Longue vie au Web, par Tim Berners-Lee

Temps de lecture 28 min

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Neal Fowler - CC By «  Sir  » Tim Berners-Lee, le père du Web, a livré ce week-end au magazine Scientific American, une analyse complète lucide et accessible des menaces qui pèsent aujourd’hui sur ce curieux phénomène qui depuis vingt ans a changé la face du monde  : Internet.

En termes simples, Berners-Lee revient sur l’universalité de ce réseau, qui n’a pu se développer que grâces à des conditions initiales propices  :

  • Une technique simple et libre, donc bidouillable par chacun dans son coin ;
  • Une conception décentralisée, permettant une croissance tous azimuts ;
  • Le principe de neutralité du réseau, qui permet à tous de proposer du contenu.

Or, force est de constater que ces conditions, qui ont démarqué ce que nous appelons aujourd’hui «  Internet  » des autres tentatives de mise en réseau à grande échelle d’ordinateurs de par le monde, sont attaquées et mises en péril par de grandes entreprises, et, presque comme une conséquence par de nombreux gouvernements. [1]

À la lecture de ce texte, on peut également se rendre compte que la France est malheureusement en bonne position parmi les gouvernements les plus hostiles au réseau, et que la HADOPI, comme un pavé jeté dans la mare, éclabousse effectivement de honte le pays des droits de l’Homme face à ses voisins. Contrastant par exemple clairement avec le droit au haut débit pour tous mis en place par la Finlande et lui aussi mentionné par Berners-Lee.

Toutefois, la principale qualité de cette riche synthèse est son ton résolument grand public, qui a mobilisé l’équipe Framalang tout un week-end pour venir à bout de la traduction des 6 pages de l’article original en moins de 48h.

Longue vie au Web  ! Un appel pour le maintien des standards ouverts et de la neutralité

Long Live the Web, A Call for Continued Open Standards and Neutrality

Tim Berners-Lee – lundi 22 novembre – ScientificAmerican.com
Traduction Framalang  : Goofy, Pablo, Seb seb, Misc, Siltaar

Le Web est un enjeu crucial non seulement pour la révolution numérique mais aussi pour notre prospérité — et même pour notre liberté. Comme la démocratie elle-même, il doit être défendu.

Le world wide web est venu au monde, concrètement, sur mon ordinateur de bureau à Genève en Suisse en décembre 1990. Il était composé d’un site Web et d’un navigateur, qui d’ailleurs se trouvaient sur la même machine. Ce dispositif très simple faisait la démonstration d’une idée fondamentale  : n’importe qui pouvait partager des informations avec n’importe qui d’autre, n’importe où. Dans cet esprit, le Web s’est étendu rapidement à partir de ces fondations. Aujourd’hui, à son 20ème anniversaire, le Web est intimement mêlé à notre vie de tous les jours. Nous considérons qu’il va de soi, nous nous attendons à ce qu’il soit disponible à chaque instant, comme l’électricité.

Le Web est devenu un outil puissant et omniprésent parce qu’il a été conçu suivant des principes égalitaires et parce que des milliers d’individus, d’universités et d’entreprises ont travaillé, à la fois indépendamment et ensemble en tant que membres du World Wide Web Consortium, pour étendre ses possibilités en se fondant sur ces principes.

Le Web tel que nous le connaissons, cependant, est menacé de diverses façons. Certains de ses plus fameux locataires ont commencé à rogner sur ses principes. D’énormes sites de réseaux sociaux retiennent captives les informations postées par leurs utilisateurs, à l’écart du reste du Web. Les fournisseurs d’accés à Internet sans fil sont tentés de ralentir le trafic des sites avec lesquels ils n’ont pas d’accords commerciaux. Les gouvernements — qu’ils soient totalitaires ou démocratiques — surveillent les habitudes en ligne des citoyens, mettant en danger d’importants droits de l’Homme.

Si nous, les utilisateurs du Web, nous permettons à ces tendances et à d’autres encore de se développer sans les contrôler, le Web pourrait bien se retrouver fragmenté en archipel. Nous pourrions perdre la liberté de nous connecter aux sites Web de notre choix. Les effets néfastes pourraient s’étendre aux smartphones et aux tablettes, qui sont aussi des portails vers les nombreuses informations fournies par le Web.

Pourquoi est-ce votre affaire  ? Parce que le Web est à vous. C’est une ressource publique dont vous, vos affaires, votre communauté et votre gouvernement dépendent. Le Web est également vital pour la démocratie, en tant que canal de communication qui rend possible une conversation globale permanente. Le Web est désormais plus crucial pour la liberté d’expression que tout autre média. Il transpose à l’âge numérique les principes établis dans la constitution des États-Unis, dans la Magna Carta britannique et d’autres textes fondateurs  : la liberté de ne pas être surveillée, filtrée, censurée ni déconnectée.

Pourtant les gens semblent penser que le Web est en quelque sorte un élément naturel, et que s’il commence à dépérir, eh bien, c’est une de ces choses malheureuses contre lesquelles on ne peut rien faire. Or il n’en est rien. Nous créons le Web, en concevant les protocoles pour les ordinateurs et les logiciels. Ce processus est entièrement entre nos mains. C’est nous qui choisissons quelles caractéristiques nous voulons qu’il ait ou non. Il n’est absolument pas achevé (et certainement pas mort). Si nous voulons contrôler ce que fait le gouvernement, ce que font les entreprises, comprendre dans quel état exact se trouve la planète, trouver un traitement à la maladie d’Alzheimer, sans parler de partager nos photos avec nos amis, nous le public, la communauté scientifique et la presse, nous devons nous assurer que les principes du Web demeurent intacts — pas seulement pour préserver ce que nous avons acquis mais aussi pour tirer profit des grandes avancées qui sont encore à venir.

L’universalité est le principe fondateur

Il existe des principes-clés pour s’assurer que le Web devienne toujours plus précieux. Le premier principe de conception qui sous-tend l’utilité du Web et son développement, c’est l’universalité. Lorsque vous créez un lien, vous pouvez le diriger vers n’importe quoi. Cela signifie que chacun doit être capable de mettre tout ce qu’il veut sur le Web, quel que soit l’ordinateur, le logiciel utilisé ou la langue parlée, peu importe qu’on ait une connexion avec ou sans wifi. Le Web devrait être utilisable par des personnes handicapées. Il doit fonctionner avec n’importe quelle information, que ce soit un document ou un fragment de données, quelle que soit la qualité de l’information — du tweet crétin à la thèse universitaire. Et il devrait être accessible avec n’importe quel type de matériel connectable à Internet  : ordinateur fixe ou appareil mobile, petit ou grand écran.

