Le Libre est-il dans le pré ?

Classé dans : Communs culturels | 10

Temps de lecture 8 min

image_pdfimage_print

2013-10-10_10-13-23_745.jpg
Nous avons reçu il y a quelque jours un appel téléphonique. Jusque là, rien d’anormal. Ce qui l’était plus, c’était qu’il émanait d’un groupe d’agricultrices. Leur demande  ? Faire réaliser un logiciel qui leur permettrait de suivre un programme expérimental d’utilisation de produits en médecines alternatives (homéopathie/aromathérapie notamment). Pour le suivi de l’expérimentation, elles souhaiteraient utiliser un logiciel leur permettant de saisir des données sur leurs smartphones, ainsi qu’obtenir différents types de bilans ou statistiques.

Ce type de développement (quand bien même rémunéré, ce qui serait le cas ici) ne rentre pas vraiment dans le cadre des missions de Framasoft. Cependant, en répondant à leurs questions, il nous est apparu assez clairement que nous avions des valeurs communes (partage du savoir, non appropriation du bien commun, volonté d’agir “ensemble”, etc.).

Nous avions déjà, il y a quelques mois, mis en avant un logiciel libre dédié à l’agriculture  : Agritux (on me souffle à l’oreille que si vous êtes intéressés par le sujet, vous devriez aussi jeter un œil à Ekylibre). Il est donc plutôt passionnant de voir des liens se tisser entre ces deux mondes en théorie relativement éloignés.

Pour en savoir plus, nous avons demandé à ces agricultrices de répondre à quelques questions.

Et si vous souhaitez développer une application libre (avec une interface pour smartphone) répondant à leur problématique, n’hésitez pas à les contacter.

2013-12-13_14-52-24_349.jpg

Bonjour, pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre projet  ?

Nous sommes 8 agricultrices regroupées en collectif GEDA (Groupe d’Études et de Développement Agricole) au niveau d’un canton au Nord de Rennes.

Nous échangeons régulièrement sur des thèmes variés techniques ou pas, professionnels ou pas suivant nos propres choix. Nous cherchons également à faire mieux connaitre notre métier en intervenant dans les écoles primaires et maternelles. Nous collaborons également avec les élus de notre territoire. La réflexion collective est en effet un moyen de nous sentir rassurées dans notre métier. Elle nous donne la force d’oser dialoguer avec l’ensemble des acteurs non agricoles de notre territoire et de partager nos travaux au-delà des frontières de nos fermes.

Nous avons décidé en 2012 d’en connaitre davantage sur les médecines alternatives en élevage bovin pour maîtriser la santé de nos troupeaux d’une manière plus respectueuse de l’environnement et de la santé humaine. Très vite nous avons donc commencé à tester l’homéopathie et à observer des résultats positifs sur nos troupeaux. Et depuis notre soif de savoirs et d’expériences s’est accrue  : l’aromathérapie, les méthodes d’observation du troupeau (Obsalim®), la phytothérapie, … sont aujourd’hui autant de voies que nous souhaitons découvrir et tester sur nos exploitations pour adapter au mieux notre stratégie d’exploitation. En parallèle notre envie de communiquer pour revaloriser notre beau métier s’est développé. De là est né notre projet sur trois ans qui nous permettra de  :

  • Assurer le bien-être et améliorer la santé de nos vaches  ;
  • Acquérir une plus grande autonomie décisionnelle  ;
  • Limiter l’impact de nos élevages sur l’environnement  ;
  • Valoriser notre beau métier d’éleveur auprès des acteurs de notre territoire.

Pour atteindre ces objectifs, nous avons notamment décidé de travailler à la conception d’un outil de suivi de notre expérimentation sur Smartphone. C’est dans ce cadre que notre collectif vous a contacté.

Pour cela, vous souhaitez éventuellement faire réaliser un projet logiciel. Pouvez-vous nous en dire plus  ?

Pour bien appréhender les problèmes de santé des animaux, une observation minutieuse des bovins est indispensable au quotidien et à tout moment. Un suivi également des traitements alternatifs appliqués (homéopathie, aromathérapie,..) est indispensable aussi pour ensuite pouvoir identifier les facteurs d’échecs ou de réussites de nos expérimentations. Un support pour enregistrer ces informations est donc nécessaire et doit correspondre à nos conditions de travail  : plus on a d’animaux, plus le nombre de remarques et d’actions effectuées est important. Comment tout noter en permanence de façon confortable et surtout efficace  ?

