Internet favorise l’anglicisation, la robotisation et la globalisation du monde ?

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Pink Sherbet Photography - CC byUne courte traduction à la sauce «  Café Philo  » qui n’est là que pour engager un petit débat avec vous dans les commentaires si vous le jugez opportun.

Anglicisation, machinisation et mondialisation sont ici trois arguments qui font dire à l’auteur qu’Internet est loin d’être neutre et nous oblige implicitement ou explicitement à adopter certaines valeurs, avec toutes les conséquences que cela implique[1].

Peut-être ne serez-vous pas d’accord  ? Peut-être estimerez-vous que l’on enfonce des portes ouvertes  ? Peut-être ajouterez-vous d’autres éléments à la liste  ?

Les commentaires vous attendent, même si il est vrai que le débat s’est lui aussi déplacé, des forums et des blogs vers les Facebook et Twitter (et en se déplaçant il a changé de nature également).

Un billet à rapprocher par exemple des articles suivant du Framablog  : Code is Law – Traduction française du célèbre article de Lawrence Lessig, Internet et Google vont-ils finir par nous abrutir  ?, Quand Internet croit faire de la politique ou encore notre Tag sur Bernard Stiegler.

Utiliser Internet nous force-t-il à adhérer automatiquement à certaines valeurs  ?

Does the use of the internet automatically force us to accept certain values ?

Michel Bauwens – 19 janvier 2011 – P2P Foundation
(Traduction Framalang  : Martin et Goofy)


Ci-dessous une intervention de Roberto Verzola, extraite de la liste de diffusion «  p2p-foundation  »  :

«  Je suis assez d’accord avec Doug Engelbart, l’inventeur de la souris, quand il dit que nous façonnons nos outils, et que nos outils nous façonnent à leur tour. Il parle d’une co-évolution de l’homme et de ses outils. Nous devrions peut-être appeler cela «  un déterminisme réciproque  ». Quand il dit «  nous façonne  », je suppose que le «  nous  » désigne aussi les relations sociales.

E.F. Schumacher (Small is Beautiful) va plus loin encore et je suis aussi entièrement d’accord avec lui. Il écrit (dans Work) que dès lors que nous adoptons une technologie (conçue par quelqu’un d’autre probablement), nous absorbons l’idéologie (une manière de voir les choses, un système de valeurs) qui va avec. Schumacher pensait que beaucoup de technologies venaient imprégnées d’idéologies, et que ceux qui pensaient pourvoir en importer une en refoulant l’idéologie qui va avec se trompent. Cette vision met sûrement plus l’accent sur le «  déterminisme technologique  » que celle de Engelbart, mais je pense tout de même que E.F. Schumacher a raison, du moins pour certaines technologies.

En fait, j’ai analysé Internet avec la perspective de Schumacher, et j’y ai trouvé quelques états d’esprit et systèmes de valeurs que ses utilisateurs sont obligés d’absorber, souvent sans en prendre conscience (pour avoir la liste entière suivre ce lien). Il me suffira d’en mentionner trois  :

1. L’usage généralisé de l’anglais dans les technologies liées à Internet, jusqu’aux micro-codes des microprocesseurs, nous force à apprendre l’anglais. Et si vous apprenez la langue anglo-saxonne, vous allez sûrement acquérir certains goûts anglo-saxons. Apprendre la langue, c’est choisir la culture.

2. L’esprit de robotisation  : remplacer les hommes par des machines. Cela prend du sens dans un pays riche en capital (même si ça se discute), mais beaucoup moins dans un pays où le travail prévaut. Quand nous remplaçons la force musculaire par celle des machines, nous sommes en moins bonne santé. Mais que va-t-il se passer si l’on substitue des machines au travail mental  ?

3. Le parti pris implicite (en fait, une subvention) en faveur des acteurs globaux, et pour la mondialisation. C’est flagrant si l’on considère la struture des coûts sur Internet  : un prix indépendant des distances. Un fichier de 1 Mo envoyé à un collègue utilisant le même fournisseur d’accès à Internet coûte le même prix qu’un fichier de taille équivalente envoyé à l’autre bout du globe. Pourtant le deuxième utilise bien plus de ressources réseau (serveurs, routeurs, bande passante, etc.) que le premier. Ainsi les utilisateurs locaux paient plus par unité de consommation de ressources que les utilisateurs globaux, ce qui est une subvention déguisée à la mondialisation intégrée à Internet tel qu’il est aujourd’hui.

Devons-nous pour autant rejeter cette technologie  ? La réponse de Schumacher dans les années 1970 était une technologie intermédiaire/appropriée. Aujourd’hui, Schumacher reste pertinent, seul le vocabulaire a peut-être changé. J’ajouterais que nous devons aussi être impliqués dans la re-conception de la technologie. C’est pourquoi parler d’un Internet alternatif sur cette liste m’intéresse beaucoup.