Ces caractéristiques peuvent paraître évidentes, allant de soi ou simplement sans importance, mais ce sont grâce à elles que vous pourrez voir apparaître sur le Web, sans aucune difficulté, le site du prochain film à succès ou la nouvelle page d’accueil de l’équipe locale de foot de votre gamin. L’universalité est une exigence gigantesque pour tout système.

La décentralisation est un autre principe important de conception. Vous n’avez nul besoin de l’approbation d’une quelconque autorité centrale pour ajouter une page ou faire un lien. Il vous suffit d’utiliser trois protocoles simples et standards  : écrire une page en HTML (langage de balisage hypertextuel), de la nommer selon une norme d’URI (identifiant uniforme de ressource), et de la publier sur Internet en utilisant le protocole HTTP (protocole de transfert hypertexte). La décentralisation a rendu possible l’innovation à grande échelle et continuera de le faire à l’avenir.

L’URI est la clé de l’universalité (à l’origine j’ai appelé le procédé de nommage URI, Universal Resource Identifier – Identifiant Universel de Ressource  ; par la suite il est devenu URL, Uniform Resource Locator – Localisateur Uniforme de Ressource). L’URI vous permet de suivre n’importe quel lien, indépendamment du contenu vers lequel il pointe ou de qui publie ce contenu. Les liens transforment le contenu du Web en quelque chose de plus grande valeur  : un espace d’information inter-connecté.

Plusieurs menaces à l’encontre de l’universalité du Web sont apparues récemment. Les compagnies de télévision par câble qui vendent l’accès à Internet se demandent s’il faut pour leurs clients limiter le téléchargement à leurs seuls contenus de divertissement. Les sites de réseaux sociaux présentent un problème différent. Facebook, LinkedIn, Friendster et d’autres apportent essentiellement une valeur en s’emparant des informations quand vous les saisissez  : votre date de naissance, votre adresse de courriel, vos centres d’intérêts, et les liens qui indiquent qui est ami avec qui et qui est sur quelle photo. Les sites rassemblent ces données éparses dans d’ingénieuses bases de données et réutilisent les informations pour fournir un service à valeur ajoutée — mais uniquement sur leurs sites. Une fois que vous avez saisi vos données sur un de ces services, vous ne pouvez pas facilement les utiliser sur un autre site. Chaque site est un silo, séparé des autres par une cloison hermétique. Oui, vos pages sur ces sites sont sur le Web, mais vos données n’y sont pas. Vous pouvez accéder à une page Web contenant une liste de gens que vous avez rassemblée au même endroit, mais vous ne pouvez pas envoyer tout ou partie de cette liste vers un autre site.

Cette compartimentation se produit parce que chaque élément d’information est dépourvu d’URI. L’interconnexion des données existe uniquement à l’intérieur d’un même site. Ce qui signifie que plus vous entrez de données, et plus vous vous enfermez dans une impasse. Votre site de réseau social devient une plateforme centrale — un silo de données fermé, qui ne vous donne pas le plein contrôle sur les informations qu’il contient. Plus ce genre d’architecture se répand, plus le Web se fragmente, et moins nous profitons d’un unique espace d’information universel.

Un effet pervers possible est qu’un site de réseau social — ou un moteur de recherche, ou un navigateur — prenne une telle ampleur qu’il devienne hégémonique, ce qui a tendance à limiter l’innovation. Comme cela s’est produit plusieurs fois depuis les débuts du Web, l’innovation permanente du plus grand nombre peut être la meilleure réponse pour contrer une entreprise ou un gouvernement quelconque qui voudrait saper le principe d’universalité. GnuSocial et Diaspora sont des projets sur le Web qui permettront à chacun de créer son propre réseau social sur son propre serveur, et de se connecter à d’autres sur leur site. Le projet Status.net, qui fait tourner des sites comme Identi.ca, vous permet de monter votre propre réseau de micro-blogage à la manière de Twitter mais sans la centralisation induite par Twitter.

Les standards ouverts sont le moteur de l’innovation

Permettre à chaque site d’être lié à n’importe quel autre est nécessaire mais pas suffisant pour que le Web ait une armature solide. Les technologies de base du Web, dont les particuliers et les entreprises ont besoin pour développer des services avancés, doivent être gratuites et sans redevance. Amazon.com, par exemple, est devenu une gigantesque librairie en ligne, puis un disquaire, puis un immense entrepôt de toutes sortes de produits, parce que l’entreprise avait un accès libre et gratuit aux standards techniques qui sous-tendent le Web. Amazon, comme tout usager du Web, a pu utiliser le HTML, l’URI et le HTTP sans avoir à en demander l’autorisation à quiconque et sans avoir à payer pour cela. La firme a pu également bénéficier des améliorations de ces standards développées par le World Wide Web Consortium, qui permettent aux clients de remplir un bon de commande virtuel, de payer en ligne, d’évaluer les marchandises achetées et ainsi de suite.

Par «  standards ouverts  » je veux dire des standards à l’élaboration desquels peuvent participer tous les spécialistes, pourvu que leur contribution soit largement reconnue et validée comme acceptable, qu’elle soit librement disponible sur le Web et qu’elle soit gratuite (sans droits à payer) pour les développeurs et les utilisateurs. Des standards ouverts, libres de droits et faciles à utiliser génèrent l’extraordinaire diversité des sites Web, depuis les grands noms tels qu’Amazon, Craigslist et Wikipédia jusqu’aux blogs obscurs maintenus par des passionnés, en passant par les vidéos bricolées à la maison et postées par des ados.

La transparence signifie aussi que vous pouvez créer votre site Web ou votre entreprise sans l’accord de qui que ce soit. Au début du Web, je ne devais pas demander de permission ni payer de droits d’auteur pour utiliser les standards ouverts propres à Internet, tels que le célèbre protocole de contrôle de transmission (TCP) et le protocole Internet (IP). De même, la politique de brevets libres de droits du W3C (World Wide Web Consortium) dit que les entreprises, les universités et les individus qui contribuent au développement d’un standard doivent convenir qu’ils ne feront pas payer de droits d’auteur aux personnes qui pourraient l’utiliser.

