Quand la coopérative dessine le chemin d’une autre voie possible en entreprise

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Ernst Vikne - CC by-saSi l’économie est, dans son acception commune, l’activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l’échange et la consommation de biens et de services, alors le logiciel libre propose effectivement une organisation originale et alternative à l’économie informatique, le bien étant bien commun et le service véritablement au service de ses utilisateurs.

Il serait un peu rapide et hasardeux d’affirmer que la coopérative est à l’entreprise ce que le logiciel libre est au logiciel.

Il n’en demeure pas moins vrai que les deux mouvements présentent certaines similitudes, à commencer par celle de vouloir se protéger d’un monde qui perd son humanité en se reliant aux autres pour donner sens à son action[1].

Si vous voulez changer le monde, cela passe désormais bien moins par le politique que par l’économique. C’est pourquoi les tentatives pour faire sortie de l’ombre un autre possible en entreprise nous semblent si ce n’est à encourager tout du moins à diffuser et à débattre.

À la limite de la ligne éditoriale de ce blog, ce document de fin de colloque nous semble une bonne base de réflexion aussi bien pratique que théorique.

Déclaration du Forum pour une autre économie

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Déclaration du «  Forum pour une autre économie  »
Faite à Nîmes le 16 janvier 2011

La participation réelle des salariés à la gestion de leur entreprise est une exigence croissante dans la société moderne, pour combler le vide actuellement laissé par les actionnaires dormants à une oligarchie financière qui trop souvent ne gère plus que pour elle-même, sans plus prendre en compte les exigences de l’emploi et de la pérennité réelle des entreprises .

Dans les grandes entreprises, particulièrement celles qui sont cotées, cette oligarchie a imposé un partage de la valeur bien plus favorable au capital qu’au travail , tout particulièrement depuis vingt ans. Le travail et l’emploi, ne sont plus des valeurs mais des variables d’ajustement. Par ailleurs, beaucoup de TPE et les PME souffrent indirectement de cette financiarisation du fait de leur statut de sous-traitantes voire de partenaires de groupes plus importants. Il convient donc de promouvoir toutes les solutions institutionnelles susceptibles de rendre aux individus la maîtrise de leur destin économique.

Tel a été le sens du colloque de Nîmes des 15 et 16 janvier 2011. Notre société s’engage dans l’économie de la connaissance, de l’innovation, du développement durable. La constitution de sociétés de salariés, notamment sous forme de SCOP, est une voie particulièrement efficace pour que les chercheurs du secteur privé, mais aussi du secteur public , puissent développer eux-mêmes leurs créations et innovations, dans une structure participative égalitaire  ; et, plus largement, pour que les porteurs de projets concrétisent ceux-ci grâce à une structure participative et rendue durable par son système de propriété à la fois privée et collective.

L’association des travailleurs pour gérer leur avenir commun dans une société dont ils sont les propriétaires, qu’elle soit d’ailleurs ou non de forme coopérative, est une résultante légitime de l’élévation du niveau moyen de savoir. Elle est aussi, à de nombreux égards, la meilleure posture face à un avenir que la mondialisation rend particulièrement aléatoire. Qui mieux que le collectif des salariés peut se soucier de l’avenir de l’entreprise en tant qu’équipe d’hommes et de femmes dont l’intérêt n’est pas d’abord commandé par la rémunération du capital  ?

La forme de la Société coopérative de production – SCOP ou coopérative de salariés (l’idée d’Entreprise à Responsabilités et Résultats Partagés a été évoquée) est une solution dotée de trois caractéristiques  : la démocratie dans le choix de la stratégie et des responsables, l’équité dans la répartition du résultat, et la pérennité de l’emploi, qui la rendent à la fois crédible et fiable aux yeux de ceux qui y produisent la valeur. Elle s’adapte régulièrement aux nouveaux défis. La Société coopérative d’intérêt collectif – SCIC, qui fait entrer dans la coopérative, différentes catégories de sociétaires à côté des salariés, est un exemple de cette adaptation récente, notamment pour les dynamiques territoriales.