De nombreux agriculteurs sont aujourd’hui équipés de smartphones. Celui-ci permettrait un enregistrement rapide et confortable quel que soit le lieu d’observation  : de la salle de traite aux pâturages. Toutes les informations concernant chaque animal dès sa naissance doivent pouvoir être enregistrées dans cette application : les événements importants et marquants, ses particularités (caractère, physique,…), son comportement, avec les dates, etc… Pour être efficace dans la pratique des médecines alternatives, le moindre événement dans la vie de l’animal peut être important et le choix du traitement à appliquer tout comme sa réussite en dépendent. Ce logiciel nous permettra également de capitaliser plus facilement puis d’analyser collectivement nos résultats d’expérimentations de soins alternatifs aux traitements conventionnels.

Le logiciel libre semble porter certaines valeurs communes avec votre projet, comme par exemple la mutualisation, la coopération, la volonté de partager le savoir et les connaissances, etc. Pourtant, le monde du logiciel et celui de l’agriculture semblent bien éloignés. Aviez-vous entendu parler de logiciel libre ou de culture libre avant d’avoir ce projet logiciel  ?

Bien sûr nous en avions entendu parler mais uniquement dans le cadre de la sphère privée avec les logiciels libres de traitement de texte par exemple.

Avant l’émergence de notre projet collectif, nous n’avions pas vraiment fait le lien entre notre métier et le monde de la culture libre, mais dès que l’idée d’un logiciel a émergé nous avons tout de suite pensé à une application gratuite et diffusable à tous. Pourquoi  ? Tout simplement parce que notre démarche collective qui vise l’échange et le partage, la reconquête notre autonomie, notre liberté de choisir et celle du mouvement des logiciels libres sont parallèles et cohérentes. Dans les 2 cas il s’agit de démarche de partage et de liberté.

Pour aller plus loin dans le parallèle, grâce à ce projet et en partenariat avec le lycée agricole de notre secteur, nous voulons également transmettre nos expériences au plus grand nombre agriculteurs et aux générations futures d’agriculteurs. Les communautés qui prônent le logiciel libre sont également dans cette démarche puisque les outils développés sont transmissibles, modifiables et adaptables librement.

Et nous ne nous étendrons pas sur la similitude entre les semences agricoles qui pourraient être comparées à des logiciels. Si aujourd’hui nous avons le droit de pouvoir ressemer l’année suivante notre propre semence récoltée (cela est de plus en plus remis en question), nous ne pouvons échanger ou vendre des semences non certifiées. Pourquoi devoir en permanence dépendre des grosses firmes multinationales “de semences”  ? Le côté économique est un élément important car une semence “certifiée” a un coût beaucoup plus élevé qu’une semence récoltée sur l’exploitation. Et on ne parle que de blé et d’orge car le maïs hybride ne se développera pas ou de manière dégénérée l’année suivante si on tente de le semer. Sur ce point encore nos idées se rejoignent  : à quand la semence libre  ? :)

2013-08-07_19-00-38_835.jpg

Pour les non-initiés, l’informatique (et internet) semble jouer un rôle croissant dans le quotidien d’une exploitation agricole. Vous confirmez  ?

Effectivement, sans internet, l’exploitation fonctionne au ralenti…L’accès à l’information se fait de plus en plus via les sites agricoles spécialisés  : marchés, réglementation, résultats d’analyses (réaction plus rapide si résultats connus précocement).

La gestion financière de l’exploitation se fait au jour le jour et est facilitée par la consultation régulière des comptes bancaires. La gestion administrative, de plus en plus exigeante et importante est facilitée par les messageries électroniques qui permettent de communiquer plus rapidement et efficacement avec nos différents partenaires, le téléchargement de formulaires.

La gestion des cultures et de ses différents enregistrements se fait fréquemment sur des logiciels spécialisés qui permettent de répondre aux exigences réglementaires (intrants…).

La gestion des troupeaux peut être gérée informatiquement via différents supports  : quantités de lait produites, gestion de la reproduction via des aides à la détection de chaleurs, de vêlage, gestion de l’alimentation (en production porcine notamment). L’identification animale se fait via des serveurs spécialisées qui permettent l’accès aux bases de données animales.