Les standards libres de droits et ouverts ne signifient pas qu’une entreprise ou un individu ne peut pas concevoir un blog ou un programme de partage de photos et vous faire payer son utilisation. Ils le peuvent. Et vous pourriez avoir envie de payer pour ça, si vous pensez que c’est «  mieux  » que le reste. L’important est que les standards ouverts permettent un grand nombre d’options, gratuites ou non.

En effet, de nombreuses entreprises dépensent de l’argent pour mettre au point des applications extraordinaires précisément parce qu’elles sont sûres que ces applications vont fonctionner pour tout le monde, sans considération pour le matériel, le système d’exploitation ou le fournisseur d’accés internet (FAI) que les gens utilisent — tout ceci est rendu possible par les standards ouverts du Web. La même confiance encourage les scientifiques à passer des centaines d’heures à créer des bases de données incroyables sur lesquelles ils pourront partager des informations sur, par exemple, des protéines en vue de mettre au point des remèdes contre certaines maladies. Cette confiance encourage les gouvernements des USA ou du Royaume-Uni à mettre de plus en plus de données sur le réseau pour que les citoyens puissent les inspecter, rendant le gouvernement de plus en plus transparent. Les standards ouverts favorisent les découvertes fortuites  : quelqu’un peut les utiliser d’une façon que personne n’a imaginée avant. Nous le voyons tous les jours sur le Web.

Au contraire, ne pas utiliser les standards ouverts crée des univers fermés. Par exemple, le systéme iTunes d’Apple identifie les chansons et les vidéos par des URI que l’on ouvre. Mais au lieu d’«  http :  », les adresses commencent par «  itunes :  » qui est propriétaire. Vous ne pouvez accéder à un lien «  itunes :  » qu’en utilisant le logiciel propriétaire iTunes d’Apple. Vous ne pouvez pas faire un lien vers une information dans l’univers iTunes, comme une chanson ou une information sur un groupe. L’univers iTunes est centralisé et emmuré. Vous êtes piégés dans un seul magasin, au lieu d’être sur une place ouverte. Malgré toutes les fonctionnalités merveilleuses du magasin, leurs évolutions sont limitées par ce qu’une seule entreprise décide.

D’autres entreprises créent aussi des univers fermés. La tendance des magazines, par exemple, de produire des «  applis  » pour smartphone plutôt que des applications Web est inquiétante, parce que ce contenu ne fait pas partie du Web. Vous ne pouvez pas le mettre dans vos signets, ni envoyer par email un lien vers une page pointant dessus. Vous ne pouvez pas le «  tweeter  ». Il est préférable de créer une application Web qui fonctionnera aussi sur les navigateurs des smartphones et les techniques permettant de le faire s’améliorent en permanence.

Certaines personnes pourraient penser que les univers fermés ne sont pas un problème. Ces univers sont faciles à utiliser et peuvent donner l’impression de leur apporter tout ce dont elles ont besoin. Mais comme on l’a vu dans les années 1990 avec le système informatique bas débit d’AOL, qui vous donnait un accès restreint à un sous-ensemble du Web, ces «  jardins emmurés  », qu’importe qu’ils soient agréables, ne peuvent rivaliser en diversité, en profusion et en innovation avec l’agitation démente du Web à l’extérieur de leurs portes. Toutefois, si un «  clôt  » a une emprise trop importante sur un marché cela peut différer sa croissance extérieure.

Garder la séparation entre le Web et l’Internet

Conserver l’universalité du Web et garder ses standards ouverts aide tout le monde à inventer de nouveaux services. Mais un troisième principe — la séparation des couches — distingue la conception du Web de celle de l’Internet.

Cette séparation est fondamentale. Le Web est une application tournant sur Internet, qui n’est autre qu’un réseau électronique transmettant des paquets d’information entre des millions d’ordinateurs en suivant quelques protocoles ouverts. Pour faire une analogie, le Web est comme un appareil électroménager qui fonctionne grâce au réseau électrique. Un réfrigérateur ou une imprimante peut fonctionner tant qu’il utilise quelques protocoles standards — aux États-Unis, on fonctionne sur du 120 volts à 60 hertz. De la même façon, chaque application — parmi lesquelles le Web, les courriels ou la messagerie instantanée — peut fonctionner sur Internet tant qu’elle suit quelques protocoles standards d’Internet, tels que le TCP et l’IP.

Les fabricants peuvent améliorer les réfrigérateurs et les imprimantes sans transformer le fonctionnement de l’électricité, et les services publics peuvent améliorer le réseau électrique sans modifier le fonctionnement des appareils électriques. Les deux couches de technologie fonctionnent en même temps mais peuvent évoluer indépendamment. C’est aussi valable pour le Web et Internet. La séparation des couches est cruciale pour l’innovation. En 1990 le Web se déploie sur Internet sans le modifier, tout comme toutes les améliorations qui ont été faites depuis. À cette période, les connexions Internet se sont accélérées de 300 bits par seconde à 300 millions de bits par seconde (Mbps) sans qu’il ait été nécessaire de repenser la conception du Web pour tirer profit de ces améliorations.

Les droits de l’homme à l’âge électronique

Bien qu’Internet et les principes du Web soient distincts, un utilisateur du Web est aussi un utilisateur d’Internet et par conséquent il compte sur un réseau dépourvu d’interférences. Dans les temps héroïques du Web, il était techniquement trop difficile pour une entreprise ou un pays de manipuler le Web pour interférer avec un utilisateur individuel. La technologie nécessaire a fait des bonds énormes, depuis. En 2007, BitTorrent, une entreprise dont le protocole de réseau «  peer to peer  » permet de partager les musiques, les vidéos et d’autres fichiers directement sur Internet, a déposé une plainte auprès de la FCC (commission fédérale des communications) contre le géant des fournisseurs d’accès Comcast qui bloquait ou ralentissait le trafic de ceux qui utilisaient l’application BitTorrent. La FCC a demandé à Comcast de cesser ces pratiques, mais en avril 2010 la cour fédérale a décidé que la FCC n’avait pas le droit de contraindre Comcast. Un bon FAI (Fournisseur d’Accès Internet) qui manque de bande passante s’arrangera souvent pour délester son trafic de moindre importance de façon transparente, de sorte que les utilisateurs soient au courant. Il existe une différence importante entre cette disposition et l’usage du même moyen pour faire une discrimination.