Sur le plan du capital , les outils dont s’est doté le mouvement coopératif avec ESFIN, et sa filiale l’IDES, le fonds de capital-risque SPOT, la société SOCODEN pour les prêts participatifs, permettent de dire qu’existent aujourd’hui la plupart des outils financiers nécessaires pour créer et développer une SCOP. Abonder plus largement ces outils, notamment dans le cadre du «  Grand emprunt pour l’économie du futur  », serait une condition nécessaire d’un développement plus rapide et plus large de la forme SCOP. Une somme de 100 millions d’euros a déjà été prévue pour l’économie sociale. Elle est trop faible. L’augmenter et l’utiliser pour le développement des SCOP ne dépendent que d’une volonté politique .

Remettre en valeur et assouplir la loi sur le Titre Participatif est une autre priorité. Créer des Fonds Communs de Placement dédiés à l’Économie Sociale aussi.

Dans le même sens, le rachat par les salariés d’entreprises saines, c’est-à-dire avant toute phase critique de gestion, devrait être facilité . En premier lieu, par une intervention plus ample et plus rapide, du fonds souverain français de la Caisse des dépôts  ; en second lieu, par la création, dans les entreprises qui doivent envisager leur transmission, d’une réserve de transmission dont la défiscalisation serait conditionnée par le seul fait que les acheteurs sont les salariés. Par ailleurs, la formule ESOP de rachat par les salariés à l’aide de crédits à très long terme, courante aux États-Unis, mérite d’être à nouveau analysée en détail en vue d’une transposition en France . Serait-il impensable aussi de commencer à solvabiliser les salariés, pour la constitution d’un capital, en dédiant une part de la cotisation d’assurance chômage payée pour chaque salarié à la création d’un compte ou livret individuel lui permettant de participer au rachat de son entreprise ou d’en créer une  ?

Mais si des outils financiers à la création de SCOP ou à la reprise d’entreprises par les salariés, existent, d’autres conditions s’imposent pour leur développement et réussite.

Résumons les en disant qu’il s’agit de diffuser la culture de l’économie coopérative, «  déverrouiller  » l’image des SCOP auprès de l’opinion publique en en présentant la diversité des pratiques.

Il faut d’abord que le fonctionnement de l’entreprise soit enseigné, à tous et donc dès la classe de troisième, intégrant évidemment les formes coopératives. Les départements universitaires et les grandes écoles consacrées à l’économie coopérative doivent se multiplier . Les institutions fédérales et confédérales de l’économie sociale doivent offrir, dans le cadre de la formation continue , des enseignements valorisant les pratiques coopératives  ; elles doivent aussi renforcer leur expertise et leurs moyens d’appui aux entreprises de l’économie sociale, en particulier pour accompagner les transmissions d’entreprises.

Les propositions qui précèdent n’excluent en rien la poursuite et le développement de l’actionnariat salarié et de la participation, mais ces dispositifs doivent atteindre un seuil d’efficacité pour peser d’un poids suffisant dans les Conseils des entreprises, afin d’infléchir vraiment la gestion. Ceci nécessite aussi l’organisation de formes nouvelles de gestion collective de cet actionnariat.

C’est dans ce contexte que le colloque a abouti à la création d’un Observatoire des alternatives économiques, non seulement dans ce domaine de l’intervention des salariés dans la gestion, mais beaucoup plus largement, dans tous ceux qui feront l’objet des colloques suivants du Forum pour une autre économie, durable, socialement intégratrice, civiquement engagée, écologiquement acceptable.

En 2011 et 2012, cet Observatoire[2] se donnera comme priorité l’analyse des programmes politiques exposés en vue des élections de 2012, et interpellera les formations politiques et divers candidats sur leurs propositions dans ce champ des alternatives économiques. Il ambitionne d’en mesurer la pertinence et d’en proposer l’enrichissement.

Notes

[1] Crédit photo  : Ernst Vikne (Creative Commons By-Sa)

[2] il sera notamment piloté par Jean Matouk, Michel Porta, Thierry Jeantet.

9 Responses

  1. Chloé

    La SCOP Port Parallèle (http://www.portparallele.com), à Paris, nous a permis de devenir salariés/créateurs de notre entreprise en service informatique libre. Et elle est membre de l’APRIL.
    Une bonne association entre économie solidaire et logiciel libre.