Je ne voudrais pas m’attacher à priori à une conception figée, que ce soit celle des «  choses  » qui déterminent les relations sociales, ou celle des relations sociales qui déterminent les «  choses  ». Je voudrais explorer ces perspectives au cas par cas, et utiliser toute suggestion nouvelle et utile qui pourrait se présenter, qu’elle puisse venir de l’une ou de l’autre (ou des deux).  »

Notes

[1] Crédit photo  : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)

16 Responses

  1. JosephK

    Dans la liste des liens relatifs, à la question :
    >Mais que va-t-il se passer si l’on substitue des machines au travail mental ?
    C’est ce à quoi répond Michel Serres dans sa conférence « La révolution culturelle et cognitive engendrée par les nouvelles technologies » : http://framasoft.blip.tv/file/17450

  2. ropib

    Ben d’abord l’idée de neutralité n’est pas neutre, bon. Ensuite si internet était neutre (ce qui n’est en effet pas vraiment le cas, disons que le principe est neutre mais sa mise en œuvre ne l’est pas, et ne peut sans doute pas l’être: les contingences matérielles persistent) ça n’entraînerait pas nécessairement la neutralité du web. La structuration du réseau conditionne les structuration de nos rapports, ce n’est pas non plus nouveau. C’est bien de l’expliciter.
    En revanche je ne suis pas certain que lorsqu’on substitue des machines aux personnes le résultat soit la mauvaise santé de ces dernières. Outre que toutes les mesures qui sont à notre disposition disent le contraire, le bon sens va dans la même direction lorsqu’on voit des enfants mourir à la mine par exemple. L’auteur croit sans doute que la fin de la robotisation nous ferait retourner à l’artisanat, or il n’y a pas de relation directe: les Sudistes industrialisaient leur agriculture avec des esclaves. Ce qui est en cause ici c’est l’industrie, l’aliénation par l’exploitation de la force de travail, et aliéner une machine n’a quasiment aucun coût humain… on verra si un jour les machines se soulèvent mais là-dessus rien n’est certain.

  3. vvillenave

    Ça ne commençait pourtant pas trop mal…

    L’interaction dialectique homme/outil est une notion authentiquement intéressante.

    Le point 1 est tout à fait pertinent — cependant les influences ne se font pas que dans un seul sens ; j’ai d’ailleurs essayé <mode autopub= »on »>d’y réfléchir dans un article récent http://ur1.ca/2zwr7 </mode autopub>.

    Le point 2 relève du fantasme : le réseau Internet favorise moins la « robotisation » que le travail intellectuel de masse (crowdsourcing, et j’en passe). Et la révolution industrielle précède l’apparition d’Internet de 250 ans. Ergo: WTF?

    Et au point 3, là je décroche définitivment. Que vient faire cette théorie ridicule d’une « subvention à la mondialisation » ? La mondialisation, ça fait cinq siècles qu’elle est en marche (sans remonter aux Romains ou à Alexandre le Grand). Pour le meilleur et pour le pire (empire coloniaux, anyone?).

    Donc bon, c’était bien parti mais ça se casse misérablement la gueule comme une argutie finkielkrautienne. Fermez le ban.

  4. mit

    Intéressant article, mais certaines idées me laissent perplexe.

    Pour le point 1 et l’anglais, c’est totalement indépendant de l’usage d’internet (au sens surfer, lire, écrire. Quel pourcentage d’internautres code ou s’intéresse au hardware ?). Et au contraire, le besoin de l’anglais pointe le bout de son nez dès qu’on bosse dans la science et les technologies. Du coup, ça me semble assez hors sujet, bien qu’intéressant.

    Quant au point 2, comme déjà soulevé, l’affirmation relative à la santé manque de source, et ne me semble pas convaincante. Et on est encore loin d’une intelligence artificelle susceptible de remplacer l’intelligence humaine. Certains ont déjà extrapolé ce qui pourrait arriver dans ce cas ( https://secure.wikimedia.org/wikipe… ), mais c’est pour l’instant principalement de la science fiction.

    Le point 3 me semble le plus intéressant. Comme le dit vvillenave, la mondialisation n’est pas neuve, mais est-ce qu’internet contribue à la renforcer/l’accélérer ? Là est le possible sous-entendu idéologique d’internet.
    Par contre, je ne suis pas vraiment convaincu par la démonstration… D’autant plus quand l’utilisateur paie un forfait.
    Du coup, je ne sais pas s’il y a un réel impact.