Cette différence met en lumière le principe de la neutralité du réseau. La neutralité du réseau garantit que si j’ai payé pour une connexion d’une certaine qualité, mettons 300 Mbps, et que vous aussi vous avez payé autant, alors nos communications doivent s’établir à ce niveau de qualité. Défendre ce principe empêcherait un gros FAI de vous transmettre à 300 Mbps une vidéo venant d’une société de média qu’il posséderait, tandis qu’il ne vous enverrait la vidéo d’une société concurrente qu’à une vitesse réduite. Cela revient à pratiquer une discrimination commerciale. D’autres situations complexes peuvent survenir. Que se passe-t-il si votre FAI vous rend plus facile l’accès à une certaine boutique en ligne de chaussures et plus difficile l’accès à d’autres  ? Ce serait un moyen de contrôle puissant. Et que se passerait-il si votre FAI vous rendait difficile l’accès à des sites Web de certains partis politiques, de groupes à caractère religieux, à des sites parlant de l’évolution  ?

Hélas, en août Google et Verizon ont suggéré pour diverses raisons que la neutralité ne doit pas s’appliquer aux connexions des téléphones portables. De nombreuses personnes dans des zones rurales aussi bien dans l’Utah qu’en Ouganda n’ont accés à l’Internet que par leur téléphone mobile. Exclure les accès sans fil du principe de neutralité laisserait ces utilisateurs à la merci de discriminations de service. Il est également bizarre d’imaginer que mon droit fondamental d’accés à la source d’information de mon choix s’applique quand je suis sur mon ordinateur en WiFi à la maison, mais pas quand j’utilise mon téléphone mobile.

Un moyen de communication neutre est la base d’une économie de marché juste et compétitive, de la démocratie et de la science. La polémique est revenue à l’ordre du jour l’année dernière pour savoir s’il est nécessaire qu’une législation gouvernementale protège la neutralité du réseau. C’est bien le cas. Même si généralement Internet et le Web se développent grâce à une absence de régulation, quelques principes fondamentaux doivent être protégés légalement.

Halte à l’espionnage

D’autres menaces envers le web résultent d’indiscrétions touchant Internet, ce qui inclut l’espionnage. En 2008, une entreprise du nom de Phorm a mis au point un moyen pour un FAI de fouiner dans les paquets d’informations qu’il envoie. Le fournisseur peut alors déterminer chaque URI sur laquelle un de ses clients a surfé, et ensuite créer un profil des sites que l’utilisateur a visités afin de produire des publicités ciblées.

Accéder à l’information contenue dans un paquet Internet est équivalent à mettre un téléphone sur écoute ou ouvrir le courrier postal. Les URI que les gens utilisent révèlent beaucoup de choses sur eux. Une entreprise ayant acheté les profils URI de demandeurs d’emploi pourrait les utiliser pour faire de la discrimination à l’embauche sur les idées politiques des candidats par exemple. Les compagnies d’assurance-vie pourraient faire de la discrimination contre les personnes qui ont fait des recherches concernant des symptômes cardiaques sur le Web. Des personnes mal intentionnées pourraient utiliser les profils pour traquer des individus. Nous utiliserions tous le Web de façon très différente si nous savions que nos clics pouvaient être surveillés et les données ainsi obtenues partagées avec des tierces personnes.

La liberté d’expression devrait être elle aussi protégée. Le Web devrait être semblable à une feuille de papier blanche  : disponible pour y écrire, sans qu’on puisse contrôler ce qui y est écrit. Au début de cette année Google a accusé le gouvernement chinois d’avoir piraté ses bases de données pour récupérer les courriels des dissidents. Ces intrusions supposées ont fait suite au refus de Google d’obéir aux exigences du gouvernement, qui demandait à l’entreprise de censurer certains documents sur son moteur de recherche en langue chinoise.

Les régimes totalitaires ne sont pas les seuls qui violent les droits du réseau de leurs citoyens. En France une loi créée en 2009, appelée HADOPI, autorise une administration du même nom à déconnecter un foyer pendant un an si quelqu’un dans la maison est accusé par une compagnie de distribution de médias d’avoir téléchargé de la musique ou des vidéos. Suite à une forte opposition, en octobre le Conseil constitutionnel français a demandé qu’un juge soit saisi du dossier avant que l’accès à Internet ne soit coupé, mais si le juge l’accepte, le foyer familial pourra être déconnecté sans procédure légale digne de ce nom. Au Royaume-Uni, le Digital Economy Act, hâtivement voté en avril, autorise le gouvernement à demander à un FAI (Fournisseur d’Accès Internet) d’interrompre la connexion de quiconque figure dans une liste d’individus soupçonnés de violation de copyright. En septembre, le Sénat des États-Unis a introduit le Combating Online Infringement and Counterfeits Act (loi pour lutter contre la délinquance en ligne et la contrefaçon), qui devrait permettre au gouvernement de créer une liste noire de sites Web — qu’ils soient ou non hébergés aux USA — accusés d’enfreindre la loi, et d’obliger tous les FAI à bloquer l’accès des-dits sites.

Dans de tels cas de figure, aucune procédure légale digne de ce nom ne protège les gens avant qu’ils ne soient déconnectés ou que leurs sites soient bloqués. Compte-tenu des multiples façons dont le Web s’avère essentiel pour notre vie privée et notre travail, la déconnexion est une forme de privation de notre liberté. En s’inspirant de la Magna Carta, nous pourrions maintenant proclamer  :

«  Aucun individu ni organisation ne pourra être privé de la possibilité de se connecter aux autres sans une procédure légale en bonne et due forme qui tienne compte de la présomption d’innocence.  »

Lorsque nos droits d’accès au réseau sont violés, un tollé général est déterminant. Les citoyens du monde entier se sont opposés aux exigences de la Chine envers Google, à tel point que la Secrétaire d’état Hillary Clinton a déclaré que le gouvernement des États-Unis soutenait la résistance de Google et que la liberté de l’Internet — et avec elle celle du Web — allait devenir une pièce maîtresse de la politique étrangère américaine. En octobre, la Finlande a fait une loi qui donne le droit à chaque citoyen d’avoir une connexion à haut débit de 1 Mbps.