  2. bonob0h

    La Coopérative comme « autre voie » n’est pas la seule !
    Il y a aussi le statut Association et/ou Fondation.
    On peux dire que ces deux directions SONT UNE AUTRE VOIE …

    En résumé :
    Le statut Coopé est bien gentil, et fonctionne, rarement, bien, mais attention !
    Ce statut « mets » tout le monde sur le même pied d’égalité, et demande une participation collective qui n’est pas forcément adaptée a une grande majorité de personnes qui ne savent pas se prendre en main.
    Il n’est pas non plus adapté a la participation de Bénévoles qui peuvent être partie prenante dans un projet « d’entreprises ».
    Le statut de Coopé est souvent utilisé en agriculture mais on ne peux pas dire que tout soit « le meilleur des mondes » sinon l’agriculture ne serait pas si mal en point.
    Si je suis porteur d’un projet je ne suis pas forcément d’accord pour que tous ceux qui suivent aient autant de droit que moi sur les orientations etc, et que du coup certains en profitent pour piller.
    A titre perso j’ai vu ce que peuvent donner les rachats d’entreprises. Un dirigeant appelé a la rescousse mets tout le système en place, puis est évincé par quelques « ouvrier profiteurs » ! Résultats : fermetures/liquidations quelques temps plus tard

    Le statut Associatif / Fondation, qu’il faudrait grandement remanier, n’est lui souvent pas assez utilisé pour monter des « entreprises ».
    Le statut associatif est de base le fait qu’il n’y ai pas d’actionnaires qui s’engraissent pendant que les autres travail, et que les bénéfices soient réinvestit. Il n’y a donc pas de « parts » d’actions qui peuvent conduire à spéculation. Seul le Travail peut octroyer salaire, et la participation de bénévoles est possibles voir recommandée notamment pour pratiquer un échange.
    Par ailleurs, à tord on pense qu’association n’est que pour le coté « aide à sens unique ».
    On a aussi un statut qui permet un fonctionnement « hiérarchique » de base si besoin, mais qui peut être aussi participatif, voir permet de passer de hiérarchique à participatif.
    Bien sur il y a aussi dans les asso des dérives, d’autant plus si l’on se base sur des asso avec des statuts types.

    Sinon un projet n’est pas seulement un statut, mais un fonctionnement, etc.
    Qu’on soit sous tel ou tel statut ne change pas le fait qu’il faut aussi développer d’autres « pratiques d’entreprise » comme par exemple sur les aspects commerce, marketing, etc mais aussi sur d’autres fondement qui ne soient pas forcément basés sur « un capital » d’autant plus financier. Un capital par exemple à transmettre à ses enfants, d’autant plus que se pointent de possibles « revenu minimum universel » par exemple.

    Pour finir il faut donc oui aller vers une autre économie, favoriser des alternatives mais pas une seule alternative comme proposé par ce forum/articles sur seulement les « Coopés »

  3. al.jes

    J’allais parler des associations en tant que président de l’une d’entre elles, mais je vois que bonob0h l’a déjà plutôt bien fait… Donc +1.

  4. Pierre Ali

    Cher bonob0h, je souhaiterais apporté quelques nuances à vos propos… le statut de SCOP marchant relativement bien pour les créations d’activités (cf bilan de l’union des scops, j’ai pas le lien mais je l’ai vu en région PACA)

    Le statut de « Coopé » fut certes très utilisé dans le monde agricole mais aujourd’hui il est présent dans beaucoup plus de pan de notre économie… (cf les 2 premiers commentaires) et ce serait dommage de le restreindre ainsi à ses origines.
    Vous dites également que la grande majorité de gens ne savent pas se prendre en main, mais en même temps on ne leur offre pas forcément la possibilité, ainsi le statut de SCOP peut permettre à ces même gens d’apprendre à se prendre en main (car bien souvent ils y sont intéressés!)

