper, and will download a single paper from the site. You will have to click a terms of service agreement agreeing to not share the document you are reading, yet you will then download it and uploaded to another server.

  7. Ginko

    @avril,

    Ce n’est hélas pas le premier être « brillant et sensible » à être victime de son époque. L’histoire en regorge. Moi je pense toujours au génie Alan Turing. Mais ce n’est qu’un exemple.

    Et malheureusement, je doute fort qu’un jour les êtres « brillants et sensibles » ne restent pas, de par leur décalage nécessaire avec leur temps (sinon, comment seraient-ils des génies ?), plus exposés que les autres.