Connexion vers l’avenir

Tant que les principes fondamentaux du Web seront maintenus, son évolution ultérieure ne dépendra d’aucun individu ni d’aucune organisation particulière — ni de moi, ni de personne d’autre. Si nous pouvons en préserver les principes, le Web est promis à un avenir extraordinaire.

La dernière version du HTML par exemple, intitulée HTML5, n’est pas simplement un langage de balisage mais une plateforme de programmation qui va rendre les applications Web encore plus puissantes qu’elles ne le sont aujourd’hui. La prolifération des smartphones va mettre le Web encore plus au cœur de nos vies. L’accès sans fil donnera un avantage précieux aux pays en développement, où beaucoup de gens n’ont aucune connexion filaire ou par câble mais peuvent en avoir sans fil. Il reste encore beaucoup à faire, bien sûr, y compris en termes d’accessibilité pour les personnes handicapées, et pour concevoir des pages qui s’afficheront aussi bien sur tous les écrans, depuis le mur d’images géantes en 3D jusqu’à la taille d’un cadran de montre.

Un excellent exemple de futur prometteur, qui exploite la puissance conjuguée de tous ces principes, c’est l’interconnexion des données. Le Web d’aujourd’hui est relativement efficace pour aider les gens à publier et découvrir des documents, mais nos programmes informatiques ne savent pas lire ni manipuler les données elles-mêmes au sein de ces documents. Quand le problème sera résolu, le Web sera bien plus utile, parce que les données concernant presque chaque aspect de nos vies sont générées à une vitesse stupéfiante. Enfermées au sein de toutes ces données se trouvent les connaissances qui permettent de guérir des maladies, de développer les richesses d’un pays et de gouverner le monde de façon plus efficace.

Les scientifiques sont véritablement aux avants-postes et font des efforts considérables pour inter-connecter les données sur le Web. Les chercheurs, par exemple, ont pris conscience que dans de nombreux cas un unique laboratoire ou un seul dépôt de données en ligne s’avèrent insuffisants pour découvrir de nouveaux traitements. Les informations nécessaires pour comprendre les interactions complexes entre les pathologies, les processus biologiques à l’œuvre dans le corps humain, et la gamme étendue des agents chimiques sont dispersées dans le monde entier à travers une myriade de bases de données, de feuilles de calcul et autres documents.

Un expérience réussie est liée à la recherche d’un traitement contre la maladie d’Alzheimer. Un grand nombre de laboratoires privés ou d’état ont renoncé à leur habitude de garder secrètes leurs données et ont créé le projet Alzheimer’s Disease Neuroimaging. Ils ont mis en ligne une quantité phénoménale d’informations inter-connectées sur les patients, ainsi que des scanners cérébraux, une base dans laquelle ils ont puisé à maintes reprises pour faire progresser leurs recherches. Au cours d’une démonstration dont j’ai été témoin, un scientifique a demandé  : «  quelles protéines sont impliquées dans la transduction des signaux et sont liées aux neurones pyramidaux  ?  ». En posant la question avec Google, on obtenait 233 000 résultats — mais pas une seule réponse. En demandant aux bases de données inter-connectées du monde entier pourtant, on obtenait un petit nombre de protéines qui répondaient à ces critères.

Les secteurs de l’investissement et de la finance peuvent bénéficier eux aussi des données inter-connectées. Les profits sont générés, pour une grande part, par la découverte de modèles de recherche dans des sources d’informations incroyablement diversifiées. Les données sont également toutes liées à notre vie personnelle. Lorsque vous allez sur le site de votre réseau social et que vous indiquez qu’un nouveau venu est votre ami, vous établissez une relation. Et cette relation est une donnée.

Les données inter-connectées suscitent un certains nombre de difficultés que nous devrons affronter. Les nouvelles possibilités d’intégration des données, par exemple, pourraient poser des problèmes de respect de la vie privée qui ne sont pratiquement pas abordés par les lois existantes sur le sujet. Nous devrions examiner les possibilités légales, culturelles et techniques qui préserveront le mieux la vie privée sans nuire aux possibilités de bénéfices que procure le partage de données.

Nous sommes aujourd’hui dans une période enthousiasmante. Les développeurs Web, les entreprises, les gouvernements et les citoyens devraient travailler ensemble de façon collaborative et ouverte, comme nous l’avons fait jusqu’ici, pour préserver les principes fondamentaux du Web tout comme ceux de l’Internet, en nous assurant que les processus techniques et les conventions sociales que nous avons élaborés respectent les valeurs humaines fondamentales. Le but du Web est de servir l’humanité. Nous le bâtissons aujourd’hui pour que ceux qui le découvriront plus tard puissent créer des choses que nous ne pouvons pas même imaginer.

Notes

[1] Crédit photo  : Neal Fowler – Creative Commons By

24 Responses

  1. 1g0r

    1g0r’s status on Monday, 22-Nov-10 17:31:27 CET

    Longue vie au web, par Tim Berners-Lee en français sur le #Framablog http://ur1.ca/2ej3c La liberté d’expression nowadays menacée…

  2. totopipo

    « Enfermées au sein de toutes ces données se trouvent les connaissances qui permettent de guérir des maladies, de développer les richesses d’un pays et de gouverner le monde de façon plus efficace. »

    « de développer les richesse d’un pays et de gouverner le monde de façon plus efficace » ?
    C’est une boutade, une mauvaise traduction ou bien faut-il y voir la boîte de pandore qui s’entre-ouvre ? Genre pouvoir développer les richesses de façon à casser plus rapidement la planète et de contrôler plus efficacement des ex-citoyens ? Si c’est ça, cet internet là, j’en veux pas et tant mieux s’il crève. :/

  3. modagoose

    J’ai déja un énorme problème avec le début de l’article :

    >>>>>>>>( citation ) Le Web est un enjeu crucial non seulement pour la révolution numérique mais aussi pour notre prospérité.