  5. MarcO

    Il y a un point intéressant c’est qu’Internet est très clairement une vision anglo-saxonne du monde. La tradition française est tout à fait autre (centralisation, Etat fort, etc.) et elle est menacée.

  6. Eric

    > Quand nous remplaçons la force musculaire par celle des machines, nous sommes en moins bonne santé.

    Et oui : les mineurs du 19ème siècle était en bien meilleur santé que nous, c’est bien connu.

  7. popart

    @villenave+éric: ce que l’auteur a dit, c’est ça : « When we replaced muscle-work with machines, we became less physically fit » et par « less physically FIT » j’avoue que je ne sais pas trop ce qu’il veut dire, ça peut s’interpréter de différentes manières : nous sommes devenus bons à jeter, par exemple. Ce qui n’est plus du tout la traduction proposée.

    Mais si on garde le concept de « santé », c’est vrai que passer des heures devant un écran d’ordinateur, ça n’améliore ni la cellulite, ni la vue, et il me semble que dans un article de ce même blog ça pouvait rendre con au sens où Internet influence et modifie les mécanismes de la pensée et induit des troubles de l’attention.

    Donc ce n’est pas si risible que ça.

    (donc non, vous n’êtes pas encore suffisamment contaminé par la langue anglo-saxonne)

  8. Ginko

    J’ajoute mes petits grains:

    1. L’auteur parle explicitement de « l’usage généralisé de l’anglais dans les technologies ». Or l’anglais du jargon technologique (et sans doute plus encore en informatique) est très appauvri en attaches culturelles (bien qu’il en subsiste tout de même). En revanche, internet favorise l’anglais au niveau de la documentation de référence: un seul exemple: wikipedia avec son édition anglaise de bien meilleure qualité et richesse que les autres.

    2. Internet est un outil mental, de la même façon qu’une calculatrice. Sommes-nous devenus plus bêtes depuis que nous avons des calculatrices? Nous sommes juste devenus différent je pense. Quand à l’IA, quel lien avec internet (pour l’instant)?

    3. Ce comportement est à la fois indéniable et nécessaire (de part la structure même d’internet). Mais je pense que ce qui compte ici c’est « l’intention ». C’est plus un effet secondaire qu’une « feature ».

    Par contre je suis tout à fait d’accord avec MarcO: l’internet en lui-même est de tradition purement anglo-saxonne. Y’a qu’à voir ce que l’on faisait à la même époque: le Minitel (son équivalent en tradition française 😉

  9. Erondael

    Je suis assez de l’avis de vvillenave pour cet article.

    Même si dans le cadre du point 1 j’ajouterais quand même ce qui pour moi est quand même ressorti des 10 ans de wikipedia. C’est que clairement pour le moment, le web subit une forte influence du Nord (par opposition au Sud des rapports Nord/Sud)… Et ça se ressent clairement sur Wikipedia. Et quand on prend le temps de s’arreter deux secondes sur ce que l’on connait du web alors qu’il est censé être si mondial… on remarque qu’on est quand même très fort dans la culture francophone+anglophone (en tout cas c’est mon cas).

    Pour le reste, je trouve que c’est beaucoup de blabla. Le point 1 est retourné si on accorde à l’internaute lambda un minimum d’esprit critique. Les deux suivants n’en parlons pas.

  10. Virus_Global

    Internet ( qui a été crée pour cela ) accélère le Kapitalisme qui conduit dans le Grand Mur .

  11. Gregoire de Hemptinne

    Des réseaux alternatifs tels que le http://reseaucitoyen.be/ ici à Bruxelles sont des tentatives de solutions locales. Mais la question reste celle de l’intérêt? Autant il est chouette entre geeks de mettre en place ce genre de systèmes, autant il faut y trouver un intérêt pour que le commun des mortels s’y attache (et adapte par la même occasion cette philosophie).

    C’est la même chose pour le développement durable à plus grande échelle. Je travaille dans une ONG qui tente de développement le « tourisme doux » qui est une autre approche. Mais tant que le touriste en question continue à regarder son portefeuille pour le choix de ses vacances ils continuera à jouer le jeux de la mondialisation. Aujourd’hui nous sortons de nos vacances plus crevés qu’en les commençant parce qu’on veut profiter un maximum de ce court moment de pause ! On oublie qu’on peut rester chez nous, passer la journée à jardiner et organiser une soupe de quartier !

    Bref, c’est un autre débat. Mais je pense que le tout est de rejoindre un besoin humain pour qu’un changement d’attitude soit possible.

  12. K.

    2. L’esprit de robotisation : remplacer les hommes par des machines. Cela prend du sens dans un pays riche en capital (même si ça se discute), mais beaucoup moins dans un pays où le travail prévaut. Quand nous remplaçons la force musculaire par celle des machines, nous sommes en moins bonne santé. Mais que va-t-il se passer si l’on substitue des machines au travail mental ?