Merci  ! :) Un petit mot pour la fin  ?

Nous aurons bien sûr besoin d’un développeur pour notre logiciel :=), donc si des personnes sont intéressées, contactez-nous par email  : frgeda.bretagne (chez) gmail (point) com

Pour financer notre projet sur trois ans, nous avons répondu à l’appel à projet de la Région Bretagne sur Agriculture Écologiquement performante, alors croisez les doigts pour nous ;)

Et surtout merci à vous de nous guider pour nos premiers pas dans ce monde du logiciel libre ! ! ! !

Suivre pyg:

Délégué général de Framasoft

Pierre-Yves Gosset est le délégué général de l'association depuis 2008. Tel un contrôleur aérien, il coordonne les différents projets de l'association en s'assurant que les avions décollent et atterrissent (à peu près) à l'heure.

10 Responses

  1. Marc Ballan

    Bonjour les filles, et bravo.
    Le logiciel libre, je connais bien (25 ans d’expérience). Les bases de données, les statistiques, l’agriculture (pas seulement les vaches) aussi.
    J’ai plein d’idées et des compétences à plus savoir quoi en faire sauf à les mettre au service de projets comme le vôtre. « un développeur pour notre logiciel :=) », je corresponds au profil, je crois.
    A+

  2. RienAVoir

    Rien à voir, mais la photo d’élevage avec les vaches qui tendent le cou (il ne manque qu’une guillotine au dessus), je sais que les méthodes d’élevage sont en général pas très drôles et que vous les pensez nécessaires, mais comprenez bien qu’il subsiste un côté « gestion de camp de concentration » et que des gens y sont hostiles.
    Cultures céréalières is happier.

  3. pyg

    @Marc Ballan : n’hésite pas à les contacter directement (le mail est dans le dernier paragraphe), car je ne suis pas certain qu’elles viennent lire le Framablog tous les jours.
    Quoi qu’il en soit, merci de ta proposition d’aide.

  4. Merlinnette

    Très bonne initiative ! Je suis convaincue qu’il y a plein de choses à faire dans le monde du libre en lien avec l’agriculture (le plus beau des métiers 😉 ) J’espère pour vous que le projet aboutisse à de beaux résultats.

  5. citakerm

    Très beau projet !!! Des agriculteurs qui se mobilisent volontairement et sans contrepartie vers le bien être animal des massages chez l’osthéopathe, des tisanes, ect… à la place des piqures, on ne peut qu’encourager cette démarche et non les décourager !!!! @RienAVoir: Dommage de tenir de tel propos :(, un petit séjour à la campagne vous ferait du bien ? Et vous verrez que ce que vous appelez guillotine n’est en faite qu’une barrière « non bloquée » permettant à chaque vache d’accéder tranquillement à sa ration sans être bousculée 🙂

  6. pascal

    Pour une critique de l’usage des technologies dans l ‘élevage …
    Mouton 2.0 : http://www.mouton-lefilm.fr/

    A quand un libre, un peu critique de la technique et un peu écologique ? il n y a pas de solution technique à tous les problèmes.

    Buvons moins de lait ! c ‘est mauvais pour la santé de toute façon…

  7. gholde

    Je vous conseille de demander que le développement se fasse sur une plateforme en ligne (par exemple Github) afin que l’on puisse participer au code.
    J’espère lire bientôt sur Framasoft un article à ce sujet :). Cdlt

  8. GEDA du canton de ST Aubin

    Merci à tous ceux qui nous soutenus dans notre projet, ca y est après plusieurs mois d’attente c’est officiel notre projet a été retenu. 🙂 🙂
    Nous allons donc nous replonger dans votre univers 🙂
    Nous allons avoir besoin d’aide, notamment dans la rédaction de notre CCTP, avez vous des modèles de cahier des charges? Ou peut-être déjà un peu de littérature sur le monde du libre, typologie de logiciels, type hébergement , de langages, … avantages inconvénients, ect…
    les points de vigilance à avoir, ect…

    frgeda.bretagne@gmail.com

    Merci

  9. GEDA du canton de ST Aubin

    ça y est notre Appel à prestation est disponible, alors si vous êtes développeurs et interéssés par le projet, contacter nous! Nous vous transmettrons l’appel à propositions.

    fregda.bretagne@gmail.com