    Uniquement pour ceux qui le croient. La révolution numérique n’est pas une révolution, c’est un système qui s’impose à nous mais qui n’est absolument pas indispensable si nous décidons de faire prendre une autre orientation au monde. Bien sûr, plus nous laisserons le numérique mettre un peu plus chaque aspect de notre vie sous sa coupe, plus nous en serons dépendants. Mais rien n’est écrit. L’informatique grand public n’a que quelques années, et elle n’a en rien amélioré le monde. On peut très bien s’en passer, c’est une question de choix de sociétés.

    Autre citation du texte que je n’ai pas fini de lire :

    >>>>>>>>( citation ) Il ( le web ) transpose à l’âge numérique les principes établis dans la constitution des États-Unis, dans la Magna Carta britannique et d’autres textes fondateurs : la liberté de ne pas être surveillée, filtrée, censurée ni déconnectée.

    Le problème du Web, c’est justement qu’il ne fait que transposer. Il ne crée rien, ce n’est donc en rien une révolution, tout au plus un accélérateur. On est passé de la voiture à cheval à la voiture à moteur thermique turbo-compressé en 20 ans ? Ouha ! le progrès que voilà !

    On va plus vite d’un point à un autre en engendrant des problèmes qui n’existaient pas avant mais on est toujours dans un véhicule.

    J’aime bien cette formule : « la liberté de ne pas être surveillée, filtrée, censurée ni déconnectée. »

    Il n’est pas écrit, le droit pour le citoyen de ne pas être surveillée, filtrée, censurée ni déconnectée.

    Non plus que l’obligation légale pour les gouvernement et les entreprises multinationales de ne pas surveiller, filtrer, censurer, ni déconnecter les citoyen.

    Non juste la liberté.

    Il y a une nuance de taille.
    Si la loi ne garantie pas la liberté de chacun, alors nous nous retrouvons à devoir la garantir nous-même à titre individuel, et face à des entités comme des gouvernements et des multinationales, il n’y a que dans le collectif que se trouve notre salut.

    Vous semble-t-il que le collectif soit une notion répandue dans nos sociétés ?

    Le Web possède tous les moyens de l’asservissement des peuples par la technique depuis le départ et si son orientation actuelle est celle du totalitaire, c’est que cet outil ne pouvait être dévellopé que dans ce sens. Les outils révèlent ce pour quoi ils sont faits, à l’usage.

    Certains me diront que nous aurions pu en faire autre chose et que la technique est neutre.

    Dans ce cas pourquoi ne l’avons-nous pas fait ?

    Collectivement nous nous installons dans le totalitarisme numérique sans qu’on nous y force. Personne n’oblige à s’inscrire sur Myspace, Facebook, Copain d’avant et tous les réseaux sociaux centralisés et fermés que comptent le Web. Personne ne nous oblige non plus à devenir captifs d’une multinationale du logiciel ou du hardware. Personne ne nous oblige non plus à accepter la transition croissante des services publiques vers le numérique supprimant l’interlocuteur humain au passage. Personne ne nous oblige à utiliser les téléphones portables comme nous le faisons.

    Nous aurions pu garantir nos libertés dans la réalité et, pourquoi pas, forts de cette expérience, passer à un numérique différent.

    Il n’en a rien été.

    Je lis le reste, je commente plus tard.

  4. Siltaär

    @tototipo: non ce n’est pas une erreur de traduction. La source étant pointée dans l’article, c’est même facile à vérifier.
    Ensuite, un Internet qui permet d’optimiser notre utilisation des ressources de la planète me semble au contraire bénéfique pour tous. Tout comme, un contrôle citoyen de l’activité des élus me semble bénéfique aux gouvernements qui le mettent en place (voir l’éclaircissement des notes de frais en Angleterre et les démissions afférentes de ministres, quand nos condamnés sont maintenus…).

  5. /jmj

    @modagoose,

    Quelques questions orientées : Pourquoi utilisons-nous une technologie qui réduit notre capacité d’échange d’information au seul mot, éliminant toutes les autres moyens de communication ? Quel est le but de cette aridité présentée comme but ultime de la technologie moderne ? Et pourquoi en avons-nous besoin aujourd’hui ?

    Corolaire : pourquoi les autres moyens de communication qui n’utilisent pas uniquement des mots sont attaqués par les industries dans le cadre de l’échange des données (musique et vidéo) ?

    N’y aurait-il donc que le mot, la phrase qui doive nous survivre et rien d’autre qu’on laisserait libre mais pas le reste ? Alors que nous sommes en mesure de mettre à disposition de tous et des toutes des systèmes techniques un peu plus évolués qui englobent des espaces plus importants que celui du mot unique.

    Je suis sûr que si je disais la même chose en face à face, tu n’aurais pas du tout la même perception. De la même manière, si j’utilise des mots, des images et des sons, tu en aurais encore une autre perception, etc. Et ainsi de suite de manière récursive.

    Ce n’est qu’un début. Internet ne se réduit pas à de simples enjeux politiques versus intérêts privés/publics.

  6. totopipo

    @Siltaär :
    C’est déjà le cas tout ça, internet permet déjà d’agir à distance, de rationaliser, optimiser l’exploitation des ressources à l’échelle planétaire grâce à ses flux d’informations (internet en tant que tel n’agit pas concrètement, ça reste encore l’œuvre d’humains ou au pire de machines) ainsi que de mettre à disposition l’activité (au grand dam) des élus à tout un chacun… et pourtant, qu’est-ce qui cloche donc ?
    Si personne n’est capable de m’expliquer en quoi ça va *vraiment* nous sortir des ornières dans lesquelles nous nous enfonçons chaque jour, je considèrerai ça comme de pures incantations creuses.

  7. modagoose

    J’ai lu l’article en entier.
    Ca ressemble beaucoup à un discours de communication scientifique à l’usage des gueux qui nous explique que la science va tout résoudre.

    >>>>>>>>( citation-article ) Nous sommes aujourd’hui dans une période enthousiasmante.

    Vraiment ?

    >>>>>>>>( citation-article ) Les développeurs Web, les entreprises, les gouvernements et les citoyens devraient travailler ensemble de façon collaborative et ouverte, comme nous l’avons fait jusqu’ici, pour préserver les principes fondamentaux du Web tout comme ceux de l’Internet…

    Devraient travailler.
    Je présume donc que ce n’est pas le cas.
    La réalité montre que ce n’est pas le cas.
    Les entreprises et les gouvernements travaillent contre les citoyens. Quant aux développeurs Web, ça dépend de leur philosophie concernant l’utilisation de l’outil.