    ALors les petits intello on peut qu’on les remplace : bahc ‘est chacun son tour.

    pas de chipotage

    il faut aller plus loin, pour pouvoir s’arretter il faut passer le cap tourmenté pour retourner sur terre

  13. Youpiman

    Brr… Quel fatras d’angoisses creuses d’intellectuel franchouillard…

    On reprend :

    l’anglais c’est mal (d’ailleurs ils ont brulé Jeanne d’Arc).
    « Et si vous apprenez la langue anglo-saxonne, vous allez sûrement acquérir certains goûts anglo-saxons. » Notez le « sûrement », très scientifique. Sûrement donc, je vais manger de la viande bouillie et des huitres sauce menthe. C’est ça, oui sûrement…

    « Quand nous remplaçons la force musculaire par celle des machines, nous sommes en moins bonne santé. ». Allez dire ça à l’agriculteur, au mineur, à l’ouvrier. Le « nous » vaut largement le « surement » précédent.

    « Mais que va-t-il se passer si l’on substitue des machines au travail mental ? ». Ca ne sera pas vraiment pire que cette culture officielle de bourgeois déconnecté qui n’utilise la culture que pour conforter sa place d’observateur privilégié, mais qui « sûrement » souffre pour les malheureux.

     » Ainsi les utilisateurs locaux paient plus par unité de consommation de ressources que les utilisateurs globaux, ce qui est une subvention déguisée à la mondialisation intégrée à Internet tel qu’il est aujourd’hui. ». Oh oui. Un internet limité à ma ville, quel bonheur, quel richesse. Et puis au moins, je ne paierai pas pour ces mauvais citoyens qui écoutent la parole de l’étranger.

  14. Eusèbe

    La langue véhicule bien sûr la culture. Lisez par ex. « La mise en place des monopoles du savoir ». L’auteur y explique comment le *tout* anglais mène à un apauvrissement culturel, voire à un apauvrissement des modes de pensée.
    La diffusion de l’anglais est en outre supportée par les pays anglo saxons et la vraie force de l’anglais n’est pas tant dans ses locuteurs natifs (d’ailleurs pas tellement plus nombreux que les francophones), mais dans les locuteurs de seconde langue, donc volontaires. C’est en outre un vecteur de domination anglo-saxonne lorsque les locuteurs d’autres langues subissent le « syndrôme du larbin ».
    Lisez cet editorial du financial times, http://www.ft.com/cms/s/2/3ac0810e-
    L’auteur explique sans honte qu’il ne faut surtout pas que les anglophones apprennent une seconde langue, car ils perdraient leur avantage (être des natifs anglophones), les locuteurs natifs mènant et orientant le débat.

    « Force them to speak English and you win. »

    Les rapports du « British council » vont tous dans ce sens et les extraits des rapports sont tous dans le même temps (la langue anglaise comme vecteur de domination). Des fonds et des efforts considérable sont fournis pour promouvoir l’anglais comme la langue « moderne », « du futur », « des nouvelles technologies ». .Bref la « coolitude ».
    Autre thème développé par cet organisme : Parler tout autre langue, c’est être un réactionnaire, replié sur lui même, voire un « nationaliste ».
    Bref, la publicité va bon train avec des moyens importants.

    Evidemment, le globish, sabir très pauvre (1500 mots) pour lire un forum ou une lettre de nouvelles n’est pas concerné.

  15. Samson

    Pour le premier point, je suis absolument d’accord! Impossible d’aborder l’informatique et internet sans l’anglais, et la manière de penser qui va avec! Est-ce un mal? Pas sûr! A l’instar du latin durant les siècles passés, l’anglais s’est maintenant imposé comme langue d’échange internationale au niveau scientifique, technique et technologique. Le regretter ne changera pas la tendance!
    Pour le deuxième point, la tendance est en marche depuis les premiers pas de l’Homo Habilis et la taille du silex! Personnellement, pas de regret!
    Quant à Internet comme outil de la globalisation du monde, oui, certainement, et par définition! Mais c’est un outil paradoxal, qui ouvre à la fois à la pensée unique et à sa contestation sous différents modes, parfois étonnants! Fervent adepte du fantasme de la « Bibliothèque Universelle » (et libre!), je ne m’en plaindrai donc pas trop! Dans ma jeunesse, il fallait parfois des années à fouiller bibliothèques et librairies pour trouver tel ou tel ouvrage, accessible maintenant en trois clics. La difficulté s’est déplacée, il faut maintenant trouver le temps de les lire!