    Une SCOP est souvent un projet commun, ainsi il n’y a pas un seul porteur de projet qui risque à tout moment de se faire « piller » mais bien une équipe qui travaille ensemble dans un but commun (qui n’est pas que le profit…). D’ailleurs, le pdg appelé à la rescousse qui fait tout et se fait évincé par quelques ouvriers profiteurs est un mauvais exemple. D’abord parce que la mission d’un tel pdg est bien de mettre le système en place pour ensuite laisser place à une autre équipe dirigeante et ensuite, comment quelques ouvriers pourraient faire « hold-up » sur une entreprise alors qu’il y a un système de décision collégial (les autres ouvriers devraient justement être les garde fous d’une telle situation!)
    Enfin le statut d’association ne peut être utilisé pour monter « une entreprise » puisque ces deux structures ont des visées différentes, une mission particulière pour l’une, le profit pour l’autre. Ainsi le statut de SCOP permet de concilier la réalisation d’un profit tout en valorisant le travail dans un but commun.

    Voilà, évidemment les association et fondations doivent faire parti de cet élan vers une économie plus solidaire mais le statut de SCOP gagnerait grandement à être connu (un grand merci à l’équipe du framablog pour votre effort!!!)

    Cordialement,
    Pierre-Ali

  5. tala

    Ici comme ailleurs, on met en avant l’économie sociale et solidaire. Tant mieux, je suis persuadé que les coopératives, associations et autres fondations apportent des éléments de réponse à la crise que l’on traverse actuellement.
    D’ailleurs, les idées positives ne manquent pas : démocratie, partage, collectifs, …
    Cependant, pour fréquenter par exemple des éducateurs du secteur associatif, je constate que leurs employeurs n’ont pas forcément une attitude très différente du reste de « l’écosystème » entrepreneurial.
    Du coup, avant un lobbying auprès de nos politiques ou la demande d’une plus grande place pour l’entreprise dans les programmes scolaires, j’aurais attendu d’un « observatoire des alternatives économiques », l’établissement d’un panorama sans trop de complaisance de ce secteur de l’ESS que l’on vante tant.
    Cela m’aiderait à mieux discerner entre les entreprises de réhabilitation du capitalisme et les alternatives efficaces.

  6. K.

    NON l’économie sociale et solidaire c’est tout autant des conneries, que voir le tertiaire comme solution au probleme de l’automatisation, de l’informatique ( enfin tout ce que les vieux ne comprennnent pas )

    C’est des conneries ! ( la solution proposé par nos vieux , par ailleur nous l’avons deja essayé alors FU )

    L’argent comme le travail ca ne se chie pas !

    Les ressources ca ne se pond pas, le travail disparait on va pas en crée : on crée deja toute la production que l’on veut avec Zero etre humain si l’on veut

    NOn il est l’heure de partager : car on peut tout produire pour rien, avec de l’énergie en abondance, gratuit a porté de main

    NOn il est l’heure de partager

    ( et si vous ne comprenez le mot partage : n’ayez crainte une machine peut et fait et fera votre travail a votre place : que ce travail soit manuel, intellectuel, du spectacle de la vente ou autre =)

  7. al

    @bonob0h: il y a une erreur : dans les SCOP, les « parts » d’actions NE peuvent PAS conduire à spéculation. En effet, la valeur des parts est fixe, on ne peut donc pas spéculer.
    La conséquence directe est que l’on ne peut pas s’enrichir en créant une SCOP et en la revendant ; puisque la valeur des parts n’augmente pas ; seuls les éventuels bénéfices nous enrichissent.

    @tala: les différences fondamentales entre association et SCOP sont que :
    1/ l’association doit investir l’ensemble de ses bénéfices alors que la SCOP peut en distribuer une partie.
    2/ dans l’association, les salariés travaillent pour le CA de l’association (ils n’ont pas le pouvoir) alors que en SCOP, les salariés travaillent pour eux (puisqu’ils forment eux-même le CA).

    @K: la forme coopérative structure le partage du pouvoir, des responsabilités et des bénéfices. La coopérative est donc une très bonne structure pour *partager*.

    Deux infos supplémentaires :
    * 2012 est proclamée par l’ONU année internationale des coopératives.
    * L’OIT (qui vise le travail décent pour tous) recommande la structuration coopérative du travail.

  8. Guillaume

    Si vous voulez suivre l’actualité des SCOP, elles sont présentes sur différents réseaux sociaux.

    Tout est là : http://www.ressources-solidaires.or

    Framasoft est également sur ce site dédié à l’économie sociale et solidaire.

    Et cet article y va de ce pas ! 🙂