    Donc, vivons-nous vraiment une période anthousiasmantes ?

    >>>>>>>>( citation-article )… en nous assurant que les processus techniques et les conventions sociales que nous avons élaborés respectent les valeurs humaines fondamentales.

    Là, j’avoue être un peu perdu…
    Les processus techniques, c’est-à-dire le respect des standards ouverts, qui n’est en rien une obligation, je vois à peu près de quoi il s’agit, mais pour ce qui est des conventions sociales, de quoi parle-t-il exactement ? Quant aux valeurs humaines fondamentales, je sèche…

    >>>>>>>> ( citation-article ) Le but du Web est de servir l’humanité. Nous le bâtissons aujourd’hui pour que ceux qui le découvriront plus tard puissent créer des choses que nous ne pouvons pas même imaginer.

    Ah bon ?
    C’est écrit où ça ?
    Il y a une charte du Web quelque part qui nous explique que cet outil est au service de l’Humanité ?
    Et au service de l’Humanité selon quel point de vue ?

    Vous remarquerez que Tim parle, par deux fois de principes fondamentaux concernant un outil et des valeurs fondamentales concernant l’espèce qui l’utilise sans préciser ce que peuvent bien recouvrir ces notions. Discours creux où chacun en fonction de ses croyances, ses connaissances et ses convictions entend ce qu’il veut.

    Quand Bayard défend la neutralité du Net, déja il ne défend pas la neutralité du Web. Il nous explique qu’il serait préférable pour tout le monde, citoyens, gouvernements et entreprise, que l’infrastructure reste idiote et ne sache pas ce qu’elle transporte. Préférable pour que l’outil aide au développement de nos sociétés ( développement dans une réflexion collective et citoyenne, pas dans le sens marketing « vert » durable ). Au contraire le « Minitel 2.0 » serait une involution de l’outil et qui le transformerait en moyen de diffusion unilatéral type télévision, contrôlé depuis le sommet de la pyramide.

    Mais si j’approuve les discours de Bayard, qui lui s’inquiète de ce qu’on fait de l’outil déja très présent dans nos vies quotidiennes, je trouve le discours de « l’inventeur du Web » sans grand intérêt. A la limite du lyrisme par certains moments, en retard par rapport à la réalité la plupart du temps, il ne propose aucune solutions. Voeux pieux, grandes phrases sur l’Humanité, la science, l’intelligence de la mise en réseau des connaissances, ça ressemble à un évangélisme bas de gamme.

    >>>>>>>>( citation-article ) Un excellent exemple de futur prometteur, qui exploite la puissance conjuguée de tous ces principes, c’est l’interconnexion des données. Le Web d’aujourd’hui est relativement efficace pour aider les gens à publier et découvrir des documents, mais nos programmes informatiques ne savent pas lire ni manipuler les données elles-mêmes au sein de ces documents. Quand le problème sera résolu, le Web sera bien plus utile, parce que les données concernant presque chaque aspect de nos vies sont générées à une vitesse stupéfiante. Enfermées au sein de toutes ces données se trouvent les connaissances qui permettent de guérir des maladies, de développer les richesses d’un pays et de gouverner le monde de façon plus efficace.

    Chouette perspective qui, à terme, fera de l’Humain un simple poseur de questions qui n’aura plus besoin d’utiliser son cerveau et ses capacités de déduction pour créer d’autres modèles. Des programmes le feront à sa place. Aujourd’hui, n’en déplaise à ce monsieur, c’est l’être humain qui interconnecte les données, comme ça a toujours été le cas. Nous ne nous contentons pas de poster des choses, nous les analysons aussi, les croisons, en faisons la synthèse et en tirons des informations qui nous permettent de créer de nouvelles choses. Le Libre sert à ça, à permettre, à encourager chacun à ne pas faire de rétention d’informations pour permettre aux cerveaux interconnectés sur le réseau de travailler les données.

    N’est-ce pas pour cela qu’à été créé l’outil ? Pour permettre la collaboration des cerveaux ?

    Personnellement un Web qui fait ce travail là à ma place ne m’intéresse pas du tout et m’inquiète encore plus qu’un Web qu’un gouvernement ou une multinationale tente de contrôler.

    Je passerai sur son insistance à vouloir utiliser le réseau et l’interconnection des données pour trouver un remède à la maladie d’Alzheimer dont la réalité est contestée par de plus en plus de scientifiques sérieux. Ca me fait penser à tous ces scientifiques qui nous expliquent que les OGM sont une solution à la faim dans le monde.

    Cet article c’est de la Com pour les Nuls.

  8. Ginko

    Je ne sais pas trop quoi penser de cet essai…

    D’un côté, je partage (forcément) ses remarques sur ce qu’est le web et internet (réseau décentralisé, séparation des couches, net neutrality, toussa). Je ne peux pas non plus m’empêcher de partager son enthousiasme (de mon point de vue progressiste, nous sommes devant l’invention majeure des dernières 500ans, la précédente étant l’imprimerie, évidement).

    Mais de l’autre, le constat de modagoose est sans appel: beaucoup de « grands » mots … d’antant plus creux. Et une admirable candeur devant l’humanité. D’ailleurs, je ne peux pas croire que cette innocente affichée soit involontaire.

    Il n’en reste pas moins que j’adhère à l’ « esprit » du texte. Internet est la plus belle potentialité de notre temps. Et si je parle de potentialité, c’est qu’elle peut nous être retirée. Par la volonté souterraine mais considérable des élites… mais surtout grâce à l’accord inconscient de la masse qui pousse presque volontairement vers la falaise (ex.: l’internet by « citron » (le machin télécom), l’internet mobile (quel foutage de gueule), les machin-sociaux-2.0 et autres prisons-dorées-bling-bling-hype-gadget-geek, etc)

    J’espère toujours naïvement qu’une prise de conscience surviendra sur ce sujet, comme il en a été d’autres sujets (environnement, et al.).
    Mais comme pour les sujets précédents, il sera forcément abordé et compris de travers par la masse… il ne faudra pas être trop exigent.

  9. R3vLibre

    Merci Ginko, tu synthétises très bien l’impression que j’ai eue sans savoir comment la formuler.

    PS: Oui, je sais, c’est un bête « +1 » déguisé, mais à c’t’heure-ci, c’est impec’ 😉

  10. Zitor

    J’adore cette phrase : « Le but du Web est de servir l’humanité. »

  11. grandmail

    Tout à fait d’accord avec ce qui est dit sur l’espionnage des transmissions web par des entreprises et des gouvernements , ces pratiques sont à condamner. Je suis également contre les filtrages et les censures, même pour des envois ou écrits provocateurs, d’autant qu’il y a des formes de manipulations beaucoup plus pernicieuses. Les actualités de google favorisent l’expression de la presse locale à messages politiques par exemple, plutôt que les sites de « penseurs » libres commentant aussi l’actualité.

  12. cflam69

    @R3vLibre : moi, j’ose dire +1 à Ginko, qui résume mon sentiment sur ce texte.
    @modagoose : merci pour ton apport critique et pertinent sur ce texte fort creux aux relents de publicité. Et oui, on voudrait y croire mais on y arrive pas.

  13. popart

    les discours vulgarisant des scientifiques sont toujours imprégnés d’un optimisme naïf et béat, surtout quand ils parlent de leur création, ils ne veulent pas savoir ce qui sera fait de leur bébé, ils se contentent de relever le défi, à savoir comprendre les mécanismes d’une chose pour pondre un truc, aux autres d’en tirer profit ou pas, d’en faire un usage adéquat ou pas, ceux qui ont travaillé sur l’atome ne voyaient que les aspects bénéfiques, à nous de nous démerder avec cet héritage… TBL est connu pour avoir créer le web et le regarde évoluer d’un œil attendri, même si Internet c’est du vent même pas bon à faire tourner une éolienne, ce qu’on en fait n’est plus son affaire, il y a ceux qui construisent les routes, et ceux qui circulent dessus, à 50 ou à 180 km/h.

    (merci à modagoose pour son analyse)

  14. jack

    Un écrivain de science fiction américain des années cinquante (qu’il me pardonne d’avoir oublié son nom, F. Brown peut être ?) avait décrit ainsi l’interconnexion de tous les ordinateurs et de toutes les donnée : « Une fois le système connecté on posa « LA » question; « Dieu existe t’il ? ». La réponse ne prit que quelques instants… « maintenant oui ! ». « 
    On à tout le Kit messianique chez Berners lee, : l’humanité chef d’oeuvre de la nature (mais fils indigne !); Le mythe du progrès qui va « sauver » l’humanité en construisant le paradis sur terre (lequel ? pour qui ?). Ce physicien est sans doute trés bon dans son domaine mais pour le reste il n’a pas évolué depuis le catéchisme et l’école primaire.
    C’est toujours pareil avec les scientifiques et c’est pire encore avec les ingénieurs, ils n’ont pas compris qu’il existe d’autres domaines de compétence comme la psychologie, la sociologie, l’histoire, l’économie, la politique et que dans ces domaines là ils n’y connaissent rien…
    Un profane ne donne pas de cours de maths aux mathématiciens, alors surtout que Tim ne viennent pas nous parler de philosophie, d’histoire, de civilisation… qu’il laisse ça à ceux qui l’étudient, Il y à dans cet article des parties ou il parle du web de façon juste et intéressante (…) et des parties hors sujet ou il dit n’importe quoi. Le pire c’est que comme il est scientifique et réputé on l’écoute et même on pourrait le croire…

  15. Ginko

    En même temps, on ne peut pas le leurs reprocher aux physiciens et aux mathématiciens. Eux, ils ne brassent pas du vent! ( /!\ Troll /!\ :D)

    La psycho, la socio et l’économie relèvent encore de l’alchimie. De l’histoire ancienne, il ne nous reste que des bribes. De l’histoire « récente » on se pose des questions sur l’objectivité des rapporteurs. De l’histoire moderne, on a pas assez de recul (voire, en France, on oublie volontairement certaines choses compromettantes…). Quand à la politique, y’a beaucoup de choses « qui marchent » du point de vue des politiciens. Mais je ne sais pas si tout ça produit beacoup de publications scientifiques.

    Allé, halte au troll.

    Pour ce qui est du progressisme, je pense que tous ceux qui croient en la recherche de la vérité (donc la majorité des scientifiques) sont progressistes. Les scientifiques ont donc certainement une prédisposition à l’optimisme naïf et béat. « C’est en avançant que les choses vont s’améliorer. Surtout pas en stagnant. »

    Les outils ne peuvent tout simplement pas être maitrisés par leur concepteurs. Une idée ne peux pas être retenue une fois qu’elle a commencé à être diffusée. Surtout si elle fonctionne! Quand à me débrouiller avec cet héritage, je préfère autant… C’était quand même bien la merde sans feu, électricité, toussa (et ce qu’on peut en tuer des gens avec du feu, de l’électricité, et du toussa!!!).

    Pour ce qui est de l’autorité (la réputation), ce n’est qu’un élément de la force d’un argumentaire. Ceux qui accordent leur _entier_ crédit à l’autorité le méritent bien.

    Enfin bon, n’oublions pas que TBL n’expose que son humble avis. Il ne rédige pas une publication ou un texte de loi. Énoncer son opinion est son droit et à vrai dire je suis plutôt content de pouvoir l’écouter.

  16. lydroy

    Internet avait et a pour objectif d’être un formidable outil d’universalité.Mais comme dans beaucoup d’autre domaine, les gouvernements et le monde du business est en train de nous spolier. Pourquoi ? parce que nous laissons faire. Il ne suffit plus de se plaindre, il s’agit d’agir et avec fermeté.

  17. David

    Je n’aurais qu’une seule question.
    Oui le web est en danger avec Hadopi, les grosse firme internationales, les FAI qui veulent contrôler le web.

    Oui, internet devrait être pour paraphraser: « une feuille blanche sur laquelle nous pourrions écrire tout ce que nous voulons »

    En accords avec ce texte, internet doit être libre de droit, et la liberté d’expression doit être au premier rang.

    Mais qu’en es-t-il pour les contenu à caractère pédophile ?
    (Buzz @Anonymous du moment)

    Mais pas que pour ça, le terrorisme, ces contenu devrais être accessible à tous ?
    Je ne pense pas.
    Mais j’aimerais être éclairé, ai-je mal lu ou n’ai-je pas compris une partie de cet article ?

    Merci d’avance.